Décryptage

La Nuit du chasseur : pourquoi c’est culte ?

06 juillet 2020
Par Auxence
La Nuit du chasseur : pourquoi c’est culte ?
©Wikipédia

Vous ne comprenez pas pourquoi tout le monde parle de ce film ? Vous ne connaissez pas cette fameuse réplique ou n’avez pas vu cette incroyable scène ? Pas d’inquiétudes, chaque mois, on vous aide à y voir plus clair et on vous explique en 4 points pourquoi c’est culte. Et ce mois-ci, parlons d’un classique du septième art, le sinistre La Nuit du chasseur, en attendant d’en savoir plus sur le remake annoncé qui devrait se dérouler de nos jours.

La lourde tâche d’un réalisateur novice

490px-Charles_Laughton-publicity2Sorti en 1955, La Nuit du chasseur (The Night of the Hunter) est un film de Charles Laughton, jusque là connu en tant qu’acteur hollywoodien, que l’on a pu voir dans le rôle-titre de L’île du docteur Moreau (1932) ou encore Quasimodo, le bossu de Notre Dame (1939). Pour son premier (et seul) film en tant que réalisateur, Laughton se donne la lourde tâche d’adapter le roman de Davis Grubb sorti deux ans auparavant. S’il ne manque pas d’ambitions, il doit faire face à l’impossibilité de retranscrire la richesse du livre, dont il évacue en partie le portrait amer d’une Amérique en pleine Grande Dépression et en proie à la corruption. Il doit également prendre en compte la force politique de la communauté chrétienne qui attend beaucoup d’un tel récit à dimension biblique. Enfin, Laughton possède le défaut de tous les débutants, celui d’être peu confiant en ses capacités et d’absorber tous les conseils qu’il entend autour de lui, quitte à se laisser porter par sa propre passion pour les films muets, dont il entend retranscrire la puissance dans un film parlant.

Pour en venir à l’histoire, celle-ci raconte les méfaits de l’autoproclamé « révérend » Harry Powell (Robert Mitchum), un tueur en série tout juste sorti de prison, dont il partageait la cellule avec un détenu qui lui a parlé avant de mourir d’un magot de $10,000 caché quelque part. Débarqué dans une bourgade où Willa Hunter (Shelley Winters), l’épouse du codétenu, réside avec ses deux jeunes enfants John et Pearl (Billy Chapin et Sally Jane Bruce), Powell veut prétendument faire peau neuve en prêchant la bonne parole. Vu comme un ange tombé du ciel par les habitants crédules, les deux jeunes enfants se rendent vite compte que le révérend a ses méthodes bien à lui pour obtenir une confession de la veuve éplorée… une situation qui ne peut qu’empirer quand Powell épouse Willa et prend en grippe les enfants !

Robert Mitchum livre une prestation dantesque, le reste du casting est à la hauteur

La-Nuit-du-chasseurRobert Mitchum, grand ami de Laughton et acteur accompli au moment de la sortie de ce film (La Griffe du passé, Un si doux visage…), est ici au sommet de sa carrière. Aussi fascinant que terrifiant, son personnage de missionnaire de Dieu dissimulant des arrière-pensées bassement criminelles va à contre-courant de toutes les conceptions morales que le public connaît alors. Des mots de Shelley Winters elle-même, le révérend est comme une araignée dont les veuves sont inexorablement attirées par la toile. On comprend facilement le charisme magnétique exercé par ce révérend en toc auprès des habitants, d’autant plus que ce dernier a le sens du spectacle : sur ses phalanges, les inscriptions « L-O-V-E » et « H-A-T-E » sont une métaphore parfaite de la dualité Bien/Mal, depuis reprise abondamment par la pop culture.

Mais il s’agirait de ne pas omettre le jeu très convaincant des deux enfants, ou encore celui de la grand-mère Rachel Cooper, recueilleuse d’orphelins, jouée par une Lillian Gish bluffante.

Une esthétique dont le cinéma moderne prend toujours des notes

Le film de Laughton est aussi et surtout célèbre pour son esthétique particulière, fortement influencée par le cinéma expressionniste allemand des années 1920 ainsi que les films noirs des années 40. Filmé en noir et blanc, le contraste permanent qui est créé par des arrangements de lumière renforce la dualité chrétienne entre le jour (le Bien moral, l’innocence) et la nuit (la peur, le mal qui rôde dans la pénombre), allégorie certes classique mais d’une puissance visuelle comparable à une peinture. Si le monde qui environne les deux enfants paraît minimaliste et abstrait, c’est justement par volonté expressionniste de symboliser leur vision candide et manichéenne du monde, opposée au monde compliqué et en trompe-l’œil des adultes. La bande-sonore, écrite et composée par Walter Schumann, vient renforcer l’atmosphère nostalgique et irréelle qui imprègne le récit.

Reçu tièdement à sa sortie, il est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs films de tous les temps

Il était couru d’avance que le film ne ferait pas consensus, effet sans doute recherché par Laughton que la carrière à Broadway puis Hollywood avait habitué aux rôles de monstres et de désaxés. Tant l’ambiance étrange et brumeuse qui habite le film que le rôle ambigu de l’autorité religieuse, dont le pouvoir habille un loup en chien de berger, ont constitué un dossier à charge aux yeux d’associations protestantes outrées. On lui reprocha également sa naïveté en décalage avec le propos de Davis Grubb, tournant au mélodrame et au conte de Noël.

Pourtant, cela n’empêchera pas le film de passer gracieusement à la postérité. Film culte confidentiel dans les années 70, La Nuit du chasseur reçoit les ovations de la critique moderne : les Cahiers du Cinéma le nomment deuxième plus beau film de tous les temps, 71e meilleur film par le magazine Empire, tandis que le personnage du révérend a inspiré des générations de salauds. Son discours moralisateur, loin de la réalité de ses propres crimes odieux, en fait selon l’American Film Institute le 29e meilleur vilain de tous les temps… On retiendra que lorsque Robert Mitchum se laisse aller à la « haine » plutôt que « l’amour », tout le monde en redemande !

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Auxence
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