Graeme Simsion est un auteur australien qui a connu un succès fulgurant avec son premier roman, Le Théorème du homard (ou comment trouver la femme idéale). S’en est suivi Comment devenir le père idéal ? (ou Le Théorème de la cigogne), puis Le Best Of d’Adam Sharp. À l’occasion de la parution de ce dernier roman en France, nous avons rencontré l’auteur.
Dans une autre vie, vous étiez consultant en informatique. Comment en êtes-vous venu à écrire votre premier roman à 50 ans ?
Graeme Simsion : « Alors que je travaillais comme consultant dans le secteur des technologies de l’information, j’ai lu un livre de Joe Queenan, un critique de films américain, intitulé The Unkindest Cut. Il y raconte comment il a essayé de faire un film avec un très petit budget… et comment cela l’a conduit à faire un très mauvais film. Après avoir lu ce livre, j’ai dit à ma femme : nous devons le faire, ça a l’air tellement drôle ! J’ai réussi à la convaincre et nous sommes partis d’un manuscrit qu’elle avait écrit mais qui n’avait pas été publié. Je l’ai adapté en scénario et après avoir auditionné tous nos amis (dont aucun n’était acteur professionnel), nous avons fait un film de 90 minutes. C’était un drame… et c’était affreux ! Tout le monde partageait cet avis.
Cependant, un producteur de film australien l’a vu et il a dit : « bon, ce film est affreux, mais au moins, le scénariste savait ce qu’il faisait. » C’était moi ! Je me suis dit : « Je pourrais être scénariste ! ». J’avais toujours rêvé d’écrire un roman, mais je ne m’en étais jamais senti capable. Alors j’ai pensé que peut-être je pourrais écrire un scénario. J’ai vendu mon entreprise, je suis retourné à l’université, j’ai étudié l’écriture de scénarios, et j’ai passé cinq ans à travailler sur un projet (sans finalité, mais au moins, j’apprenais)… et une fois terminé, je l’ai appelé Le Théorème du homard (The Rosie Project).
Je n’ai trouvé personne pour réaliser le film, parce que tout le monde préférait adapter des romans à succès. Je me suis donc dit : « bon, j’ai appris beaucoup de choses, peut-être que maintenant, je pourrais écrire un roman. » J’ai donc écrit un roman : Le Théorème du homard. »
Parlez-nous un peu du Best Of d’Adam Sharp…
« J’ai donc commencé par écrire mes deux premiers livres, Le Théorème du homard et Le Théorème de la cigogne. Le premier parle de tomber amoureux, le deuxième de le rester, de vivre une relation de longue durée. D’ailleurs, beaucoup de gens qui lisent uniquement des livres autour de rencontres ou de coups de foudre n’ont pas tellement aimé ce deuxième livre.
Je me suis dit qu’il serait intéressant d’écrire un livre qui comparerait ces deux états, j’ai donc imaginé un livre sur un personnage qui serait tombé amoureux de quelqu’un pendant sa jeunesse et qui, par la suite, aurait continué de penser que c’était la personne qu’il aurait dû épouser. Plus tard dans sa vie, il est installé avec quelqu’un d’autre depuis plus de 20 ans ; c’est confortable, légèrement ennuyeux… et tout à coup, cette femme qui appartenait à son passé reprend contact et lui propose de la rejoindre. Je voulais laisser le choix à mon personnage : va-t-il se remettre avec elle, va-t-il retourner vers la femme avec laquelle il s’était installé, ou peut-être va-t-il faire quelque chose de complètement différent ? C’était mon idée de départ.
Il y a une histoire vraie derrière ce roman. J’étais en France, dans le sud de la Bourgogne, avec ma femme. Il y a un homme avec qui elle sortait 30 ans auparavant, qui vit en Angleterre et avec qui elle était restée en contact. Il a donné des nouvelles pour dire qu’il s’était séparé de son épouse. Ma femme a donc proposé que nous l’invitions à venir passer quelques jours chez nous. Je lui ai répondu que c’était hors de question ! Je détestais cet homme, nous étions rivaux ! Mais elle m’a finalement convaincu… Il est venu chez nous et tout s’est bien passé. Mais je me suis demandé : que serait-il arrivé si ma femme et lui s’étaient retrouvés, s’ils avaient pensé qu’ils étaient faits l’un pour l’autre ? »
Ce n’était pas trop difficile d’abandonner les personnages de vos deux premiers livres ?
