[Dossier] La dystopie : échos du réel, cauchemars en action

La dystopie, c’est quoi ?

Sous-genre des littératures de l’imaginaire, proche de la science-fiction, la dystopie prend le contre-pied de l’utopie, ne mettant pas en scène une réalité idéale dans laquelle se matérialise parfaitement une idéologie, mais son pendant cauchemardesque, l’échec du projet utopique présenté à travers les yeux de ceux qui le subissent. S’il fallait choisir une seule œuvre pour présenter le genre, nous citerions sans hésiter l’emblématique 1984 de George Orwell.

La dystopie interroge le monde, dérange son lectorat, mais n’est-ce pas là l’un des desseins profonds de la littérature ? Voici tout entier incarné le pouvoir de la dystopie : ses échos étranges avec des situations bien réelles, qui expliquent par ailleurs son succès grandissant dans les librairies du monde entier.

 

Le XXe siècle : l’âge d’or dystopique

Le genre naît au XIXe siècle, mais se développe véritablement au XXe, à travers de grands noms de la littérature comme Aldous Huxley, George Orwell et Ray Bradbury. Les désillusions et les violences d’un siècle se traduisent dans des écrits tourmentés et pessimistes :

Le meilleur des mondes – Aldous Huxley (1932)

Le meilleur des mondes de Aldous Huxley est une des dystopies les plus mondialement célèbres. Dans une civilisation du futur, deux castes se superposent : les Alphas et les Epsilons. Alors que les Alphas représentent l’élite de la société, les Epsilons représentent la caste inférieure. Dans le Centre d’Incubation et de Conditionnement, les bébés sont fécondés dans des couveuses où leur sort est prémédité.

Dans ce meilleur des mondes, la famille et les sentiments ne font pas loi, contrairement au bonheur. Mais quel est-il ? Un homme « sauvage » s’est échappé d’une des réserves du Nouveau Mexique et devra choisir entre continuer d’être « fou » ou se fondre dans cette nouvelle condition humaine…

La Ferme des animaux – George Orwell (1945)

Dans La Ferme des animaux, George Orwell nous raconte une merveilleuse fable politique où, fatigués d’être maltraités, les animaux se rebellent contre les Hommes. Dès lors, devient l’ennemi commun tout ce qui se tient debout sur deux jambes. Attention cependant, car si « tous les animaux sont égaux », certains le sont bien « plus que d’autres. »…

1984 – George Orwell (1949)

Dans 1984, Orwell narre l’histoire de Winston Smith, citoyen d’un État totalitaire aux techniques de conditionnement avancées. Mais dans ce monde où Big Brother vous observe sans interruption, la dissidence commence à émerger… Écrit au début de la Guerre Froide, le titre est né de l’inversement volontaire par George Orwell des deux derniers chiffres de 1948 pour en faire 1984.

Aujourd’hui, l’œuvre n’a rien perdu de sa force… C’est même tout le contraire ! Traduit en plus de 62 langues, ce roman d’anticipation n’a cessé de faire parler de lui, notamment par les sujets forts qu’il traite, dénonçant ainsi les dérives des régimes despotiques et leurs propagandes : suppression des libertés, manipulation des esprits par les mots (on connaît tou·te·s la fameuse novlangue), réécriture de l’Histoire… Régie par trois slogans qui peuvent résumer à eux seuls l’état de cette machine monstrueuse, la société totalitaire scande « La guerre, c’est la paix », « L’ignorance, c’est la force » et « La liberté, c’est l’esclavage ». De quoi bien façonner les esprits comme de bons petits soldats.

Limbo – Bernard Wolfe (1952)

Dans cette édition intégrale de Limbo, Bernard Wolfe plonge le lecteur dans les effets désastreux d’une Troisième Guerre mondiale. Dix-huit ans après celle-ci, le Dr. Martine, qui s’était enfui dans une île de l’Océan Indien, décide de retourner parmi les siens. Mais que ne va-t-il pas découvrir ! Traumatisés par les conflits et leurs désastres, les êtres humains ont créé l’Immob, signant ainsi la fin de leur espèce mais aussi le début d’une société pacifique. 

Fahrenheit 451 – Ray Bradbury (1953)

Avec Fahrenheit 451, bienvenue dans une société où tous les livres sont brûlés et où ceux et celles qui daignent encore les conserver sont sévèrement puni·e·s. Mais Montag, le « pompier » va un jour, bouleverser le cours tranquille de son existence en en volant un. Jusqu’à quel point le Livre va-t-il chambouler le monde de loisirs et de plaisirs dans lequel Montag baignait jusqu’à maintenant ? La culture et les Idées sont dangereuses les ami·e·s, mais il est encore plus dangereux d’en être dépossédé.

L’orange mécanique – Anthony Burgess (1962)

Dans L’orange mécanique, Anthony Burgess fait de son personnage principal une souris de laboratoire. En effet, Alex aime faire le mal, accompagné de ses acolytes et sur fond de musique classique. Mais lorsqu’il finit par être incarcéré, il est sujet d’une expérience qui le rend allergique à toutes les formes de violences existantes.

Un grand classique à découvrir autant en livre qu’en film.

