Entretien

Frédérick Sigrist : “J’ai fait Blockbusters pour des auditeurs comme moi”

30 juin 2025
Par Michaël Ducousso
L'humoriste Frédérick Sigrist présente l'émission “Blockbusters” tous les étés sur France Inter depuis 2015.
L'humoriste Frédérick Sigrist présente l'émission “Blockbusters” tous les étés sur France Inter depuis 2015. ©Radio France

L’humoriste et animateur de radio revient sur dix ans passés à la tête de l’émission de France Inter, qui a fait le pari de valoriser la pop culture.

Depuis dix ans, Frédérick Sigrist clame son amour de la culture pop, sous toutes ses formes, dans Blockbusters. L’émission, diffusée tous les étés sur France Inter, a conquis le cœur d’auditeurs particulièrement fidèles en mettant à l’honneur des produits culturels trop souvent regardés de haut. Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin, et nous avons donc donné la parole à l’animateur passionné avant qu’il n’entame la dixième et dernière saison de son émission, lundi 30 juin à 17 heures.

L’annonce de l’arrêt de l’émission a-t-elle été une surprise pour vous ?

Non, je m’y attendais. Ça correspondait à une tendance pour les médias, radio ou télé, qui consiste à abandonner les espaces de critique autour d’objets tels que les séries, les films, ou encore les jeux vidéo. Ce genre de contenus est laissé aux podcasts ou aux chaînes YouTube et Twitch.

Pourtant, la pop culture a prouvé ces dernières années qu’elle séduisait autant le public que les annonceurs, donc il y aurait un réel intérêt économique à continuer de la valoriser…

Je pense qu’il y a une sorte de quiproquo autour de la manière dont on devrait en parler, ou dont on en parle. Parce qu’aujourd’hui, quand un film ou un jeu va sortir, les studios vont chercher un influenceur avec un certain nombre d’abonnés pour faire de la publicité déguisée. Ils privilégient ce genre de tribunes à des émissions critiques. Dans les médias généralistes, on se heurte aussi à un phénomène de vieillissement de la population.

Pour la dernière saison de Blockbusters, Frédérick Sigrist a invité le public à choisir le thème des émissions estivales.©Radio France

Le nombre de personnes qui écoutent la radio ou regardent la télé et qui font l’objet d’une évaluation par Médiamétrie baisse et vieillit. Donc les décideurs se disent qu’il faut leur fournir des programmes prémâchés, en accord avec l’idée qu’ils se font de leur public. Mais c’est une erreur fondamentale : dans leur tête, une émission sur Pokémon n’intéresserait que les jeunes auditeurs, alors qu’en réalité, il y a énormément de trentenaires, de quadragénaires, voire de quinquagénaires qui ont aussi joué à cette licence.

L’infantilisation du public des produits étiquetés “pop culture” n’est, hélas, pas un phénomène nouveau. Pensez-vous qu’elle vient d’une forme de mépris ?

Je ne sais pas si c’est forcément du mépris, par contre, je sais que la manière dont on l’aborde dans Blockbusters peut gêner, même au-delà des décideurs de la chaîne. Pour la simple raison que l’on peut difficilement parler de pop culture sans parler de politique. Car les œuvres d’art, quelles qu’elles soient, sont portées par des auteurs, des autrices qui ont un propos, qui disent quelque chose. Et quand on analyse une œuvre, on est obligé, par la force des choses, de parler de celui ou de celle qui est derrière, également.

Aujourd’hui, nous sommes dans une forme de clivage, de bipolarisation de tous les débats. Le simple réel devient problématique. Par exemple, quand je fais une émission sur Les trois mousquetaires et que je rappelle qu’Alexandre Dumas était fils d’un esclave affranchi, qu’il était métis, et que l’expression “être le nègre de quelqu’un” vient du racisme qu’il a dû subir de la part des autres auteurs français de l’époque, c’est considéré comme une forme de militantisme. Alors que ce sont simplement des faits ! Mais le dire aujourd’hui vous vaut d’être taxé de militant “woke”…

Malgré tout cela, votre émission a quand même réussi à tenir dix saisons. Pensiez-vous, au moment de la lancer, qu’elle durerait aussi longtemps ?

Je dois avouer que j’ai toujours redouté la fin de Blockbusters, je me disais : “À un moment donné, ils vont s’en rendre compte et ils vont me retirer mes jouets.” Voilà, c’est arrivé. Mais, dès le début, quand le directeur des programmes de France Inter – à l’époque, c’était Emmanuel Perreau – m’a donné le champ libre pour faire l’émission que j’aurais voulu écouter en tant qu’auditeur, il y avait déjà des réactions assez violentes au sein de la rédaction.

