A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous vous proposons une interview de la joueuse internationale de rugby Lénaïg Corson. Elle nous parle de la place du rugby féminin en 2021, et plus globalement de celle du sport féminin en France.
Une petite présentation ?
Bonjour, je suis Lénaïg Corson, j’ai 31 ans, et un peu plus de 10 ans de rugby derrière moi. J’ai débuté le rugby à Rennes en Bretagne, d’abord à l’université. J’avais fait 14 ans d’athlétisme derrière donc rien ne me prédestinait à faire du rugby.
Mais j’ai voulu tenter l’aventure d’un sport collectif et le seul sport que je pouvais faire c’était le rugby. Et voilà comment l’aventure a commencé et c’est vite devenu une passion. J’ai aussi vite connu les sélections internationales avec l’équipe de France à XV et ensuite avec l’équipe de France de Rugby à 7. Une fois qu’on y a mis les pieds on a envie de s’investir et de tout donner pour l’équipe de France et le maillot. C’est avant tout un sport que j’adore et qui me colle plutôt bien à la peau.
Quelle est la place du rugby féminin en France ?
Le rugby féminin a énormément évolué en très peu de temps. Le gros déclic c’est la Coupe du Monde en France en 2014, d’ailleurs les deux demi-finales se sont jouées dans ce stade, à Jean Bouin. Il y a eu vraiment un avant et un après Coupe du monde. Quand j’ai commencé le rugby il y avait à peu près 8 000 licenciées, et après les deux Coupes du Monde 2014 et 2017, on a explosé le nombre de licenciées en France, on est à peu près 23 000.
On espère que le COVID va nous permettre de faire grimper ce chiffre là. Et notre fédération est une des seules à avoir fait grimper ces chiffres, autant chez les filles que les garçons, donc on en est très fiers sur une année COVID où c’est particulièrement difficile pour le monde du sport, notamment féminin.
Quelle différence de traitement entre masculines et féminines ?
Alors effectivement, il y a quelques différences. La première qui me vient en tête c’est la différence dans les médias, la présence et la visibilité des féminines par rapport aux hommes. C’est vrai qu’aujourd’hui quand on ouvre un journal on voit peut-être une quinzaine de pages sur le football, 2-3 sur le rugby et parfois quelques lignes sur le rugby féminin. Donc c’est quelque chose que je déplore, et dans beaucoup de sports, je pense aussi aux minorités, le monde de l’handisport, d’autres sports féminins, autre que le foot et autres sports majeurs en France, on a une très petite place dans les médias.
Aujourd’hui par contre il y a un fabuleux moyen de communication, ce sont les réseaux sociaux. Cela nous permet déjà de pouvoir promouvoir notre sport, et de voir que l’on peut attirer des gens qui veulent nous suivre dans notre parcours de sportif, de sportive… Suivre nos résultats, voir comment on s’entraîne, et on arrive à fédérer une communauté autour de nous. Derrière, on a quand même quelque chose d’important pour nous, c’est la visibilité à la télévision.
Depuis 2014, nos matchs passent à la TV, notamment sur France Télévisions, qui aujourd’hui est regardé par beaucoup de personnes en France, et nous permet de suivre les compétitions, et de voir cet élan derrière nous, et des gens qui regardent : il y avait pour le match France – All Blacks en 2018, une victoire historique pour le XV féminin, avec 18 000 personnes au stade de Grenoble et un pic à 3 millions à la TV. Ces chiffres sont énormes et on voit qu’il y a un engouement pour le rugby féminin en France.
En quoi les sportives pros sont confrontées à plus de barrières ?
La première chose à laquelle je pense, c’est forcément que quand on est une femme on aspire souvent à avoir des enfants, une vie de famille, et c’est ce qui peut arrêter une carrière prématurément. Par rapport aux hommes qui peuvent eux librement vivre de leur passion et continuer à jouer au rugby sans que se pose la question de porter un enfant.
Le deuxième point auquel je pense, c’est aussi le manque de moyens qu’on peut avoir dans le sport féminin et le rugby féminin. Aujourd’hui, dans tous les clubs d’élite et de haut niveau, les joueuses sont amateurs, c’est à dire qu’elles ont un boulot, toute la semaine, elles font leurs 35 heures voire plus pour certaines, et ensuite elles viennent s’entraîner tous les soirs au club: muscu, entrainements collectifs, plus le match le week-end… Donc c’est une part importante de leur emploi du temps, et aujourd’hui on a pas d’argent pour jouer au rugby, ce qui peut aussi poser des problématiques financières, car on perd plus d’argent à jouer au rugby que si on n’en faisait pas, donc on peut vouloir privilégier une carrière professionelle dans la vie « normale » plutôt que de vouloir exceller dans son sport et continuer de jouer à haut niveau.
