Histoire, amour et famille : les thèmes fétiches d’Alice Ferney sont de nouveau réunis dans Les Bourgeois, publié chez Actes Sud. Une fresque familiale et historique qui nous emmène dans les coulisses des grands événements du XXe siècle, et une jolie réflexion sur l’implacable mécanique d’une famille nombreuse. Zoom sur l’un des romans historiques les plus sensibles et captivants de cette rentrée littéraire.
La ronde des personnages
Bienvenue chez les Bourgeois, famille archétypale de la grande bourgeoisie catholique parisienne au patronyme on ne peut plus adéquat. Alice Ferney reprend les personnages déjà croisés dans L’Élégance des veuves en 1995. Mathilde, Clotilde, Valentine mais aussi Henri, Jules et les autres : au destin des femmes s’ajoute ici l’épaisseur des vies masculines. De 1869 à 2017, la vie de la famille Bourgeois s’écoule de malheurs en joyeux événements, les dix enfants grandissent, font des enfants et ainsi va la vie. Alice Ferney entrecoupe le récit de réflexions parfois vertigineuses sur la famille. Comment la place dans une fratrie détermine caractère et choix. Comment l’éducation peut façonner les esprits et les corps. Comment chacun se définit par rapport à ses aînés, à l’absence d’une mère ou à la douleur d’un père. La narratrice, une femme de la famille, remonte le fil du passé familial à la faveur de conversations récentes, de souvenirs personnels ou de vieilles photographies. Elle commente rarement les faits, à peine devine-t-on l’ombre d’un jugement derrière certaines sentences.
La lecture de l’histoire
Acteurs de leur siècle, les Bourgeois le contemplent et le subissent. Alice Ferney ne transmet pas une vision monolithique et manichéenne de l’Histoire. Sa narratrice interprète les choix de ses ascendants à l’aune de ce qu’on sait aujourd’hui des époques qu’ils ont traversées. Une interprétation biaisée, alors ? C’est tout l’enjeu de raconter le passé. Elle sait se montrer indulgente envers les choix de ses aînés. Le patriarche a toujours admiré Pétain ? Oui, il restera à tout jamais le sauveur de la guerre de 14. Sans l’excuser ni l’absoudre, on comprend un peu mieux la vérité d’une bourgeoisie engoncée dans ses principes, un pied dans son siècle, l’autre dans le précédent. L’Indochine, l’Algérie, mai 68 : la vision des personnages directement impliqués dans ces événements prend souvent à rebrousse-poil la lecture conventionnelle du roman national français.
Les femmes, discrets témoins de leur temps
C’est l’un des sujets favoris de l’auteure : pendant que les hommes font carrière, les femmes sont les grillons du foyer. C’est le premier « couac » dans l’histoire de la famille : l’une des femmes de l’ancienne génération se laisse glisser vers la mort. A posteriori les plus jeunes se demandent si elle ne se serait pas laissée mourir après « une vie d’esclave ». « Les femmes, ces ventres » : chez les Bourgeois, elles sont avant tout des épouses et des mères toutes entières dévouées au bien-être de la tribu. Et pour autant… bousculer l’ordre établi ? Pourquoi faire ! Le poids des traditions n’est pas prêt de faiblir, chez les Bourgeois, on fait comme on a toujours fait. Fine mouche, Alice Ferney n’expose pas clairement ses convictions en matière de droits de la femme ou de féminisme. En revanche, ses personnages expriment sans ambigüité leur acceptation de l’ordre établi et d’une certaine idée de la famille dans ce qu’elle a de plus traditionnel.
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Parution le 16 août 2017
Rentrée littéraire 2017
Les Bourgeois, Alice Ferney (Actes Sud) sur Fnac.com
Photo d’Alice Ferney © Catherine Gugelmann
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