« Non, je voulais vraiment faire quelque chose de différent ! Vous constatez : « tiens, je peux écrire un livre ! », puis vous en venez à vous demander : « peut-être que je ne peux écrire qu’avec ces personnages-là ? ». Vous ne pouvez jamais être certain de ce genre de choses. J’étais un peu lassé de ces personnages, je me suis dit que je pourrais les retrouver plus tard. En attendant je voulais faire autre chose, et j’ai vraiment pris du plaisir à écrire ce nouveau livre en reprenant tout à partir du début ! »
C’est un livre dans lequel la musique est très importante. Quel rôle y joue-t-elle ?
« Oui, c’est une part très importante du livre. Une des choses que je voulais explorer, c’est la façon dont la musique devient le principal exutoire émotionnel de certaines personnes. Cela concerne en particulier des hommes que vous ne verrez jamais pleurer, sauf quand ils écoutent certaines chansons. Ils ne pleureront jamais en lisant une romance (surtout pas !), mais quand il écoutent une chanson d’amour, c’est différent… Je voulais donc réfléchir au rôle que peut avoir la musique dans la vie des gens, en particulier la musique populaire, c’est pourquoi j’ai imaginé que mon héros, Adam Sharp, serait un pianiste et qu’il jouerait à des quizz dans les pubs. De cette façon, la musique fait réellement partie de l’intrigue. J’ai aussi eu l’idée, grâce à mon expérience de scénariste, de structurer le livre autour d’une bande-son. Bien sûr, vous ne pouvez pas entendre cette musique, mais vous pouvez l’avoir en tête : j’ai choisi des chansons que les gens connaissent et qu’ils peuvent retrouver à la fin du livre. Je voulais que toutes les chansons soient intégrées à l’intrigue, qu’elles y trouvent leur place. Le fait qu’Adam soit pianiste a simplifié les choses ! »
Vous associez donc la musique à la mélancolie…
« Oui, en grande partie ! Vous savez, toute chanson est quelque part une chanson d’amour, et les chansons d’amour ont tendance à être tragiques. Mais il y a tout de même quelques chansons joyeuses dans le livre, comme Champagne Charlie, une chanson sortie il y a des millions d’années, ou encore Walking on Sunshine… et d’autres chansons de ce genre. Ce qui se passe avec Adam, c’est qu’il est engagé dans cette relation stable et ordinaire, mais quand il s’isole dans sa chambre, qu’il met son casque sur les oreilles et qu’il écoute une chanson, à qui pense-t-il ? »
C’est aussi un livre sur la notion de seconde chance et sur la façon dont nous composons avec notre passé…
« Oui, exactement ! En particulier sur la façon dont nous gérons notre passé, et la question de la seconde chance est là en sous-texte. Mais le grand thème du livre, c’est effectivement, et de manière assez sérieuse, la façon dont nous composons avec notre passé. Est-ce que nous devons nous en détacher et l’oublier, est-ce que nous l’idéalisons, en essayant de nous y accrocher, est-ce que nous le laissons nous rattraper et changer notre vie actuelle ? Dans le livre, vous trouvez des personnages qui adoptent chacune des ces attitudes. La belle-mère d’Adam ne se remet pas de la mort de l’enfant qu’elle a perdu – il continue en quelque sorte à vivre avec elle -, et sa mère à lui idéalise son père absent. »
Une partie de l’action se déroule en France, près de Mâcon : un endroit qui a une signification particulière pour vous ?
« Il y a trois choses dans le livre. D’abord, la grande histoire d’amour d’Adam, qui lui vient de ses 20 ans, et qui a pris place en Australie, sous le soleil, là où tout est plus drôle, où personne ne se fait des nœuds au cerveau, dans une certaine atmosphère ! Ensuite, il part en Angleterre, dans le Nord, où le temps est morose… Pour la suite, je voulais un endroit où tout pouvait arriver, où les règles pouvaient être contournées. La France me semblait être le bon endroit pour imaginer un genre de comédie charnelle ! »
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Parution le 4 octobre 2018 – 432 pages
Traduit de l’anglais par Odile Demange
Le Best Of d’Adam Sharp, Graeme Simsion (NiL) sur Fnac.com
Aller + loin : Le regard de l’éditeur : Claire Do Sêrro, directrice littéraire des éditions NiL