Décryptage

TRASHED : ça sent mauvais mais qu’est-ce que c’est bon !

12 novembre 2015
Par Maya
TRASHED : ça sent mauvais mais qu’est-ce que c’est bon !
©DR

ROMAN GRAPHIQUE – Après Mon Ami Dahmer et Punk rock et mobiles homes, Derf Backderf, illustrateur nommé aux Eisner Awards et primé par Angoulême, offre une fois de plus un récit tiré de ses expériences personnelles. Trashed raconte les déboires hilarants de J-B. et ses amis, des étudiants revenus dans leur bled américain et contraints de devenir éboueurs municipaux. Derrière les gags juteux se cache la réalité sombre de la collecte des déchets, un problème humain d’envergure.

Suite à une première version autobiographique, basée sur ses souvenirs d’éboueur pendant les années 1979 et 1980, l’album est devenu fiction, puis est passé par la case webcomic avant de prendre sa forme finale. L’auteur tient à préciser dans son introduction que la plupart des épisodes et des personnages relatés sont inventés. Au fil de la lecture, la raison de cette précaution devient évidente…

L’histoire sans fin 

Trashed raconte les déboires de J-B. et ses amis, des étudiants revenus chez eux pour l’été et contraints de devenir éboueurs municipaux faute de trouver un meilleur emploi (eh oui, très actuel, le problème du chômage des jeunes). Nous suivons la progression – et la lassitude grandissante – de ces éboueurs néophytes au rythme déchaîné du camion-poubelle, dans une routine quotidienne et épuisante qui n’est pas sans rappeler le mythe de Sisyphe. Car comme le rappelle le dernier mot de J-B., « ça ne s’arrête jamais ». Derf Backderf réussit à retranscrire à la fois l’écrasement de l’habitude et la fuite du temps, puisque l’album avance avec les saisons.
Chaque saison apporte son lot de fléaux qui s’abattent sur les éboueurs, jamais tranquilles.

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Toujours aussi trash 

La part sombre de la collecte des déchets est mise en relief par un humour féroce qui se joue de ces malheurs. Derf Backderf enchaîne les gags à une vitesse ahurissante, multipliant les blagues propres au métier d’éboueur (enfin, surtout les plus sales possibles). En effet, par leur métier J-B et ses acolytes sont exposés à tous les rebuts de la vie urbaine, où la désintégration – les poubelles fourmillantes de vers – et la mort – une quantité improbable de carcasses animales – sont omniprésentes. Ils côtoient également les pires espèces endémiques des trous perdus, tous ahurissants à leur manière, à savoir les patrons trop zélés, les brutes homophobes, les ratés en tout genre et autres escrocs à la petite semaine. J-B et ses amis préfèrent en rire que d’en pleurer.

Trashed Planche 29

« Tous pourris ! » 

Car sous des apparences d’histoire de slacker, Derf Backderf compose une critique violente de la société de consommation occidentale, avec de nombreux reproches réservés à la banlieue américaine. L’auteur en profite pour dénoncer le quotidien abrutissant du fonctionnaire et les dysfonctionnements innombrables du service public, ainsi que les vices et pratiques dégoûtantes des citoyens ordinaires qui ne pensent jamais à leurs ordures ni à ceux qui les ramassent. S’il y a bien une métaphore à retenir, c’est celle que les éboueurs nettoient le « sphincter de la société ».

Trashed Planche 17

Un problème de société 

Encadrant le récit fictif et plaisant sur les étudiants, Derf Backderf adopte un style plus didactique dans ses Prologue et Épilogue, retraçant en vitesse l’histoire humaine du traitement des déchets, puis le système moderne actuel, relativement inchangé depuis l’après-guerre. Backderf n’hésite pas à souligner l’ampleur du problème par des chiffres et des schémas de fonctionnement des infrastructures. En ceci l’album tire la sonnette d’alarme sur ce problème environnemental d’envergure.

 Trashed Planche 11Planche epilogue

Le crayon dans le cambouis 

Le dessin organique de Backderf, où l’on reconnait l’influence de l’œuvre de Robert Crumb, s’adapte parfaitement au sujet. Le trait gras mais détaillé n’épargne aucun élément répugnant, pour notre plus grand plaisir, collant à l’humour potache des jeunes personnages loufoques. La forme vient alors compléter le ton léger, qui acquiert pourtant de la profondeur sur les questions plus sérieuses. Agréable, la lecture file à toute vitesse derrière le camion poubelle, et on s’attache vite à ces « loosers » coincés dans un bled des États-Unis – un décor typique où le lecteur retrouvera tous les codes du genre. 

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Paru le 22 septembre 2015

240 pages – noir et blanc

 

Article rédigé par
Maya
Maya
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