Entretien

Devenir booktubeuse : rencontre avec la chaîne Qu’est-ce qu’on lit ?

14 juin 2018
Par Mathilde1
Devenir booktubeuse : rencontre avec la chaîne Qu'est-ce qu'on lit ?

Chaîne Youtube récemment lancée, Qu’est-ce qu’on lit ? emmène le spectateur sur les chemins de la vulgarisation littéraire. Aussi à l’aise pour rendre accessibles des auteurs réputés ou défendre des opinions sur la littérature que pour parler de mouvements littéraires, sans oublier de partager ses coups de cœur récents, la créatrice de la chaîne trouve peu à peu sa place dans l’univers des booktubeurs (aka les youtubeurs qui parlent de livres). Rencontre avec une passionnée.

Quel parcours se cache derrière Qu’est-ce qu’on lit ?

Qu’est-ce qu’on lit : « Après un baccalauréat scientifique, je suis partie en classe préparatoire littéraire au lycée Faidherbe à Lille. Je ne voulais plus faire de mathématiques ! J’ai passé trois ans en classe prépa et c’est cette expérience qui a façonné mon rapport à la littérature et à toute sa richesse. Travailler les dissertations et les commentaires de texte m’a donné des armes pour appréhender des textes très différents et aimer des livres que je ne pensais pas aimer a priori, comme par exemple Claude Simon que nous avons étudié lors de mon année de khûbe (c’est à dire, la deuxième année de khâgne). À la suite de la prépa, j’ai intégré l’ESSEC, une école de commerce à Cergy, et je me suis dirigée vers les métiers du digital. Je suis aujourd’hui consultante en transformation digitale depuis plusieurs années et j’adore mon métier !

Si la classe prépa a énormément influencé mon horizon de lectures, il faut rendre à César ce qui est à César : je viens d’une famille de grands lecteurs, et nous lisons tous des choses très différentes. Ma sœur lit plutôt des classiques et des romans de l’actualité littéraire, ma mère des policiers et des thrillers, et mon père de la non-fiction ou des romans historiques. Petite, je voulais faire tout comme ma grande sœur : elle a toujours été une lectrice assidue, elle lisait des classiques comme Madame Bovary très jeune, je voulais l’imiter. C’est donc en grande partie grâce à elle que j’ai développé un goût prononcé pour la lecture très jeune. »

Pourquoi créer un chaîne Youtube ? Connaissiez-vous l’univers des youtubeurs mais surtout des booktubeurs ?

« Pas du tout ! Ca a été une véritable découverte pour moi. Ce qui est assez drôle d’ailleurs, c’est que l’idée initiale de créer une chaîne Youtube ne vient pas de moi, mais m’a été suggérée par un ami. J’ai toujours lu énormément et aimé recommander des livres à mes amis. Le fait de lancer une chaîne Youtube me permettait de transmettre cela à un public potentiellement plus large, tout en alliant mon intérêt pour le digital et celui pour la littérature. »

youtube

« Mon objectif est de faire de la vulgarisation littéraire : parler à la fois des mouvements littéraires (j’ai commencé une série de vidéos sur le Surréalisme), des opinions sur la littérature en général (Doit-on tous lire ?), et surtout rendre accessibles certains auteurs ou livres (comme Samuel Beckett) pour donner envie à chacun d’étendre son horizon littéraire et de considérer différemment certains livres (comme Belle du Seigneur). »

« Ce que j’aime surtout dans ce processus de création, c’est que chaque vidéo m’oblige à un travail sur moi-même. Je démarre d’intuitions que je dois étoffer, creuser, notamment en lisant des critiques, des théories, me documenter pour apporter une valeur ajoutée à celui qui me regarde. C’est un travail de synthèse conséquent : j’ai lu pas moins de 15 ouvrages pour réaliser mes vidéos sur le surréalisme. C’est essentiel car j’essaie de transmettre un point de vue peut-être un peu différent, de sortir des sentiers battus et de proposer des interprétations diverses pour mettre en évidence la richesse de la littérature.

Le fait d’avoir créé ma chaîne m’a rendue très curieuse de l’univers booktube et de la vulgarisation en général. C’est l’un des aspects que j’aime le plus : le sentiment de faire partie, même dans une faible mesure, d’une communauté de gens passionnés et que l’on estime. Les booktubeurs sont des gens qui ont envie de transmettre leur amour de la littérature, quelle qu’elle soit, ils lisent de tout et sont très curieux. Il y a une véritable bienveillance dans cette communauté que j’apprécie tout particulièrement. »

Comment apprend-on à filmer, cadrer, monter… ? 

« Aujourd’hui, le niveau de qualité formelle est tel sur YouTube qu’on ne peut pas en faire abstraction si l’on souhaite se lancer. Au début, je filmais avec mon téléphone, ce qui est bien suffisant, et un micro-cravate. Depuis, je me suis achetée un réflex (Lumix) parce que j’avais envie d’une plus belle image. J’ai beaucoup tâtonné : j’ai mis presque un an à lancer ma chaîne, en tournant et retournant un nombre incalculable de fois ma première vidéo dont je n’étais jamais satisfaite !

Dans le cadre du travail, j’ai eu la chance de participer à des tournages vidéo, et j’ai donc pu poser des questions à des professionnels sur le son, la lumière, le cadrage. Cela m’a beaucoup aidée à m’améliorer.

En revanche, ce que j’aime le moins, c’est le montage. C’est une activité très chronophage, qui me prend environ 10 à 15 heures par vidéo. J’utilise iMovie pour monter : c’est un logiciel simple et intuitif, sans doute trop limité pour des professionnels mais pour mon usage, c’est parfait. De nombreux YouTubeurs et booktubeurs ont des vidéos très chiadées, et je suis impressionnée par leur maîtrise. Mais le principal pour moi est de continuer à y trouver du plaisir et de la joie, et de limiter ce qui m’intéresse moins. »

Qu’est-ce que ça fait de tourner en face-caméra ? Quelle impression cela donne de se voir à l’écran, sur YouTube ?

