Critique

Leviathan : un huis clos spatial original à plus d’un titre

08 janvier 2022
Par Stéphanie Chaptal
L’intrigue est soutenue par un dessin splendide avec un sens du détail exceptionnel.
L’intrigue est soutenue par un dessin splendide avec un sens du détail exceptionnel. ©Shiro Kuroi/Ki-oon

Pour sa rentrée 2022, Ki-Oon frappe fort avec son nouveau titre, Léviathan. Cette aventure dans l’espace permet de découvrir l’œuvre d’un mangaka au travail artistique et scénaristique soigné.

Un paquebot spatial erre à l’abandon. Une équipe de pilleurs s’aventure dans ses entrailles à la recherche de ses richesses et tombe sur le journal d’un collégien en voyage scolaire sur le navire. Peu à peu, les intrus découvrent le drame qui s’est noué dans le vaisseau, il y a bien longtemps. Mais sont-ils réellement seuls ? Reste-t-il un survivant ? Et ne sont-ils pas, eux aussi, menacés ?

Premier manga publié par Shiro Kuroi, Léviathan est un thriller psychologique ayant pour cadre l’espace. Ou plutôt un vaisseau errant entre les étoiles. Le lecteur va y suivre deux trames temporelles : celle des pilleurs qui découvrent l’endroit à l’abandon, et celle de Kazuma Ichinose et de ses camarades de classe en partance pour la Terre, alors que leur paquebot a été gravement endommagé par des astéroïdes. Isolés du reste du vaisseau, lui, ses camarades et les deux adultes qui les encadrent vont devoir survivre. Avec des ressources limitées et un secret de plus en plus lourd à porter, la situation devient tendue.

De la SF pour parler de psychologie

Pour Shiro Kuroi, Léviathan est « une expérience intellectuelle sur les thèmes du dilemme du tramway ou de la planche de Carnéade. Dans un contexte de terreur face à l’inconnu, l’hystérie de groupe prend souvent le pas sur la raison, comme on peut le voir par exemple avec le corona. J’ai imaginé mon histoire avant l’apparition du virus, ce n’est donc pas lié, mais les événements du monde réel nourrissent mes réflexions. » Pour autant, il a choisi l’imaginaire pour son récit, car « c’est un genre qui permet de mettre aisément en scène des situations extrêmes. Pour Léviathan, j’avais besoin d’une base de science-fiction pour introduire une histoire fondée sur des expériences psychologiques. »

Et le lecteur se retrouve happé. À deux ou trois exceptions près, les personnages principaux sont des adolescents plus impulsifs et moins formatés par les contraintes sociales et morales que les adultes. La lutte à mort pour la survie semble être un classique de la pop culture japonaise depuis au moins Battle Royale, le roman de Kōshun Takami sorti en 1999 et adapté en films, série et manga (et qui influence encore aujourd’hui des productions comme Squid Game). Ici, Shiro Kuroi la revisite en la faisant plus insidieuse et en jouant sur le rôle du secret et des alliances déjà formées avant l’entrée sur le vaisseau.

©Shiro Kuroi / Ki-oon

De plus, l’intrigue est soutenue par un dessin splendide avec un sens du détail exceptionnel, tant dans l’architecture des lieux que dans les personnages. Loin d’être tous lisses et parfaits – ou monstrueusement horribles –, ils ne sont pas sans rappeler les œuvres de Katsuhiro Ôtomo (Akira, Dômu) ou de Tsutomu Nihei (Blame, Biomega). Shiro Kuroi reconnaît avoir travaillé « quelque temps comme assistant pour Tsutomu Nihei il y a une dizaine d’années. Ça n’a duré que deux ou trois mois, mais cette expérience m’a beaucoup appris et a pu influencer mon style de dessin ». L’influencer à tel point que, visuellement, l’œuvre ne ressemble guère à la production de manga habituel.

La culture française comme influence

La France et sa production culturelle ont également eu une grande importance pour l’auteur : « Je ne suis jamais allé en France, mais je suis fasciné par la puissance de sa culture et de ses traditions. Pour les Japonais, ce pays est un véritable symbole d’élégance. J’ai un grand intérêt pour sa bande dessinée, c’est une de mes références en création. J’aime en particulier les œuvres de Moebius, François Schuitten ou encore Nicolas de Crécy. Pour Léviathan, j’essaie de me rapprocher du rendu des Cités obscures. Côté film, j’apprécie aussi certaines productions françaises comme Nikita, Le Grand Bleu de Luc Besson, ou encore Trois couleurs de Krzysztof Kieslowski. »

©Shiro Kuroi / Ki-oon

Cet intérêt pour la France est d’ailleurs réciproque, car Léviathan est publié dans l’hexagone avant même une sortie au Japon. Une éditrice de Ki-Oon était au pays du soleil levant pour dénicher de nouveaux talents, quand elle a croisé la route de l’auteur. « Elle m’a abordé lors d’un Comitia (convention de fanzines) où je vendais mes créations. Il y avait entre autres un épisode pilote de Léviathan, et elle m’a conseillé de travailler dessus. Nous nous sommes mis d’accord pour avancer sur la suite de cette histoire », se souvient-il. Dans un premier temps, trois tomes sont prévus pour une sortie en 2022, mais l’auteur ne s’interdit pas de revenir dans cet univers, en le transformant en série. À chaque fois, les pilleurs du récit-cadre partiraient à la recherche de trésors des vaisseaux perdus lors de l’expansion de l’humanité dans les étoiles.

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Article rédigé par
Stéphanie Chaptal
Stéphanie Chaptal
Journaliste
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