
Alors que sa dernière saison commence ce 4 avril, il est temps de revenir sur une œuvre qui, en mêlant action, spiritualité et dystopie, a su bousculer les codes du shōnen et s’imposer comme l’un des animés les plus marquants de sa génération.
C’est l’histoire d’un manga qui se base sur un phénomène connu de tous : le feu. Mais ici, la flamme est plus qu’une simple combustion. Elle est souffle vital, malédiction, dogme religieux, arme de guerre, moteur de révolte.
Depuis sa première publication en 2015 dans le Weekly Shōnen Magazine, Fire Force d’Atsushi Ōkubo – également à l’origine du succès mondial Soul Eater – n’a cessé de surprendre par sa proposition narrative et esthétique. Adaptée dès 2019 en anime par le studio David Production (JoJo’s Bizarre Adventure), la série s’apprête à entamer sa troisième et ultime saison le 4 avril sur Crunchyroll. L’occasion rêvée de revenir sur ce shōnen incandescent, à la croisée des genres, devenu culte.
Un monde en cendres, un héros en feu
Année 198 du calendrier solaire. L’humanité lutte contre un mal mystérieux : la combustion humaine spontanée. Ceux qui s’enflamment deviennent des « torches humaines », créatures tourmentées et destructrices. Pour leur faire face, des brigades spéciales, les Fire Force, mêlent science, religion et pouvoirs surnaturels. Shinra Kusakabe, jeune pyrokinésiste au sourire démoniaque, rejoint la 8e brigade pour accomplir son rêve de héros et élucider l’incendie qui a décimé sa famille.

En deux saisons, l’anime a construit une intrigue dense, rythmée, refusant les raccourcis. La première saison a posé méthodiquement les enjeux, distillant ses mystères et créant une ambiance unique ; tandis que le deuxième volet a accéléré l’histoire, introduit l’Adora Burst – flamme sacrée aux pouvoirs mythiques – et exploré les ramifications d’un complot mené par le Grand prédicateur, prophète d’une nouvelle apocalypse.

La saison 3, découpée en deux parties (la première diffusée en avril et la seconde en janvier 2026), promet des réponses aux grandes questions de cet univers si bien délimité : qu’est-il arrivé lors de la Grande catastrophe qui a détruit le monde, il y a 250 ans ? Quelle est la véritable nature d’Adora, ce monde parallèle où le feu règne ? Shinra parviendra-t-il à sauver son frère et l’humanité des flammes ?
Un shōnen aux multiples visages
Ce qui frappe dans Fire Force, c’est sa capacité à défier les catégories. Shōnen d’action, il flirte avec la science-fiction, l’horreur, le thriller et même la satire religieuse. Ōkubo puise dans les récits bibliques autant que dans la pop culture : les zombies en feu, inspiration initiale du manga, côtoient des concepts métaphysiques et une critique implicite de l’ordre établi.

La religion y est omniprésente : le Temple du Saint-Soleil guide la société, les brigades de pompiers agissent en synergie avec des sœurs, et chaque incinération d’Infernaux est précédée d’un rituel. Mais l’œuvre interroge : que vaut une foi née de la peur et du besoin de réconfort ? Et que deviennent les dogmes lorsqu’ils vacillent face à la quête de sens et de vérité ?

Malgré la tentation d’un manichéisme classique, Fire Force brouille les pistes. Le mal n’est pas toujours là où on l’attend, les héros n’ont rien d’angélique et les ennemis apparaissent parfois plus lucides que les figures d’autorité. Cette ambiguïté constante rend la série imprévisible et mature, bien loin des codes habituels.
Une galerie de personnages flamboyante
La richesse du manga tient aussi à ses personnages, tous magnifiquement écrits et visuellement marquants. Shinra, le héros en quête de vérité, est accompagné de figures aussi différentes qu’indispensables : Maki Oze, soldate surpuissante qui démonte le cliché de la « damoiselle en détresse », Akitaru Ōbi, capitaine sans pouvoir, mais à la morale inébranlable, ou encore Iris, douce et déterminée. Mention spéciale à Arthur Boyle, ami-rival halluciné, persuadé d’être un chevalier médiéval, ou à Shinmon Benimaru, capitaine de la 7ᵉ brigade, aussi brutal qu’emblématique.

Côté antagonistes, l’œuvre regorge de visages inoubliables, à commencer par Joker, trouble-fête magnifique doublé par Kenjirō Tsuda (Jujutsu Kaisen). Leurs pouvoirs, tous liés au feu, offrent une diversité visuelle et narrative bluffante. Chaque affrontement est un prétexte pour explorer une nouvelle facette de leur personnalité, mais aussi pour questionner leur place dans un système déliquescent. Seul bémol : la sexualisation inutile de certains personnages féminins, en particulier Tamaki, qui jure avec la profondeur du reste du casting.
Esthétique flamboyante, mise en scène millimétrée
Dès ses premiers épisodes, Fire Force impose un style visuel fort. Feu stylisé, textures épaisses, combats chorégraphiés avec un sens du rythme redoutable… L’animation de David Production est d’une qualité constante, éblouissante. Les affrontements entre Shinra et Shō, ou Ogun contre un démon géant, figurent parmi les plus intenses du genre. La série joue aussi brillamment des silences et des scènes figées, créant des ruptures de ton saisissantes, tantôt comiques, tantôt dramatiques.

L’univers graphique, entre lumières réfléchissantes et contrastes de teintes chaudes et froides, crée une ambiance unique, presque palpable. Et à mesure que la narration gagne en densité, l’esthétique suit : certains passages deviennent quasi psychédéliques, frôlant le surréalisme, renforçant la nature mystique du récit. La saison 3, à en croire son premier épisode, devrait encore repousser les limites de cette identité visuelle.
Une œuvre pensée de bout en bout
Ce qui impressionne peut-être le plus, c’est la sensation constante que tout a été pensé dès le départ. Chaque élément du scénario, chaque personnage, chaque décor, chaque rituel semble faire partie d’un plan global. Pas de longueurs inutiles, pas de précipitation : le rythme est maîtrisé. La série prend le temps de développer son monde, de faire monter la tension.
Avec ses 24 épisodes par saison, Fire Force s’éloigne des formats courts souvent privilégiés aujourd’hui. Ce choix structurel renforce l’immersion, donne de l’épaisseur à l’univers et permet à chaque protagoniste d’exister pleinement. Et alors que la dernière saison s’annonce comme l’aboutissement de ce vaste projet narratif, les attentes sont immenses – mais l’anime semble prêt à les honorer.