Les Monades urbaines – Robert Silverberg (1971)

Plongeons en 2381, ère nouvelle où l’humanité est soumise à un des pires fléaux : la surpopulation. Et pour y faire face, l’Homme a créé des « monades urbaines », tours de mille étages permettant de loger toute cette population grandissante ainsi que de la faire vivre. Le recyclage est une norme, les personnes ne se déplacent pratiquement plus, la seule chose venant encore de l’extérieur étant la nourriture. Plus nous montons dans les étages et plus la classe sociale des individus augmente. Et que vous le croyiez ou non, la procréation fait de ces hommes du futurs des êtres accomplis. Bien sûr, dans ces véritables villes verticales, il y a des dissidents, nommés Anomos. Mais gare à eux car s’ils ne suivent pas le mouvement car ils risquent à tout moment d’être recyclés…

Les Monades urbaines de Robert Silverberg est un roman à lire pour tous les amoureu·x·ses des dystopies.

La servante écarlate – Margaret Atwood (1985)

Fondée par des fanatiques religieux, la république de Galaad doit faire face à une grande problématique : l’importante baisse de natalité. C’est ainsi qu’apparaîssent les « esclaves sexuelles », ces femmes encore fertiles et capables de réguler ce problème de fécondité : voici les servantes écarlates. Mais la résistance naît et croît dans le cœur de ces femmes vêtues de rouge. Et Defred va bientôt rejoindre un réseau clandestin pour retrouver sa liberté volée.

La servante écarlate de Margaret Atwood est une magnifique dystopie qui nous fait réfléchir sur les droits des femmes et plus encore.

Le Passeur – Lois Lowry (1993)

Comme dans la plupart des dystopies, Le Passeur de Lois Lowry nous emmène dans un monde où l’harmonie règne en maitre et où l’individu n’existe plus en tant que tel. Finis aussi les sentiments, l’amour et la révolte. Adieu les inégalités mais également la mort. Les personnes âgées seront « élargies », de même que tous les nouveaux-nés et toutes les personnes jugées inaptes. Mais dans cette nouvelle société, un homme se rappelle encore à quoi ressemblait l’amour et les couleurs…

Le successeur de pierre – Jean-Michel Truong (1999)

Dans Le successeur de pierre, la majorité de l’humanité s’est depuis longtemps isolée dans d’immenses pyramides. En son sein, nous allons suivre l’histoire du jeune Calvin, séparé de sa mère, et dont les amis ne sont que ceux qu’il s’est fait grâce au web (et encore : qui sont-ils vraiment ?). À ses dépens, Calvin découvrira que les faits de sa vie sont irrémédiablement liés au manuscrit « Bulle de Pierre », perdu depuis des siècles…

Globalia – Jean-Christophe Rufin (2004)

Que le monde dans Globalia nous semble idéal ! Une démocratie où l’Homme a le droit à une liberté d’expression complète, à une vie prospère et à une température agréable pendant toute l’année. Sans parler de l’éternelle jeunesse des Globaliens ! Mais cela, c’est sans compter sur un contrôle omniprésent de la pensée et des libertés de chacun… et on n’hésite pas à pointer du doigt tous les réfractaires comme Baïkal Smith.

Non, Globalia est bien plus dangereuse qu’on ne le pense au premier regard. Et Jean-Christophe Rufin va nous le prouver !

Un cinéma sous influence romanesque

Les films dystopiques – dont Soleil vert et Blade Runner sont les dignes représentants – sont souvent issus de l’adaptation de romans d’anticipation. Petit florilège des classiques du genre :

• Orange mécanique de Stanley Kubrick (1972) (adapté de L’Orange mécanique d’Anthony Burgess)
• Soleil vert de Richard Fleischer (1973) (inspiré du roman Soleil vert de Harry Harrison)
• Blade Runner de Ridley Scott (1982) (adapté librement de Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick)
• 1984 de Michael Radford (1984) (d’après le roman de George Orwell)
• Brazil de Terry Gilliam (1985)
• Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol (1998)
• Minority Report de Steven Spielberg (2002) (adapté de la nouvelle éponyme de Philip K. Dick)
• V pour Vendetta de James McTeigue (2006) (adapté du comic V pour Vendetta)
• Les Fils de l’homme de Alfonso Cuarón (2006) (adapté du roman éponyme de P.D. James)

On a lu, on a aimé : le genre dystopique dans tous ses états

1- Portrait d’un des plus grands maîtres de la science-fiction française :

Alain Damasio : la science de la fiction

2- Les classiques inspirent les contemporains ; George Orwell revisité par Boualem Sansal :

2084 : la fin du monde de Boualem Sansal

3- L’auteur de Fahrenheit 451 et des Chroniques martiennes disparaissait en 2012. Retour sur une carrière littéraire hors norme :

Hommage à Ray Bradbury 1920-2012

4- Quand l’anticipation est élevée au rang d’art et que la littérature devient medium : 

Par anticipation : portrait de James Graham Ballard

5- Quand science-fiction rime avec militantisme et engagement : 

Engagez-vous avec les auteurs de science-fiction

6- Vous n’avez jamais lu de SF ? Voici 10 conseils de lecture pour explorer la grande diversité du genre, dont des récits dystopiques :

10 romans de science-fiction incontournables

 
 

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Aller + loin : Pour les puristes : des classiques de la SF

Pour les curieux : des récits d’anticipation

Pour les téméraires : des romans d’horreur

Photos d’illustrations (CC) Jilbert Ebrahimi / Hoshino Ai / Dmitry Ratushny / Jonny Clow