Critique

Une brève histoire des sorcières avec Mona Chollet, lauréate du prix Psychologies Fnac

25 août 2018
Par Mathilde1
Une brève histoire des sorcières avec Mona Chollet, lauréate du prix Psychologies Fnac

Filles de Satan, accompagnées d’un chat noir, responsables des mauvaises récoltes, des maladies et de tous les maux de la société, les sorcières ont été lynchées pendant plusieurs siècles. Et si cette chasse aux sorcières était en fait une guerre contre les femmes ? C’est le postulat de Mona Chollet qui dans Sorcières, la puissance invaincue des femmes, dresse un portrait des nouvelles sorcières, celles du XXIe siècle.

sorcières - mona chollet

Sorcière = bouc-émissaire

Oubliez Hermione Granger, et l’univers de Harry Potter. Ici, la sorcière invoquée dans l’essai de Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, est l’ennemi ultime de la société, le bouc-émissaire à abattre pour rétablir l’ordre social.

C’est au début du Moyen-Âge que les pratiques dites de sorcellerie (qui se résumaient souvent à l’utilisation d’herbes et d’onguents) sont condamnées : Clovis promulgue la Lex Salica et, en 1326, Jean XXII met en place une chasse aux sorcières, persécution systématique qui s’étend pendant quatre siècles. Les 110 000 procès qui eurent lieu en Europe étaient bien souvent fondés sur des suspicions… sans fondement. Les procès ne laissaient aucune chance aux victimes, comme en témoigne l’épreuve du bain rapportée par Mona Chollet : ladite sorcière était jetée à l’eau, si elle flottait, c’était une sorcière à exécuter, si elle coulait, elle était innocente !

 « Les sorcières illustrent d’abord l’entêtement des sociétés à désigner régulièrement un bouc émissaire à leurs malheurs, et à s’enfermer dans une spirale d’irrationalité, inaccessible à toute argumentation sensée, jusqu’à ce que l’accumulation des discours de haine et une hostilité devenue obsessionnelle justifient le passage à la violence physique, perçue comme une légitime défense du corps social », affirme la journaliste au Monde Diplomatique.

Qui est visé ? se demande Mona Chollet : la sorcellerie, ou de manière plus pernicieuse, la femme ? 80% des executés étaient des sorcières et non pas des sorciers : « il paraît difficile de ne pas déduire que les chasses aux sorcières ont été une guerre contre les femmes. ».

Prix de l’essai Psychologies – Fnac 2019

Sorcières, la puissance invaincue des femmes a remporté le prix Psychologies – Fnac 2019 qui récompense un essai « qui aide à mieux vivre sa vie ». Créé en 2006 par Psychologies magazine et la Fnac, le jury était cette année présidé par Jean-Marc Savoye, lauréat de l’année précédente pour Et toujours elle m’écrivait.

Grâce à ce prix, l’auteure sera reçue dans les magasins Fnac pour aller à la rencontre de ses lecteurs, sous l’arbitrage de Christilla Pelle-Douel de Psychologies Magazine.

Les sorcières sont revenues !


La figure de la sorcière, victime censurée et opprimée mais aussi « rebelle obstinée et insaisissable » a été récupérée par certains courants féministes, notamment dans les années 1970. « Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler », « Tremblez, tremblez, les sorcières sont revenues ! », scandaient de célèbres slogans. Les féministes s’approprient la puissance des sorcières, et la revendiquent. On assiste à la création de la revue Sorcières à la fin des années 1970 sous la direction de Xavière Gauthier. Plus récemment, Isabelle Cambourakis a choisi de nommer sa collection féministe « Sorcières ». Aujourd’hui, quelques femmes engagées se proclament véritables sorcières, comme Starhawk aux États-Unis !

Les nouvelles sorcières


On ne brûle plus les femmes, on ne les jette plus dans l’eau. Pourtant, il existe de nouvelles sorcières, pointées du doigt par la société qui les accuse de bouleverser l’ordre établi. Elles n’ont pas de chaudron magique, ni de balai ou de rites incantatoires, pourtant elles seraient tout aussi nuisibles : qui sont-elles ?