« Cela n’a rien d’évident. Peu de gens aiment se voir en vidéo ou s’entendre parler. C’est un miroir désagréable car on ne se voit jamais vraiment être au monde. Fatalement, ce sont toujours les autres qui nous voient mieux que nous-mêmes. Alors se retrouver confrontée à sa propre image, c’est très déstabilisant. Il faut avoir conscience que celui ou celle qu’on voit à l’écran, c’est à la fois soi-même et ça ne l’est pas : c’est un personnage en représentation que l’on maîtrise plus ou moins bien. Moi, je ne me reconnais pas tout à fait dans mes vidéos et ce n’est pas grave, car c’est l’exercice qui veut ça. J’ai besoin que mon message soit sérieux, intelligible tout en étant digeste, et je pense avoir réussi à trouver le bon équilibre.

Sur le long terme ça m’est bénéfique dans d’autres aspects de ma vie, car en ayant davantage conscience de l’image que je peux renvoyer, je n’en ai plus peur et je peux mieux la maîtriser lorsque je dois présenter devant un public par exemple. »

Youtube, une passion ou un futur métier ?

« J’aime d’autant plus m’occuper de ma chaîne que ce n’est qu’un de mes intérêts parmi d’autres, même s’il est particulièrement chronophage ! Il y a beaucoup de communautés booktubes qui fonctionnent très bien, et c’est vrai que certaines booktubeuses en ont fait leur métier : tant mieux pour elles, c’est génial que la qualité de leur travail soit reconnue et valorisée.

En démarrant ma chaîne, je n’ai cependant jamais eu l’ambition d’en vivre. Ce que j’aime le plus, c’est de pouvoir échanger avec ceux qui me laissent des commentaires et ce qui me motive, ce sont les gens qui me disent que mes vidéos leur ont donné envie de lire. L’autre jour, un jeune homme m’a écrit sur Twitter en me disant que mes vidéos lui avaient donné « le courage de lire ». Quel retour ! Si je peux à la fois donner envie de lire et générer des conversations sur la littérature, c’est une très belle réussite pour moi. »

 youtube - qu'est-ce qu'on lit

Un livre préféré ?

« Sans hésiter, L’Or de Blaise Cendrars (qui fait partie des 5 livres qui ont changé ma vie). Le personnage de Suter de Cendrars est fascinant, il est en tension perpétuelle avec son environnement. Le style à la fois très ramassé et très poétique de Cendrars est d’une grande force rythmique : le livre vous entraîne dans la démesure d’un homme qui s’installe dans une Californie encore inexplorée pour devenir rapidement l’homme le plus riche du monde, jusqu’à la découverte sur ses terres de la première pépite d’or, début de la ruée vers l’or californien.

J’aime particulièrement que Cendrars ne résolve rien, ne propose aucune morale et ne nous délivre pas « un message ». Cette liberté d’interprétation est délicieusement frustrante et continue de me faire rêver. Cendrars est l’un des meilleurs conteurs de son époque, c’était un amoureux des histoires et des destins étonnants. Il m’a beaucoup influencée dans mes goûts littéraires. Aujourd’hui, j’aime les écrivains qui cherchent sans cesse de nouvelles manières de raconter les histoires, qui remettent en question le langage et notre rapport à celui-ci, sans pour autant que cette recherche ne prenne le pas sur le plaisir de la lecture. »

Des coups de cœurs littéraires récents ?

« Ah, c’est une question particulièrement difficile, alors je vais tricher et en citer 3, pour des raisons différentes.

Ma dernière lecture qui a été une révélation et un moment de pur bonheur a été Oblomov, d’Ivan Gontcharov. C’est d’ailleurs avec ce livre que j’ai commencé l’aventure de YouTube. C’est l’un des personnages les plus originaux de toute la littérature : Oblomov est le descendant de l’aristocratie russe qui vit dans un état de procrastination perpétuelle. Il passe beaucoup de temps dans des projections sur ces actions bien plus qu’à agir. On s’attache à ce personnage étonnant qu’on a parfois envie de secouer, mais qui propose un regard différent sur nos trajectoires humaines. Est-ce l’action qui fait la valeur d’un homme ? Peut-on assumer pleinement une manière de vivre qui va à l’encontre des injonctions sociales ?

Un autre livre, récent, est Ada d’Antoine Bello. Antoine Bello est l’un de mes auteurs contemporains préférés, il a une plume extraordinaire et une grande capacité à captiver, et ce toujours sur un fond de réflexion plus large et complexe sur le monde. Ada, c’est l’histoire d’une enquête sur une disparition. Mais pas n’importe laquelle, car c’est une Intelligence Artificielle de la Silicon Valley qui a disparu. Et pas n’importe quelle intelligence artificielle : elle a été programmée pour… écrire des romans d’amour ! Alors, est-ce que la technologie va finir par nous remplacer ?  

Enfin, j’aimerais conclure par Julia Deck, éditée aux Editions de Minuit, qui est déjà l’une des grandes écrivaines de sa génération. Ses romans sont déstabilisants, son écriture est novatrice et magnifique. Elle a une capacité à créer des personnages féminins complexes et originaux que je n’ai jamais rencontrés nulle part ailleurs. Elle n’a publié que 3 livres pour l’instant, mais c’est déjà l’une de mes écrivaines préférées. Je vous conseille particulièrement Viviane Elisabeth Fauville, qui ne manquera pas de vous surprendre. »

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Mathilde1
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