Décryptage

Les origines de la musique électronique

22 décembre 2021
Par Auxence
Les origines de la musique électronique

La musique électronique, ou électronique ou juste électro, est un vaste genre musical aussi riche et varié que le rock et le hip hop. Impossible d’en faire le tour, donc, c’est pourquoi je vous propose de retracer les grandes lignes de ce mouvement aussi artistique que culturel, lié tant à la libération hippie qu’à l’avancée technologique permettant de produire de la musique chez soi et en club. Vous saurez tout, de la musique concrète au dubstep en passant par la synthpop et le trip hop.

Aux origines de la musique électronique : les années 1950-60

La musique électronique (abrégée en « électro » bien que l’électro soit un sous-genre très spécifique) est une famille musicale qui regroupe toute instrumentation électronique qui n’utilise pas d’instruments traditionnels mais de la manipulation et du collage sonore en guise d’ossature.

Au milieu des années 1950, des ingénieurs du son et des compositeurs aventureux se lancent dans des expérimentations sonores avec des bruits d’objets et des effets sonores, comme des boucles, de la réverbération, du bruit et du sampling. De là apparaissent l’électro-acoustique et la musique concrète, deux genres musicaux qui s’appuient sur des objets du quotidien pour produire de la musique, partant comme leur nom l’indique du concret pour aller vers l’abstraction musicale. Au sein du Groupe de Recherche de Musique Concrète, des musiciens français comme Pierre Schaeffer, Pierre Henry et Philippe Arthuys s’évertuent à renouveler la conception que leurs contemporains ont de la musique, en cherchant à s’éloigner de l’académisme de la musique professionnelle. Ce qui n’empêche pas certains compositeurs, tels Edgard Varèse, Bernard Parmegiani et Karlheinz Stockhausen, à créer leurs propres œuvres mêlant électro-acoustique, classique moderne et avant-gardisme.

Dans les années 60, des musiciens cherchent à infuser des mélodies et rythmes appréciables par le grand public, afin que l’électronique ne se limite pas à un genre avant-gardiste de niche. Les Pays-Bas, dont la culture de la musique électronique est légendaire, abritent certains pionniers de l’électronique pure, parmi lesquels Dick Raaijmakers, Tom Dissevelt et Kid Baltan. L’exubérant Raymond Scott, compositeur américain venant de la musique de cartoon, révolutionne l’électronique en y incorporant des synthétiseurs, des mélodies entêtantes et des influences extérieures, comme le jazz, le lounge et la pop.

 


La révolution synthpop : le monde se met à l’heure de la musique électronique

Dans les années 1960, quelques groupes de rock atteignent la reconnaissance critique en intégrant de l’électronique, mais cela se cantonne aux cercles avant-gardistes, comme Silver Apples et White Noise. Ce n’est qu’une décennie plus tard, et alors que la musique à synthé gagne en popularité grâce à la new wave, que la synthpop fait son entrée. S’inspirant de la new wave, du rock progressif et de l’électronique ambiante de Terry Riley, Tangerine Dream et Cluster, la synthpop met un point d’honneur à faire du synthétiseur (comme son nom l’indique) l’élément central de sa musique dansante, funky et robotique. Le groupe allemand Kraftwerk, qui s’attache à représenter l’âge déshumanisé des ordinateurs et des autoroutes, parvient toutefois à véhiculer des émotions fortes via ses mélodies intemporelles.

Dans les années 1980, la synthpop domine les charts et la musique électronique en général, accouchant de formations au succès mondial comme Depeche Mode, Orchestral Manœuvres in the Dark, The Human League, Pet Shop Boys, Soft Cell ou Tears for Fears. C’est alors la première grande percée de l’électronique dans la musique pop, et inversement.

 

Parmi les utilisations de l’électronique qui participent de son succès, on compte aussi son apparition dans le cinéma, et notamment dans les bandes-sons de films d’horreur américains et italiens (le groupe Goblin qui joue la bande-son de Suspiria d’Argento), ainsi que dans la musique des jeux vidéos, surtout au Japon où naît la « bit music », une forme mignonne d’électronique qui rappelle l’enfance et les jeux rétros.

Les années 80-90, le règne de l’Electronic Dance Music

Vers la fin des années 80, il y a une autre tendance qui se profile, qui va guider la musique électronique jusqu’à aujourd’hui, ce que l’on appelle l’Electronic Dance Music ou EDM. Plus dansante, plus folle, plus rythmée, elle prend ce qu’il y a de plus attractif dans le disco, le R&B et la funk pour les électroniser. Comme le progrès technique et la baisse du coût des technologies musicales (boîtes à rythmes, synthétiseurs, samplers…) permettent aux DJs de mieux produire et mixer, les scènes musicales se multiplient, donnant naissance à la techno et la house, populaires en Europe où se produit le « Second Summer of Love », sorte d’âge d’or de la house qui à l’été 1988 et 1989 démocratise l’ecstasy et les raves parties. Les clubs se partagent entre ceux qui jouent des formes accessibles d’EDM (trance, eurodance, psybient…) et ceux qui, comme aux Pays-Bas, jouent des formes plus sauvages (hardcore, gabber, schranz…). À Ibiza, pèlerinage de tous les clubbers d’Europe, on joue une musique électronique particulièrement relaxante (ibiza trance, balearic beat, downtempo…), prétexte à tous les plaisirs acides. La scène de Bristol s’en inspirera directement pour concevoir le trip hop, « trip » car c’est une musique trippante et « hop » car ses beats et son chant rappellent directement le hip hop et le R&B. Massive Attack fera aimer ce genre au monde entier.