Mona Chollet en distingue trois types, qu’elle développera sur plus de 200 pages : la femme indépendante, la femme sans enfant et la femme âgée.

Première sorcière, la femme indépendante, qui a toujours eu l’air suspect. On l’imagine seule et triste entourée de ses chats, attendant que le Prince Charmant vienne toquer à sa porte, plutôt qu’affirmée et épanouie. La célibataire est une menace puisqu’elle conteste la norme : le couple. En convoquant la pop culture, l’essayiste nous permet de questionner nos représentations. En témoigne Liaison fatale où la mère de famille dévouée et aimante s’oppose à la folle éditrice célibataire qui fera vivre un cauchemar au héros du film, joué par Michael Douglas. Conclusion : les femmes indépendantes sont des femmes dangereuses.

Deuxième sorcière, la femme sans enfant. Encore une fois, la société conteste son mode de vie et la considère comme une carriériste égoïste, incapable de s’attendrir devant un nourrisson, qui, un jour ou l’autre, regrettera forcément son choix. Et il sera trop tard pour faire machine arrière. Mona Chollet, quarante-cinq ans, a décidé de ne pas avoir d’enfant : une décision qu’elle doit sans cesse justifier et qui a provoqué plusieurs ruptures amicales. Elle nous invite à nous demander pourquoi nous voulons des enfants, au lieu de partir du postulat que c’est naturel. Mona Chollet donne la parole, ce qui est rare, aux femmes qui ont regretté leur maternité et qui, a posteriori, auraient préféré s’épanouir en tant qu’individu plutôt que de sacrifier leur énergie au foyer.

Troisième sorcière, la femme âgée. « Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes ; ils ont seulement l’autorisation de vieillir. ». La phrase est de Carrie Fisher, Princesse Leia dans Star Wars, après avoir reçu des messages haineux de la part du public s’attendant à retrouver en 2015 la Leia de 1977 ! Quand les hommes murissent, acquièrent de l’expérience, de la crédibilité et du charme avec les années (l’effert George Clooney), les femmes se flétrissent passées la trentaine et deviennent, au mieux, invisibles. La femme âgée est une horreur, conclut l’auteure.

Ainsi, Mona Chollet s’adresse à la femme qui se reconnaîtra dans ces trois types et la rassure : ces envies sont légitimes et ont le droit d’exister. Mais sa voix sera également entendue par toutes les femmes qui rentrent dans l’actuelle norme en les invitant à réfléchir aux motivations profondes qui sont à l’origine de ces modes de vie. Suis-je en couple car on m’a appris qu’on ne pouvait pas être heureuse seule ? Ai-je envie d’enfant car j’ai l’âge d’en faire ? Pourquoi utiliser des artifices pour masquer mon âge ? Les hommes trouveront également une matière à réflexion et une invitation à accepter les différences plutôt qu’à les craindre.  

Grande sorcière du XXe siècle, Virginia Woolf donne une conférence aux étudiantes de l’Université de Cambridge en 1928. Le thème ? Les femmes et le roman. « Quel rapport, allez-vous me dire, existe-t-il entre ce sujet et une « chambre à soi » ? », interroge-t-elle pour ouvrir le débat.
Pourquoi n’existe-t-il que très peu d’écrivains femmes ? Pourquoi les femmes sont-elles plus pauvres que les hommes ? Pourquoi certains hommes affirment-ils qu’il n’y a rien à attendre des femmes d’un point de vue intellectuel ?
Texte féministe fondateur, Une chambre à soi détaille les barrières dressées contre les femmes qui veulent exister par et pour elle-même, et non pas en tant qu’épouse et mère. Il faut posséder une chambre à soi, une chambre que l’on peut fermer à clef pour disposer d’espace, de temps et d’indépendance pour enfin pouvoir rivaliser avec les auteurs masculins. 
Un texte qui n’a rien perdu de son acuité, 90 ans après.

Parution le 13 septembre 2018 – 256 pages

Sorcières : la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet (La Découverte) sur Fnac.com

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