Critique

Sinners avec Michael B. Jordan : American vampire

16 avril 2025
Par Robin Negre
“Sinners”.
“Sinners”. ©Warner Bros.

Ryan Coogler est de retour au cinéma avec un film d’horreur sanglant se passant en Louisiane pendant la Prohibition.

L’après Black Panther: Wakanda Forever (2022) était très attendu pour Ryan Coogler. Film marqué par la perte de son acteur principal, Chadwick Boseman, ce deuxième volet avait également souffert de la difficulté pour le MCU à trouver son chemin après Avengers: Endgame (2019).

Avec Sinners, le réalisateur à qui l’on doit également Creed (2015) s’éloigne des franchises et propose un film entièrement original, qu’il écrit et réalise. Une plongée sombre et puissante dans la Prohibition américaine en Louisiane, alors que deux frères jumeaux tentent d’ouvrir un bar et que des créatures monstrueuses s’invitent à la fête.

Sinners.©Warner Bros.

Film particulièrement personnel pour son auteur, Sinners contient toutes les thématiques qui lui sont chères. Il parvient à les insérer dans un film dense, profond et mêlant les genres – il joue à la fois la carte du thriller, du film de gangsters, du musical, du film de série B, de l’horreur, de la romance, du film social et enfin du film de vampire ! Avec un équilibre subtil et minutieux, Ryan Coogler parvient à faire de Sinners la somme de toutes ces inspirations sans jamais dévier de sa feuille de route. Un exercice d’équilibriste parfaitement réussi, faisant du long-métrage le meilleur film de son cinéaste.

Construit sur une temporalité réduite (une journée et une nuit), Sinners se découpe en trois parties distinctes : la préparation des jumeaux pour ouvrir leur bar, la soirée festive et la bascule vers l’horreur lorsque les vampires font leur apparition. Une structure simple et explicite qui permet à Coogler de jouer avec son intrigue et ses thèmes. L’exposition pose le cadre social et politique du film, la soirée développe l’aspect culturel et musical, tandis que la bascule n’hésite pas à emprunter aux films de série B pour devenir un défouloir sanglant, généreux, ne faisant pas – c’est volontaire – dans la subtilité.

Sinners.©Warner Bros.

Un film charnel

Dans Sinners, Ryan Coogler retrouve son acteur fétiche, Michael B. Jordan. Présent dans tous ses longs-métrages, il incarne ici un double rôle, celui de jumeaux gangsters au passé mystérieux, qui reviennent dans leur ville natale après avoir vécu à Chicago. L’acteur s’amuse avec ces deux partitions et offre à chaque frère une personnalité différente. À ses côtés, le reste du casting est tout aussi remarquable, avec la présence notable d’Hailee Steinfeld et de Wunmi Mosaku.

Le titre du film ne laisse place à aucun doute. Sinners va parler de tentation et de péchés, à commencer par la cupidité et la luxure. Ryan Coogler, par son esthétique et ses dialogues, donne une dimension charnelle à son film, évoquant régulièrement le désir, l’érotisme, allant du nouvel amour aux retrouvailles d’anciens partenaires. Avec en ligne de mire l’arrivée des créatures de la nuit, le cinéaste, comme de nombreux auteurs avant lui, fait le parallèle entre sexe et vampires : les suceurs de sang représentant la désinhibition, l’impulsion et le besoin de satisfaire instantanément le désir.

Sinners.©Warner Bros.

Au cœur de Sinners se trouvent également la place et le rôle de la musique, autre élément de désir primaire (et de langage) pour les protagonistes. Vue tantôt comme un moyen de guérison et de rassemblement, tantôt une porte ouverte à la tentation et à l’arrivée du mal, la musique est centrale. Que cela soit dans le propos ou dans la forme, cette thématique favorise l’élément déclencheur du film et permet de définir la personnalité de plusieurs personnages. La bande originale composée par Ludwig Göransson (Tenet, Oppenheimer…) – également producteur du film – est ainsi omniprésente et accompagne quasiment toutes les scènes, offrant des rythmiques particulières et une sensation hypnotique.

Dans l’intrigue même, les personnages jouent des instruments, chantent, dansent et s’adonnent à des transes fascinantes. Deux scènes comptent parmi les plus saisissantes du film, incarnant à elles seules tout le propos du long-métrage autour de l’identité et offrant des tableaux splendides.

Que représente le vampire aux États-Unis ?

En introduisant comme principal antagoniste un vampire – dont l’esthétique est impeccable, soulignée par des artifices malins – venu d’Irlande, brillamment interprété par l’hypnotique Jack O’Connell, Sinners questionne aussi la figure du suceur de sang sur les terres de l’Oncle Sam. Le folklore vampirique, étroitement lié au Vieux Continent, trouve un nouvel écho en Louisiane et revêt une autre signification.

Ryan Coogler ne se contente pas de proposer une métaphore évidente autour du racisme et de la ségrégation aux États-Unis. Il va plus loin et parle d’identité au sens large, tout en rappelant en quoi le vampire est lié à la passion charnelle, mais aussi au Diable et à l’assouvissement des instincts les plus primaires des humains.

Sinners.©Warner Bros.

Sinners s’inscrit ainsi aux côtés d’autres œuvres ayant traité du vampire en Amérique, telles que True Blood (2008), Une nuit en enfer (1996, l’hommage au film de Robert Rodriguez est évident) – ou encore à la série de comics American Vampire (2010) de Scott Snyder.

Le film évoque également comment les États-Unis se sont construits à la fois sur le génocide d’un peuple existant – la présence de natifs américains lors d’une seule scène est sans équivoque – et sur l’importation des mythes et des légendes d’Europe.

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Avec sa générosité sur le fond comme sur la forme, Sinners a tout du grand film porté par la vision de son auteur, utilisant le fantastique, le folklore, un temps et un lieu limités pour alimenter ses thèmes, sans oublier d’être de surcroît un véritable film de vampire. Malgré toute la densité du projet, Ryan Coogler parvient à rester sur le fil, sans tomber dans la caricature.

Si certains choix audacieux peuvent déplaire, Sinners est l’affirmation d’un cinéaste enfin en mesure de mettre toute sa personne dans un projet, sans devoir s’astreindre à respecter une saga ou la volonté d’une major. Les vampires selon Ryan Coogler feront date, Sinners est le film le plus abouti de son auteur.

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La bande-annonce de Sinners.

Sinners, de Ryan Coogler, avec Michael B. Jordan, Hailee Steinfeld, Miles Caton, Wunmi Mosaku et Jack O’Connell, 2h17, au cinéma le 16 avril 2025.

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