La robotique, l’intelligence artificielle ou encore l’impression 3D s’invitent de plus en plus dans l’agroalimentaire, en partie pour répondre à des problématiques sociétales.
L’alimentation, au-delà du plaisir, de la convivialité et de son aspect culturel, est un sujet qui concentre nombre de problématiques contemporaines comme la santé et l’adaptation au changement climatique. Des questions qui pourraient avoir des réponses technologiques, comme le démontre le secteur de la FoodTech, en ébullition ces dernières années.
Des technologies au service d’une nouvelle économie de l’alimentation
Contrairement aux idées reçues qui réduisent la FoodTech à la création de nouveaux aliments, ce secteur englobe en réalité des entreprises et des innovations à tous les niveaux de l’agroalimentaire : agriculture et élevage, transformation des aliments, logistique, vente, livraison et même la gestion des déchets. « Ça fait cinquante ans — voire depuis la seconde guerre mondiale — qu’on fait pousser, qu’on transforme, qu’on emballe et qu’on vend les mêmes produits à peu près de la même manière. Depuis cinq ans, la révolution technologique est en train de tout chambouler, » résume Kevin Camphuis, cofondateur de l’incubateur spécialisé dans la FoodTech ShakeUp Factory.
La FoodTech, par la variété de ses champs d’action, permet d’utiliser une grande diversité de technologies comme l’analyse de données, l’intelligence artificielle, la robotique ou l’impression 3D.
La France dans le top 5 des pays de la FoodTech
L’innovation autour de l’agroalimentaire se développe de plus en plus dans de nombreuses régions du monde : « Les acteurs de la FoodTech, ce sont des milliers de startups à travers le monde qui ont levé environ 170 milliards d’euros en moins de dix ans, explique Kevin Camphuis. C’est une nouvelle économie de l’alimentation. »
Pierre Raffard, géographe et auteur du livre Géopolitique de l’alimentation et de la gastronomie : de la fourche à la FoodTech, précise qu’il y a plusieurs pôles principaux de la FoodTech dans le monde : « Si on fait une géographie globale, les États-Unis sont à des années-lumière pour l’instant par rapport à la France et même par rapport à l’Europe. Il y a aussi d’autres polarités pour la planète FoodTech comme l’Asie, autour de la Corée et du Japon, et l’Inde. Un autre pays vraiment à la pointe est Israël parce que, historiquement, Israël a toujours été à la pointe sur la modernisation de l’agriculture, notamment sur les systèmes d’irrigation. » Il estime que le fait que les États-Unis soient chefs de file sur la FoodTech a un impact géopolitique, notamment sur la mentalité du secteur : « La FoodTech nord-américaine impulse un discours et une nouvelle manière de voir l’alimentation qui, vue de France, peut sembler assez étrange. C’est une vision assez solutionniste des choses : manger est un problème et, parce que c’est un problème, il faut créer des outils et des instruments pour le résoudre. En France, manger est un plaisir et un fait de culture, et ça se retrouve au second plan par rapport à cette mentalité de trouver une solution au problème. »
Malgré des concurrents de taille, la France se défend bien. « Pour la première fois, en 2021, on a dépassé le milliard d’euros de levées de fonds pour des projets FoodTech et AgriTech, témoigne Kevin Camphuis. On parle de 600 à 700 nouvelles entreprises qui se sont créées et qui sont actives dans ce domaine. » La FoodTech en France est donc dans une phase d’accélération, au point qu’il affirme que « la France est aujourd’hui dans le top 5 des pays les plus dynamiques au niveau mondial. » Pierre Raffard ajoute cependant que les financements ne sont pas au même niveau que d’autres pays : « Il y a beaucoup de bonne volonté et de bonnes idées en France mais, sur un plan purement mercantile, les montants levés n’ont rien à voir avec ce qui se fait aux États-Unis. »
Dans le secteur très diversifié de la FoodTech, la France arrive à se démarquer sur certains types de produits et de services comme les insectes comestibles — le pays étant sur le point de devenir leader mondial d’après Kevin Camphuis — les alternatives aux pesticides et engrais chimiques, ou encore la gestion des surplus alimentaires et des déchets.
