
Face aux critiques et aux attaques devant les tribunaux, OpenAI fait finalement machine arrière. La société éditrice de ChatGPT va conserver sa structure actuelle, c’est-à-dire un contrôle par sa maison mère à but non lucratif, en ajustant toutefois l’organisation de sa branche commerciale.
OpenAI, à l’origine du fameux ChatGPT, opère un revirement assez spectaculaire dans sa stratégie de réorganisation. L’entreprise a ainsi confirmé qu’elle resterait finalement sous la gouvernance de son entité à but non lucratif, renonçant à son projet antérieur de muer intégralement en société lucrative. Cette décision intervient après plusieurs mois de contestations, et notamment une action en justice initiée par Elon Musk, l’un des cofondateurs d’OpenAI.
Un revirement inattendu
Dans un billet de blog fraîchement posté, l’entreprise qui a révélé au grand public l’intelligence artificielle a ainsi affirmé que sa division à but non lucratif conserverait la main sur OpenAI, tandis que sa filiale à responsabilité limitée (LLC) se transformerait en société de bienfaisance publique (PBC). Cette nouvelle organisation permettra aux employés, aux investisseurs, ainsi qu’à l’organisation à but non lucratif de détenir des parts au sein de la PBC.
« La décision de maintenir le contrôle par l’organisation à but non lucratif a été prise après consultation de leaders de la communauté et des échanges avec les bureaux des procureurs généraux de Californie et du Delaware », a fait savoir l’entreprise.

OpenAI a également précisé qu’elle œuvrerait de concert avec Microsoft (son principal bailleur de fonds), les instances de régulation et les nouveaux commissaires de l’organisation à but non lucratif pour parachever ce plan remanié.
Cette annonce représente évidemment un virage à 180° par rapport aux intentions affichées par OpenAI en décembre dernier. L’entreprise avait alors envisagé de se restructurer intégralement en société de bienfaisance publique, arguant que cette modification lui permettrait de « lever davantage de capitaux que prévu » et de s’affranchir des contraintes imposées par sa structure actuelle.
Entre aspirations sociales et ambitions pécuniaires
Bret Taylor, président du conseil d’administration d’OpenAI, a insisté sur le fait que cette nouvelle orientation signifiait le maintien d’une structure « extrêmement proche » de l’existante. Sam Altman, PDG d’OpenAI, a, pour sa part, qualifié cet arrangement de compromis « qui fonctionne suffisamment bien pour les investisseurs, lesquels sont heureux de continuer à nous financer au niveau que nous estimons nécessaire ».
Des interrogations subsistent néanmoins quant à la répartition équitable des actifs entre les pôles à but non lucratif et commerciaux. De même, la manière dont l’entreprise conciliera la génération de profits et sa responsabilité sociale dans le développement des technologies d’IA reste une question ouverte.

Rappelons au passage qu’aux États-Unis, les organisations à but non lucratif œuvrent pour l’intérêt public, tandis que les sociétés de bienfaisance publique jouissent généralement d’une plus grande marge de manœuvre pour rechercher des bénéfices parallèlement à leurs objectifs sociaux. En maintenant cette structure hybride, OpenAI s’efforce donc de concilier sa mission originelle, à savoir le développement d’une IA bénéfique à l’humanité, et son impératif d’attirer des investissements conséquents.
Des implications financières sous haute surveillance
Alors que la compétition pour le développement de l’intelligence artificielle générale (IAG) s’intensifie, OpenAI cherche à mobiliser davantage de capitaux. En mars, l’entreprise a ainsi fait part de son intention de lever jusqu’à 40 milliards de dollars lors d’un tour de table mené par SoftBank Group, valorisant l’entreprise à 300 milliards de dollars. Cette levée de fonds était toutefois conditionnée à la transition d’OpenAI vers un statut lucratif d’ici la fin de l’année.
Certains analystes émettent des réserves, estimant que la supervision par une organisation à but non lucratif pourrait entraver la capacité de la start-up à lever des fonds aussi efficacement qu’elle le pourrait sans un tel contrôle. « Le statut d’organisation à but non lucratif réduit la capacité d’OpenAI à attirer des capitaux, car les investisseurs cherchent généralement à générer un rendement sur leurs investissements, ce qui est plus difficile si une organisation à but non lucratif contrôle une entité commerciale », a expliqué Gil Luria, analyste chez D.A. Davidson. Les deux principaux investisseurs que sont SoftBank et Microsoft n’ont pas réagi à cette annonce pour l’instant.
Un historique émaillé de tensions internes
Rappelons que la structure organisationnelle d’OpenAI avait déjà défrayé la chronique en novembre 2023 lors d’une crise d’envergure. Les membres du conseil d’administration à but non lucratif avaient alors démis Sam Altman de ses fonctions à la suite d’une « rupture de communication et de confiance ». Mais, après un enchaînement d’événements assez rocambolesques, il avait fini par être réintégré cinq jours plus tard, porté par un soutien massif des employés et des investisseurs. Cet épisode avait toutefois mis un coup de projecteur sur les frictions potentielles entre la mission fondatrice d’OpenAI et les impératifs commerciaux auxquels l’entreprise est confrontée dans un secteur aussi concurrentiel.
Le différend actuel avec Elon Musk ajoute également une strate de tensions. Musk, qui a cofondé OpenAI en 2015 en tant qu’organisme de recherche à but non lucratif, s’efforce depuis plusieurs mois d’empêcher la transition vers un modèle lucratif, alors même que la société est en concurrence directe avec sa propre start-up, xAI, dans le domaine de l’IA générative. En février, un groupe mené par Musk avait proposé d’acquérir OpenAI pour la somme de 97,4 milliards de dollars. Une offre promptement déclinée.
Interrogé sur ce conflit, Sam Altman a déclaré : « Nous sommes profondément concentrés sur notre mission et les étapes nécessaires pour y parvenir. Vous êtes tous préoccupés par Elon, c’est votre rôle. Toutefois, notre priorité est de nous concentrer sur notre mission et de déterminer comment la faciliter. Cette mission reste inchangée. »
Le revirement d’OpenAI avec sa décision de maintenir le contrôle par son organisation à but non lucratif apparaît en tout cas comme une victoire pour ceux qui redoutaient un abandon de sa mission première. D’ailleurs, le mois dernier, une coalition d’anciens employés d’OpenAI, de lauréats du prix Nobel, de professeurs de droit et d’organisations de la société civile avait adressé une lettre aux procureurs généraux de Californie et du Delaware, leur demandant de bloquer les manœuvres de restructuration de la start-up. Pour l’instant, ils ont été entendus par Sam Altman.