Des DJs comme Frankie Knuckles, Jeff Mills et Larry Levan deviennent des stars de l’électronique, et chaque ville détenant une scène « électro » underground exporte sa signature, comme le triptyque Détroit, Chicago et Berlin. Tout ce beau monde s’entre-influence, la techno et la house donnant naissance à la tech house, la house et la trance donnant naissance à la progressive house, et, en France, la house, qui fricote avec la funk, génère la French House ou « French Touch ». Les ambassadeurs de la French House, Daft Punk, propulsent l’EDM en orbite grâce à leurs albums Homework et Discovery, ce qui inspirera plus tard des groupes comme AIR, Justice, SebastiAn et Bob Sinclar.

Cela ne signifie pas pour autant que le monde entier a vendu son âme à l’EDM. Quelque part, des DJs réticents à la musique dansante s’insurgent contre l’image de musique « superficielle de drogué » dont peut souffrir l’électronique. Ces DJs, formant une masse hétérogène mais animés par la même envie de revitaliser l’électronique de salon, sont regroupés sous le terme d’Intelligent Dance Music, ou IDM. Indansable et cérébrale, ramenant l’idée qu’un DJ peut aussi être un auteur virtuose comme au temps du jazz et du rock progressif, l’IDM accueille des formations telles que Boards of Canada, Aphex Twin, Autechre, Plaid et Squarepusher, qui bousculent les lignes de ce qu’il est possible de faire avec les textures et la polyrythmie.

En savoir plus : Warp, l’histoire du label des pionniers de l’electro

Les années 2000 : quelques grandes tendances à discerner

Sommairement, le nouveau millénaire contient sa part de richesse musicale et d’innovations, reflet d’une ère post-Internet qui aspire à changer tous les codes. L’électropop, pure fusion de l’électronique et la musique pop, est une version très accessible de l’EDM, qui peut aisément passer sur les ondes. Lady Gaga, The Knife, Gorillaz, Lorde, Carly Rae Jepsen ou encore M.I.A. et Junior Boys sont de cette génération. La scène française n’est pas en reste avec Madeon, Christine and the Queens, Paradis, ou même Indochine qui met un peu la synthpop de côté, trop connotée 80s, pour rejoindre la mouvance.

 

La passion pour l’Electronic Dance Music ne faiblit pas, au contraire, et s’enrichit même de nouvelles influences : la rencontre avec la dub music venue de Jamaïque a pour résultat le dubstep, celle avec la house donne l’electro house, celle avec la new wave donne l’electroclash, celle avec l’Afrique donne le coupé-décalé… la liste est sans fin et donne un aperçu de la vitalité du genre.

Toujours pour vous donner un ordre d’idée de l’étendue de cette musique, sachez que toutes les fusions ont été tentées dans les années 2000-2010. Par nostalgie pour les musiques électroniques des années 1980, cette époque tant associée aux claviers, des producteurs remettent la musique rétro-futuriste au goût du jour, comme Kavinsky et College en France, formant la synthwave. Des artistes indépendants émergent de partout, incorporant par exemple des sensibilités folkloriques dans leur musique (la folktronica : Four Tet, Manitoba, múm…), les mélodies introspectives de la pop indé (l’indietronica : LCD Soundsystem, The Postal Service, Broadcast…) ou même des musiques un peu désuètes comme le swing (donnant l’electroswing de Parov Stelar) ou le tango (donnant l’electrotango de Gotan Project).

Les années 2010 : le futur est déjà là ?

Finalement, les années 2010 marquent un pic de popularité pour l’EDM, avec l’entrée de morceaux d’EDM dans le top 40 et l’apparition vers 2009-2010 de gros labels dédiés à des incarnations ultra-léchées et engageantes de cette musique : brostep, complextro, fidget house, purple sound, trap, future bass, etc. Le DJ et producteur musical Skrillex, vitrine de la nouvelle génération d’EDM, fonde le label OWSLA. D’autres producteurs sont notoires : Zedd, Porter Robinson, Rustie, Skream, Caspa, Excision… Et d’autres labels propagent une musique aux accents futuristes, comme Monstercat, spécialisé dans la musique de festival, ou PC Music, rendu célèbre pour sa signature ultra-féminine et excentrique, le bubblegum bass, avec des artistes comme SOPHIE, Charli XCX ou Hannah Diamond. Au Japon, le « kawaii » (« mignon ») est le mot d’ordre, qu’incarnent assez bien des DJs comme Snail’s House et bo en.

 

L’électronique s’infiltre partout, même dans les festivals métal où des DJs produisent un genre d’électronique dense et texturé, s’inspirant des ambiances de film d’horreur et l’esthétique du black metal. C’est la darksynth et la witch house, deux genres par exemple représentés par Carpenter Brut, Perturbator, GosT, Dance With the Dead ou Unison.

Difficile de prédire ce qui arrivera ensuite, tant l’électronique évolue à pas de géants… on sait par exemple qu’elle aime faire la synthèse de toutes les évolutions musicales passées pour mieux les transcender, comme en témoigne l’indéfinissable vaporwave (écouter 2814 ou death’s dynamic shroud) ou des musiques explosives, dépassant la barre des 1000 battements par minute, comme le splittercore et l’extratone.

© Visuel : Antoine Julien sur Unsplash
Article rédigé par
Auxence
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