Frédérick Sigrist ne clame pas son amour pour la pop culture qu’à la radio. Sur scène aussi, l’humoriste utilise la culture de masse pour faire rire.©DR

Comme si j’allais entraîner l’abêtissement de la population… J’ai toujours trouvé ça étonnant que, sur le service public, il y ait je ne sais combien d’émissions sur la science, la musique classique, sur Michel Legrand et Bertrand Blier… Mais que tout un pan de la culture soit quasiment absent. On m’a dit : “Mais est-ce que tu ne fais pas une émission de niche ?”

Ceux qui aiment les jeux vidéo, la BD, les mangas ou les films d’horreur paient aussi des impôts, donc je ne vois pas pourquoi ils n’auraient pas le droit d’avoir leur émission. Surtout que, quand je fais une émission sur Naruto ou Taylor Swift, je touche potentiellement plus de gens qu’une émission de cinéma spéciale Abdellatif Kéchiche.

Justement, en termes d’audiences, les chiffres semblent prouver que la pop culture n’est pas vraiment une niche…

Dès la première saison, qui n’a duré qu’un mois, les chiffres des replays concurrençaient ceux d’Affaires sensibles et, désormais, on oscille grosso modo entre 800 000 et 1 million d’auditeurs pour chaque émission quotidienne de l’été, et les replays sont téléchargés en moyenne 800 000 fois également.

Ce qui nous a étonné au fil des saisons, c’est que votre public, que l’on entend toujours en début d’émission, est très fidèle, mais semble également se sentir très proche de vous…

Il y a énormément d’animateurs qui sont bien plus doués que moi, mais quand je parle de quelque chose, c’est parce que j’aime ça depuis des années et j’invite des personnes qui sont aussi passionnées et qui peuvent vous en parler pendant une heure avec des étoiles plein les yeux. Même si on n’est pas forcément touché par le sujet de fond, cette passion se ressent et fait du bien aux gens, car il y a quelque chose de profondément contagieux dans l’amour que l’on peut avoir pour tel ou tel sujet.

De plus, je suis fils unique et les mondes imaginaires dont on parle dans Blockbusters ont longtemps été mon refuge – aujourd’hui encore, d’ailleurs –, mais je n’ai pas eu de frères et sœurs avec qui partager ça. Donc quand j’ai eu l’occasion de faire cette émission, je l’ai faite pour des auditeurs comme moi, pour avoir plein de copains et de copines avec qui parler du dernier film qu’on a vu ou du dernier jeu auquel on a joué.

Cette année, vous avez poussé le concept jusqu’à proposer à tous ces “copains et copines” de choisir les sujets abordés dans les émissions de l’été.

Oui et on a reçu plus de 1 000 réponses pour une saison qui va comporter 40 épisodes, dont 15 déjà diffusés. Je pensais que ça allait être compliqué de faire le tri, mais en fait, il y a des évidences qui se sont imposées. Ce qui ressortait en premier, c’était Jurassic Park. Ensuite, ils avaient envie d’entendre parler de Code Quantum, de Clair obscur : Expedition 33, Warhammer 40 000 ou encore Moebius.

Les autres idées vous serviront-elles pour vos projets ? Où allez-vous parler de pop culture après Blockbusters ?

Blockbusters est un nom qui va rester dans le giron de France Inter, mais je serai désormais totalement libre de faire des choses qui m’ont été refusées jusqu’à présent. J’ai eu plein d’opportunités incroyables avec des dessinateurs, des acteurs, des réalisateurs que j’ai dû refuser faute de temps d’antenne. Donc, maintenant, mon but va être de créer un espace dans lequel je pourrai faire ces choses-là.

Geek et fier de l’être, Frédérick Sigrist fait souvent preuve d’autodérision lorsqu’il confronte ses héros imaginaires aux réalités du quotidien.

Peut-être un podcast, mais aussi, pourquoi pas, carrément une émission diffusée sur le Web, à l’instar de ce qu’a fait l’équipe d’Arrêt sur images lorsqu’ils se sont déplacés sur le Net, en indépendant. Car je pense qu’il y a une réelle appétence pour ce type de sujets, qu’il faut continuer à parler de cette culture de cette manière et j’espère pouvoir continuer à le faire le plus longtemps possible et de la manière la plus libre qui soit.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste
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