Avec Frère d’âme, l’écrivain David Diop imagine le drame vécu de l’intérieur par un tirailleur sénégalais pris dans les affres de la Grande Guerre. Sans doute l’un des récits les plus ahurissants de cette rentrée littéraire. Prix Goncourt des Lycéens 2018.
Voyage au bout de l’enfer
Dans Frère d’âme, David Diop raconte l’histoire à la première personne d’« Alfa Ndiaye du village de Gandiol, près de Saint-Louis du Sénégal », parti avec son ami d’enfance Mademba Diop, « son plus que frère », combattre « l’ennemi aux yeux bleus » sur une « terre qui n’a pas de nom ». Mais un jour que le commandant siffle l’assaut, Mademba tombe au combat sous les yeux d’Alfa, impuissant. Rongé par la culpabilité, commence alors pour lui une inexorable descente aux Enfers. La guerre mondiale devient une guerre toute personnelle, motivée par le seul désir expiatoire de vengeance. Elle sera terrible, synonyme d’un voyage sans retour dans l’antre de la folie. Alfa aura beau chercher à se raccrocher à la douceur nostalgique d’une heureuse et innocente enfance africaine, rien ne saura enrayer sa chute.
Combler le vide
À l’origine de Frère d’âme, une émotion : le bouleversement ressenti par l’écrivain David Diop face aux mots violents et douloureux couchés sur le papier par certains Poilus de la Première Guerre mondiale. Une émotion à laquelle a vite succédé une interrogation. Quid des lettres des tirailleurs sénégalais ? Elles existent, David Diop le sait mais n’a pu y avoir accès, les missives restant précieusement gardées parmi les effets personnels de certains d’entre eux. C’est cette absence à combler qui a guidé la plume de l’auteur de Frère d’âme. Le besoin pressant – et nécessaire – d’imaginer les pensées, les peurs et les douleurs de ces jeunes soldats venus d’Afrique tomber sous les couleurs du drapeau français. Un besoin qui prend ici la forme d’un récit fulgurant dont la concision n’a d’égale que son incroyable force. Force des mots qui reviennent encore et encore, tel le chant d’un griot, scander la lancinante et obsédante litanie d’un homme dévasté par la mort et le remords. Force du regard de ce tirailleur, et à travers lui de David Diop, porté sur une France qui « a besoin que nous fassions les sauvages quand ça l’arrange ». Force d’une ode à l’amitié. Et enfin, force universelle d’un monologue imaginaire aussi effroyable que poétique.
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Prix Goncourt des Lycéens 2018
Paru le 16 août 2018 – 176 pages