Des tendances parfois influencées par la pandémie
La tendance la plus marquée dans la FoodTech est celle des substituts de viande, qui répondent à la fois aux recommandations de santé et de respect de l’environnement sur la diminution de la consommation de viande et de poisson. « Il y a soit des produits qui imitent la viande sans utiliser des protéines animales, soit tout ce qui est viande cellulaire, créée à partir de cellules souches, dont on entend beaucoup parler mais qui n’est pas encore commercialisée à grande échelle, » explique Pierre Raffard.
Une autre tendance majeure de la FoodTech a été particulièrement mise en avant depuis les confinements : la multiplication des services de livraison à domicile, qu’il s’agisse de courses ou de plats préparés par des restaurants, et qui ont pris une telle importance qu’ils peuvent être considérés comme leur propre catégorie au sein de la FoodTech. L’utilisation massive de ces services de livraison a pu influencer des changements d’habitudes alimentaires, estime Kevin Camphuis : « C’est plus facile de livrer un steak végétal que de la viande et c’est plus facile de livrer des aliments frais que du surgelé. »
Une autre évolution que les consommateurs ne voient pas, c’est le développement de services B2B (Business to business, à destination des entreprises), par exemple des solutions informatiques pour la gestion des stocks et de l’analyse de données pour anticiper les futures tendances culinaires.
Face aux innovations alimentaires, des freins législatifs et sociaux
Si de nombreuses idées de produits alimentaires fusent, l’enthousiasme des inventeurs peut être refroidi par des freins législatifs ou sociaux. « Il n’y a rien de plus difficile que créer un produit alimentaire, c’est presque aussi compliqué qu’inventer un médicament, affirme Kevin Camphuis. En tout cas, les enjeux de sécurité sanitaire sont à peu près les mêmes, il y a un encadrement législatif qui est très solide. Jusqu’à l’année dernière, on n’avait pas le droit de vendre des insectes [comestibles] en France. » Un encadrement rigoureux qui rend les startups encore plus exigeantes et qui permet de rassurer les consommateurs sur les nouveaux produits qu’elles créent.
Le principal frein à l’innovation alimentaire reste cependant le consommateur, qui doit être convaincu d’inclure ces nouveaux produits dans ses habitudes pour les manger non seulement par souci pour sa santé ou l’environnement, mais aussi par plaisir : « Il y a cette curiosité d’essayer la viande végétale, mais après est-ce que ces produits répondent véritablement à un besoin ? demande Pierre Raffard. Les végétariens ne représentent que 3 à 4% des mangeurs et il n’est pas dit que la majorité d’entre eux a envie de manger de la viande végétale ou de synthèse. »
Kevin Camphuis ne se montre pas inquiet. Pour ce spécialiste, ce n’est pas une question de savoir si les consommateurs s’adapteront, mais quand : « Ça prendra du temps. Le Coca, le Nutella, tous ces produits auxquels les gens sont attachés, ce sont des dizaines d’années de mise au point et d’évolution. L’adaptation des algues et des insectes à des goûts occidentaux demandera un peu d’apprentissage. Je pense que, dans cinq à dix ans, nous n’y verrons que du feu. » D’après lui, l’élément le plus important pour passer de la curiosité à l’habitude alimentaire, c’est le passage des générations : « Nous voyons déjà ça avec l’émergence du végétarisme, les changements d’habitudes alimentaires viennent aussi avec les changements de génération. Nos enfants ne mangeront pas les mêmes choses que nous, ils s’habitueront à de nouveaux goûts. » De plus, ces évolutions pourraient être plus rapides grâce à la technologie : « A priori les changements de générations sont lents, mais le passage d’une génération à une autre est accéléré par la technologie. En l’espace de cinq ans, la totalité de la population a adopté les écrans tactiles, ça aurait été inimaginable il y a vingt ans ! »
Dans cette phase d’expérimentation et de foisonnement d’innovations, ce sont finalement les consommateurs qui décideront de l’avenir de la FoodTech dans la décennie à venir.