Nous assistons depuis quelques années à un renouveau de la poésie. Rompant avec les codes de la poésie classique, elle se fait plus libre – plus politique aussi. Un nouvel essor permis par les réseaux sociaux, qui démocratisent et revitalisent cet art longtemps resté élitiste.
1 Noir volcan, de Cécile Coulon
Romancière et poétesse, Cécile Coulon offre avec Noir volcan un second recueil tout aussi sensible et imagé que le premier (Les Ronces, 2018). Les mots, elle les glane au gré des jours, « dans les wagons, les chambres d’hôtel, au comptoir des buffets des gares, partout où le besoin, et l’envie, de revenir chez soi surgit ». S’affranchissant des normes rigides du poème classique, elle tisse ses textes dans le matériau poétique de la vie quotidienne : dans le chant des oiseaux, d’une rivière ; dans la douceur des rituels journaliers partagés avec celles et ceux qu’on aime. Noir volcan est un hommage à la douceur et à la tendresse, érigées par Coulon comme remparts contre la violence d’un monde qui se délite.
« Écrire un poème, c’est découper en soi un morceau de silence
trempé de honte et d’inquiétude, puis on le fait sécher
sur une branche longue ou sur un fil tendu
entre deux maisons hautes,
le vent souffle dessus, le soleil l’entortille
et quand il est bien sec on l’offre à ceux qui savent
qu’un poète est à la fois un vieillard et une jeune fille. »Cécile CoulonEn morceaux
Noir volcan, de Cécile Coulon, Le Castor astral, 2020, 15 €.
2 À nos humanités révoltées, de Kiyémis
Autrice, poétesse et militante afroféministe, Kiyémis « fait du bruit » sur son blog depuis 2014. S’inscrivant dans la lignée de poétesses afroféministes telles qu’Audre Lorde ou Gerty Dambury (qui signe d’ailleurs la préface de la seconde édition d’À nos humanités révoltées), Kiyémis revendique le besoin vital de parler, de créer, de faire porter sa voix pour dénoncer les divers systèmes d’oppression. Dans ce court recueil, c’est sa douleur, sa colère et sa joie qu’elle fait vibrer en peu de mots, livrant ainsi une œuvre poignante, dans laquelle poésie et politique s’entremêlent avec force. Son deuxième livre, Je suis ton pire cauchemar, paraîtra chez Albin Michel à l’automne 2022.
« Ne plus se taire, chuchoter.
Ne plus chuchoter, demander.
Ne plus demander, réclamer.
Ne plus réclamer, créer. »KiyémisDonner son temps, plus jamais
À nos humanités révoltées, de Kiyémis, Premiers matins de novembre, 2020, 10 €.
3 Étreins-toi, de Kae Tempest
Figure emblématique du spoken word britannique (poésie orale performée en public flirtant avec le slam), Kae Tempest s’adonne à nouveau, après Les Nouveaux Anciens (2017), à la réécriture poétique de mythes antiques. Magnifique poème-conte, poème-mythe, poème-fleuve, Étreins-toi est une réappropriation du mythe grec de Tirésias (homme métamorphosé en femme après avoir séparé deux serpents qui s’accouplent, puis re-transformé en homme). Avec la puissance caractéristique de son écriture rythmique – préservée grâce au choix d’une édition bilingue –, Kae Tempest nous raconte la fragmentation des corps, des identités de genre. Iel nous parle aussi, dans des mots à la mélodie toujours envoûtante, de sensualité, de sexualité, de langage.
« Le langage vit quand tu le parles. Fais-le entendre
La pire chose qui puisse arriver aux mots c’est d’être inexprimés
Qu’ils chantent dans tes oreilles et dansent dans ta bouche, et se tordent dans tes tripes.
Qu’ils fassent que tout se serre et scintille. »Kae TempestCes choses que je sais
Étreins-toi, de Kae Tempest, L’Arche, 2021, 16€.
4 Aux vies anecdotiques, de Karima Ouaghenim
Poétesse et cofondatrice de la maison d’édition indépendante toulousaine Blast, Karima Ouaghenim prend à bras-le-corps la poésie comme politique de l’intime dans Aux vies anecdotiques. C’est du corps que le recueil part, pour y revenir sans cesse : « la poésie comme un cri arraché au corps ». Des corps marginalisés, jugés, policés ; des corps gras, des corps gros, des corps poilus. La poésie prend toute sa dimension politique sous la plume agile et incisive de Karima Ouaghenim.
« Elle n’avait pas réalisé que ses poils de jambes lui permettaient d’escalader les murets, aussi les retirait-elle. Ce rituel avait tout des parcours ascétiques, de l’astreinte récompensée par les vents et postillons du soleil. Elle s’y employait comme on interrompt la germination des pommes de terre, cataplasmes de cires et de sucres dévorant l’épiderme ; ses mains, les épluchoirs de son propre corps. »
Karima Ouaghenim
Aux vies anecdotiques, de Karima Ouaghenim, Blast, 2021, 11 €.
5 Et recoudre le soleil, de Gaëlle Josse
Dans ce recueil de poèmes lumineux, la romancière et poétesse Gaëlle Josse nous propose une « moisson de mots cueillis jour après jour ». Dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de la tradition poétique japonaise du haïku, l’autrice glane des instants fugaces et immortalise les sensations et émotions passagères qui s’en dégagent. Une invitation à prêter attention à ces éclats de vie, ces « invisibles soleils », qui toujours jaillissent dans la quotidienneté de nos existences.
« toucher le feu du monde &
voler quelques braises jouir
d’un éclat l’offrir en
de sauvages partages en
rires indociles »Gaëlle Josse
Et recoudre le soleil, de Gaëlle Josse, Noir sur Blanc, 2022, 10€.