Les histoires à l’eau de rose ont le vent en poupe – de 50 nuances de Grey à La Chronique de Bridgerton. Mais depuis quelques années émerge le sous-genre de l’homoromance, qui conte des histoires d’amour entre personnages de même sexe.
D’après le New York Times, les romances LGBTQ sont en plein essor aux États-Unis (+740 % en cinq ans). Reléguées jusque-là dans les coins sombres des librairies, on les trouve désormais presque à chaque coin de rue. Si la majorité des homoromances sont traduites depuis l’anglais, les autrices francophones aussi se sont emparées du genre avec la création de maisons d’éditions dédiées : Homoromance Éditions, Bookmark, Reines de cœur, Steditions. J’ai lu pour elles et Harlequin, qui dominent le marché des romans d’amour en France, se sont elles aussi mises aux histoires d’amour gay.
L’homoromance fait vendre, donc. Sa formule ? Une histoire sentimentale entre deux hommes ou deux femmes et une happy end. Quant au genre, il y en a pour tous les goûts : historique, fantasy, polar, science-fiction, sport… Pas de dark romance cependant, comme l’annonce Bookmark, excluant de fait la « romance sombre, qui peut heurter la décence, la pudeur ou le bon goût et peut aborder des thèmes particuliers comme la persécution, les abus, la souffrance ». L’objectif est clair : faire dans le feel good. Les lectrices et lecteurs veulent des histoires positives qui se lisent d’une traite et leur permettent de s’échapper de leur quotidien.
Une représentativité bienvenue, mais limitée
Si les autrices et lectrices des romances entre femmes sont plutôt des femmes lesbiennes et bisexuelles, les histoires entre hommes sont très largement écrites par et pour des femmes hétérosexuelles. « Que connaissent ces femmes de l’homosexualité pour en faire des romans ? » se demande ainsi à juste titre Têtu. Selon une bloggeuse de littérature sentimentale, ce qu’aiment les lectrices d’histoires entre hommes, c’est la profondeur et la sensibilité des personnages masculins. C’est aussi être touchée par la trame narrative de l’acceptation de soi et du coming out qui se déroule sans trop de difficulté ni violence dans ces fictions feel good. Des scénarios plutôt déconnectés de la réalité, donc ; car, malgré des progrès indéniables, il reste aujourd’hui difficile d’être gay dans un monde hétérosexuel.
On est bien loin de « bury your gays », ce trope qui domine nos représentations culturelles depuis la fin du 19e siècle, en vertu duquel les personnages gay, particulièrement lorsqu’ils sont racisés, trouvent systématiquement une fin tragique (mort violente ou décrépitude). Les homoromances se veulent ainsi porteuses de messages d’inclusivité et de tolérance : « Peu importe le sexe des personnages ou la dureté de la vie, nous voulons des personnages forts, humains et surtout égaux. Un message d’espoir. Un message d’amour », prônent ainsi les éditions Bookmark. S’il apparaît crucial de ne pas raconter que des histoires queer tragiques, il ne reste pas grand-chose du sujet politique LGBTQ lorsqu’il est défini par le « management de la diversité », pour reprendre les mots de Sam Bourcier (Homo Inc., 2017).
Selon le sociologue Bruno Péquignot, « le roman sentimental s’appuie sur l’idée que l’amour est un voyage ». Le touriste « se met en scène dans un monde étranger et s’y regarde évoluer ». Mais les identités queer ne sont pas des pars d’attraction que l’on visite à loisir. Elles sont la réalité d’une minorité marginalisée, discriminée et violentée par une société qui peine à évoluer. Une minorité qui questionne aussi activement les schémas traditionnels de la famille patriarcale et du couple monogame, fond de commerce normatifs du roman sentimental. Car l’homoromance est aussi binaire que la romance classique et laisse peu de place, en dépit de son succès commercial, aux représentations queer dans toute la diversité de leurs identités et de leurs expériences.