Tout a commencé en 2003, par un court-métrage d’animation en noir et blanc, sobrement intitulé La Révolution des Crabes. Bien entendu primé au Festival d’Annecy 2004, cette histoire est restée dans la tête de son réalisateur (i.e. Arthur De Pins lui-même), qui a choisi de développer son propos et d’en sortir une trilogie en bande dessinée.
La Révolution des crabes (puisque tout part de là), raconte la dure histoire d’une espèce endémique de crabe, le Cancer Simplicimus Vulgaris, plus communément appelé « crabe carré » (rapport à sa forme, voyez…). Vivant uniquement dans l’estuaire de la Gironde, la tragédie de cette espèce est la suivante : elle ne peut se déplacer qu’en ligne droite. Par conséquent, le destin de chaque individu est déterminé par l’endroit de sa naissance. Certains sont chanceux (ils ne sont pas nés parallèles à la mer, par exemple), d’autres moins (sort horrible que celui de ce crabe né entre deux rochers…). On peut voir dans ce film une métaphore de la nature humaine, consistant à aller toujours dans la même direction, se contraindre à effectuer les mêmes actions, et ce quoique nous pensions. Mais cinq minutes en noir et blanc sont bien courtes pour faire passer un message d’une telle ampleur. Voyez plutôt.
D’où l’objet principal de cet article, j’ai nommé La Marche du crabe, une trilogie en couleur du talentueux Arthur de Pins. L’auteur-dessinateur laisse de côté pour ces albums ses traits ronds et douillets des Péchés mignons et l’ambiance gentiment glauque de Zombillénium (cf. la chronique de François à ce sujet). L’être humain est très présent dans cette série, contrairement au court-métrage. Nous allons suivre deux « reporters de l’extrême » (j’insiste sur les guillemets) que cette espèce fascine, décidés coûte que coûte à réaliser un reportage filmé au péril de leur vie (combattant de féroces touristes, au besoin). Parallèlement, un crabe, anonyme parmi les autres anonymes, pense. A sa condition. Comment, pourquoi ? Déjà, s’il avait un nom, ne se sentirait-il pas un peu mieux ? Un peu plus « lui-même », parmi tous ces autres ?
Et nous voilà lancé sur les traces de la première pensée philosophique crabesque (je sais, ce mot n’existe pas, mais au moins il a le mérite d’être clair), que seul Arthur de Pins pouvait imaginer. Avec un trait et des couleurs presque minimalistes, son humour décalé et des répliques au cordeau, il pose des questions de fond, à travers ses crabes : qui sommes-nous, où allons-nous et pourquoi ? Ou, si cette vision vous gêne, suivez les aventures d’un crabe tout simple, tout innocent, à la recherche de lui-même et du sens de son espèce.
Jusqu’à l’inéluctable évènement, un comportement si inhabituel qu’aucun crabe n’aurait même jamais osé concevoir, un évènement capable de déclencher une véritable révolution chez les crabes carrés…