Comment donner plus de visibilité au sport féminin ?
On pourrait donner plus de visibilité au sport féminin par des politiques de féminisation, des campagnes publicitaires autour du sport du sport féminin pour inciter les jeunes filles à venir dans les clubs faire du sport féminin. Et il y a une grande chose qui a fait évoluer le sport féminin, c’est les quotas.
On a beaucoup plus de sport à la TV, en 2012 je crois qu’on était à 7% de retransmission de matchs féminins ou de rencontres féminines, aujourd’hui on a passé la barre des 23% de retransmission féminine, donc on voit grâce aux quotas notamment aux journées de la Femme, du sport féminin à la TV, on en parle un peu plus et ces quotas permettent au diffuseur de montrer beaucoup plus de sport féminin dans son ensemble. C’est quelque chose qui a du bon, car tout le monde se bouge pour faire évoluer les choses.
Un conseil pour une jeune fille qui souhaite devenir pro ?
Je crois que je n’ai pas vraiment de conseil à donner, car je pense qu’avant tout une joueuse de rugby est une joueuse passionnée, qui adore son sport et qui donne sans compter, pour moi c’est ça la priorité des choses. Ensuite, ca vient naturellement, les sélections, l’envie de connaître de belles choses en équipe de France. Mais en tout cas la difficulté aujourd’hui c’est de pouvoir concilier les deux. C’est beaucoup d’organisation, d’adaptation permanente.
Mais quand on est passionné on fait les choses avec beaucoup d’enthousiasme et assez naturellement. Même si on aimerait que les choses soient moins compliquées, avec plus de moyens pour le sport féminin, notamment avoir plus de sponsors, je fais appel à vous, si vous avez envie d’inverstir dans le sport féminin surtout n’hésitez pas, on en a besoin et ça aidera beaucoup de jeunes filles à réaliser leur rêve et s’accomplir dans leur vie professionnelle et de sportive de haut niveau.
Quelles sportives vous inspirent ?
Il y a beaucoup de sportives qui m’inspirent, la première qui m’a inspiré c’est Marie-José Pérec. J’étais petite, j’étais athlète et c’est quelque chose qui m’a marqué, de pouvoir la voir à la TV, voir ses grandes jambes dérouler, qu’elle gagne plein de médailles, son élégance sur un terrain… Elle était vraiment majestueuse dans sa foulée, pour moi c’était une athlète formidable avec laquelle j’avais vraiment envie de m’identifier plus jeune. Et c’était vraiment une des premières à percer dans le sport féminin.
Plus récemment, une athlète que j’adore, c’est une judokate, c’est Clarisse Agbegnenou, qui a vraiment un tempérament de guerrière sur un tatami, qui dégage beaucoup de force, d’envie, d’abnégation, elle gagne tout et on a l’impression que c’est facile pour elle. Mais d’un côté je sais qu’il y a énormément de travail derrière et de remise en question… Ca n’a pas été facile pour tous les sportifs de vivre la période du COVID, elle en a notamment parlé sur les réseaux, elle n’a pas peur d’exposer ses doutes à sa communauté et c’est vraiment un superbe exemple dans le sport féminin.
Des équipes mixtes, possible à l’avenir ?
Alors, des équipes mixtes, on en retrouve dans le rugby à 5. C’est un superbe rugby, qui permet d’allier des hommes et des femmes dans la même équipe. Après c’est sans contact, c’est du jeu à toucher. C’est top cette mixité. Après dans le rugby à XV ou à 7 ca risque d’être compliqué parce que les gabarits ne sont tout simplement pas les mêmes. Et je ne sais pas si à l’avenir on en trouvera, en tout cas nous ça nous arrive en Equipe de France de pouvoir jouer contre des garçons, des équipes espoirs qui nous ont accueillies, nous ont permis de matcher contre eux, de pouvoir nous proposer une belle opposition et en même temps se jauger.
Pas sur le niveau mais pour voir autre chose qu’entre filles. C’était une belle collaboration, et j’ai souvenir aussi à Rennes quand je m’entraînais avec l’équipe universitaire qu’on jouait garçons contre filles, ou des équipes mixtes. Tout va plus vite chez les garçons car ils vont plus vite que nous naturellement, ce qui nous force à anticiper et avoir une vision plus rapide pour les attraper avant qu’ils ne courent trop vite…