Telles Héloïse ou Iseut, Manon Lescaut demeure un symbole « d’immoralité » dans l’Histoire. Pourtant, comme ses consœurs, son parcours fictif, narré dans le roman de l’abbé Prévost, en fait l’incarnation des femmes éprises qui gardent pourtant leur lucidité face aux grands sentiments.
Un roman dans un autre
Au départ, Manon Lescaut s’inscrivait dans un ensemble plus vaste, Les Mémoires et Aventures d’un homme de qualité, rédigé entre 1728 et 1731, dont L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut est le 7ème tome. Le héros de ce récit, Renoncour, n’est pas le protagoniste principal de cette partie de l’œuvre, mais son narrateur. En effet, il apprend de la bouche de Des Grieux la tragique aventure qu’a vécue ce jeune aristocrate avec Manon Lescaut, et la consigne.
Un amour immoral mais tragique
Cadet d’une famille aristocratique, Des Grieux a dix-sept ans lorsqu’il rencontre Manon Lescaut, une beauté destinée par ses parents à une vie au couvent. C’est le coup de foudre. Des Grieux enlève la jeune femme et part à Paris. Le roman montre bien vite que l’amant et la maîtresse n’ont pas le même rapport à la moralité : lui est amoureux transi, elle se laisse séduire facilement par des hommes plus vieux et surtout riches.
Au fil des pages, le couple va osciller entre fortune et misère, au gré de péripéties de plus en plus tragiques, entre incendies de maison, trahison de « client » de Manon et enfermements. Toujours, entre Des Grieux et sa compagne, un lien affectif plus fort que le destin parvient à les maintenir ensemble.
Une figure controversée mais libre
Le sel de Manon Lescaut vient bien sûr de son personnage éponyme. La jeune femme parvient à conquérir ses amants avec une grande facilité, mais toujours, semble-t-il, au profit de son « ménage ». L’amour que lui porte Des Grieux suffit à son cœur, et c’est bien à l’argent qu’elle pense lorsqu’on la courtise pour profiter de ses charmes.
Dissolue, dépensière et libertine, elle n’est en rien débauchée, et elle reste fidèle, en quelque sorte, à un jeune aristocrate épris et manifestant une grande gentillesse à son égard. Elle lutte, avec ses propres armes, contre la fatalité et la pression sociale qui accablent souvent son couple, même si leur destinée à tous deux les conduit vers une fin tragique.
Sa quête de plaisir, longtemps décrite comme immoral, apparaît avant tout comme une manifestation de la liberté. Destinée, en raison de son extraction, soit au couvent soit au lupanar, Mademoiselle Manon Lescaut cherche une « voie du milieu », qui lui permet de réunir les conditions de vie commune avec Des Grieux, son grand amour, sans renoncer à la chair et au lucre.
Vraie incarnation d’une certaine émancipation, cette héroïne du XVIIIe siècle a depuis lors fasciné de nombreux écrivains, de Michelet à Montesquieu, pour sa capacité à brouiller les lignes et à apparaître comme un esprit autonome, et non l’objet de quelque fantasme masculin.