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Qu’est-ce que la “décennie numérique”, le projet ambitieux de l’Europe pour 2030 ?

09 avril 2022
Par Kesso Diallo
Une décennie numérique à travers des objectifs et des réglementations.
Une décennie numérique à travers des objectifs et des réglementations. ©Shutterstock

L’Europe s’est fixé des objectifs et cherche à établir des réglementations mondiales pour figurer aux côtés des États-Unis et de la Chine, leaders du numérique.

Depuis de nombreuses années, l’Europe est dépendante d’autres pays, comme les États-Unis, pour le numérique et les technologies. Dans ces domaines, elle a pris du retard par rapport à l’Amérique du Nord et à la Chine, qui sont en tête du classement et ont notamment donné naissance à des géants, à l’image des Gafam. Pour rattraper son retard et retrouver une souveraineté numérique, l’Union européenne (UE) mise sur une stratégie : la « décennie numérique ».

Présentée par la Commission en mars 2021, elle a pour but de permettre la transformation digitale de l’Europe, ainsi que de « donner aux entreprises et aux citoyens les moyens d’agir dans un avenir numérique durable, centré sur l’humain et plus prospère ». Cette stratégie était au cœur d’un récent événement organisé par Politico. Mais quelle est justement cette stratégie en faveur du développement numérique de l’Europe ?

Une boussole pour accélérer la transformation numérique

Le projet de « décennie numérique » de l’UE inclut notamment une boussole numérique avec quatre points cardinaux : les « compétences », les « infrastructures numériques sûres et durables », la « transformation numérique des entreprises » et la « numérisation des services publics ». Ces axes correspondent à des objectifs ambitieux que l’Europe espère atteindre en 2030. Pour le premier, le but est qu’au moins 80% de la population dispose de compétences numériques de base, mais aussi d’avoir 20 millions de spécialistes de l’informatique, avec une parité entre les hommes et les femmes.

Sur ce sujet, Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission pour une Europe adaptée à l’ère numérique, a expliqué la volonté du bloc de s’ouvrir au plus grand nombre. « Je pense qu’il est vraiment important de penser aux experts du numérique en agriculture, en énergie, en mobilité, aux experts du numérique partout et qu’on puisse recruter des gens en fonction de leur passion pour l’agriculture, l’énergie, la mobilité », a-t-elle déclaré. Pour la commissaire, cela est mieux que de dire « il faut être numérique dès le départ », car cela fait fuir certains pensant qu’il s’agit d’un environnement réservé à quelques personnes.

Concernant le second axe, l’UE estime qu’une « infrastructure numérique durable en ce qui concerne la connectivité, la microélectronique et la capacité à traiter de vastes quantités de données » est nécessaire pour parvenir au leadership numérique. Elle est considérée comme déterminante pour permettre d’autres évolutions technologiques et soutenir l’avantage concurrentiel de l’industrie européenne. Les objectifs de ce point cardinal comprennent ainsi une connectivité sûre et de qualité, notamment avec la 5G, sur l’ensemble du territoire. Cela permettrait de garantir la participation de toutes les entreprises et de tous les citoyens à la société. L’Europe s’est également fixé comme but d’avoir son premier ordinateur quantique d’ici à 2025, car ces machines, capables d’effectuer en quelques heures des opérations nécessitant actuellement des jours, voire des années, révolutionneraient plusieurs domaines comme la santé ou l’environnement.

Pour la « transformation numérique des entreprises », la Commission explique que l’adoption des technologies numériques a été essentielle pour plusieurs sociétés lors de la pandémie. De plus, elle pense que les technologies, comme l’intelligence artificielle (IA), la robotique ou encore la réalité augmentée, seront plus que des technologies génériques d’ici à 2030, car elles seront au cœur de nouveaux produits ou de nouveaux procédés de fabrication dans plusieurs secteurs comme la santé, la mobilité ou l’agriculture. L’objectif est donc que 75% des sociétés européennes les utilisent.

Enfin, avec la « numérisation des services publics », l’UE veut que ces derniers, ainsi que la vie démocratique en ligne, soient accessibles à tous, y compris aux personnes handicapées. Elle pense que leur numérisation sera utile aux citoyens, à l’image de la télémédecine qui a permis à des patients de rester en bonne santé durant la pandémie. D’un autre côté, le vote électronique serait un moyen d’encourager une plus grande participation du public à la vie démocratique.

Des efforts supplémentaires pour atteindre ces objectifs

Ces objectifs sont censés permettre à l’UE de ne plus être dans une situation de dépendance numérique et de créer une société digitale dans laquelle personne ne serait laissé pour compte en 2030. Il semblerait pourtant qu’elle ne soit pas en bonne voie pour les atteindre. C’est ce que montre un rapport de Deloitte publié fin mars. D’après celui-ci, même si des progrès ont été accomplis pour réduire l’écart entre les niveaux de numérisation actuels et ceux visés au cours de l’année écoulée, cette progression reste lente dans certains domaines, comme les compétences numériques de base. Il indique que des investissements et d’autres soutiens pourraient être nécessaires pour « les zones qui semblent les plus éloignées de la cible et où il y a eu des progrès relativement lents vers la cible ».

Alors que des efforts supplémentaires semblent requis, le projet de l’Europe pourrait être perturbé par la guerre en Ukraine. Interrogée sur cette potentielle perturbation des objectifs par Politico, Margrethe Vestager laisse entendre que ces efforts sont toujours en bonne voie : « Je pense qu’ils seront plutôt accélérés car ni la transition numérique ni la lutte contre le changement climatique ne peuvent s’arrêter, car la numérisation se poursuit. » Pour la commissaire, l’Europe ne peut pas se permettre de dire la guerre d’abord et ensuite les autres. Plus précisément, au sujet du numérique, la vice-présidente pense que « pour accroître notre cybersécurité, nous devons coopérer pour nous assurer que nous sommes cybersécurisés et, bien sûr, pouvoir le faire davantage par nous-même ».

Miser sur l’éthique pour se faire une place parmi les leaders du numérique

Outre ces objectifs, l’Union européenne souhaite se faire une place aux côtés des États-Unis et de la Chine en dictant les règles d’une économie numérique éthique. Dans cette optique, elle a présenté deux projets afin de réguler le Net fin 2020 : la législation sur les services numériques (DSA) et la législation sur les marchés numériques (DMA). Avec ces deux règlements, « ce que nous avons discuté, convenu et mis en œuvre dans le monde physique sera également une réalité dans le monde numérique », a rappelé Margrethe Vestager.

Pour le moment, le Parlement et le Conseil sont arrivés à un consensus sur le DMA, qui vise notamment à endiguer les pratiques anticoncurrentielles des géants de la tech. Il imposera entre autres l’interopérabilité entre les services de messagerie tels que WhatsApp, Messenger et iMessage. Le DSA, lui, fait toujours l’objet de négociations pour parvenir à un accord sur une seule et même version. Il devrait prochainement connaître le même sort que le DMA et les deux règlements devraient entrer en vigueur en 2022. Ce sera alors l’occasion de voir si l’Europe est parvenue à figurer aux côtés des deux leaders dans le domaine du numérique d’un point de vue éthique.

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Article rédigé par
Kesso Diallo
Kesso Diallo
Journaliste