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Après le succès de Rome, un titre engagé, et un EP prometteur, Solann dévoile Si on sombre ce sera beau, un premier album baroque et néofolk porté par des textes percutants et sombres, imprégnés de contes et de mythes, et une voix cristalline enchanteresse.
Fille d’un comédien et d’une artiste multifacettes, Solann s’est façonné un univers singulier et fascinant, truffé de références à ses origines arméniennes et aux récits d’antan, mais bien ancré dans son époque. Pour le mettre en musique, l’artiste de 25 ans s’est tournée vers Valentin Marceau, surnommé Marso, qui a notamment travaillé avec Suzane et Pierre de Maere, gage d’une musique exigeante et efficace. La preuve, Solann est nommée à deux reprises aux 40e Victoires de la musique, dans les catégories Révélation féminine et Révélation scène. Pour en percer tous les mystères, et avant la cérémonie française qui aura lieu le 14 février 2025, L’Éclaireur est allé à sa rencontre.
Pourquoi avez-vous choisi d’intituler votre premier album Si on sombre ce sera beau, qui n’est pas le titre d’une chanson, mais une phrase qui clôture le Préambule ?
Cette phrase résume cette envie que j’ai de rendre beau ce qui est laid, sale, rude ou violent. Je ne suis pas pessimiste, mais assez fataliste quant à la direction que nous prenons. La vie est un cycle, donc un jour, tout va s’effondrer, mais cela donnera naissance à un nouveau début. C’est ce phénomène qui est beau. Au fil de l’histoire, les empires se sont davantage construits sur des bains de sang et des sacrifices que sur de l’amour et de la joie, donc leurs chutes n’ont rien de grave.
La chanson Rome, avant tout féministe, fait aussi référence à l’Antiquité. Êtes-vous passionnée par cette période ?
J’ai grandi avec des contes, des fables et des mythes. Je suis passionnée par tous les livres, tous les films ou tous les albums qui en sont des réécritures. J’ai adoré la version d’Electre de Simon Abkarian. J’ai aussi été marquée par l’album Unreal Unearth de Hozier, totalement imprégné de L’enfer de Dante. Il y a aussi dans le film Under the Silver Lake de David Robert Mitchell, qui a un côté biblique qui me fascine.
« Un artiste, quand il est ancré dans son temps, est forcément politique, donc j’étais un peu coincée. »
Solann
Parmi les personnages emblématiques des contes, il y a les ogres, auxquels vous consacrez une chanson. Qui sont-ils exactement dans ce texte ?
La chanson Les ogres parle de ces entités qui sont là depuis très longtemps et qui nous plongent dans le chaos, juste par avidité et gourmandise et non par faim ou nécessité. Elles ont tout, mais en veulent toujours plus. Pour y arriver et conserver leur statut, elles n’hésitent pas à sacrifier énormément de personnes.
Évidemment, des noms nous viennent en tête. Les ogres, Rome ou encore Les draps, derrière leurs aspects fantasmagoriques, ces chansons sont politiques. Vous considérez-vous comme une artiste engagée ?
Je n’ai pas écrit ces chansons pour cela. J’y parle de blessures qui parfois sont sociétales. Dans Les draps, il est très facile de comprendre à quoi je fais allusion et je ne suis pas la seule à être touchée. Rome traite aussi des violences faites aux femmes. Je ne peux pas me détacher de cette réalité. Un artiste, quand il est ancré dans son temps, est forcément politique, donc j’étais un peu coincée ! [Rires]
Après le Préambule, vous nous plongez dans vos origines arméniennes avec Mayrig qui signifie Maman. Était-ce important pour vous d’y faire allusion ?
Absolument ! J’ai même prévu de le faire beaucoup plus dans mes prochaines chansons, mais là, je voulais que ce soit simple et digne. J’en suis proche parce que mes grands-parents m’en parlaient beaucoup. Je sais ce que ma famille a traversé pour échapper à toutes les violences faites contre les Arméniens. Je ne pouvais pas mettre ça de côté, ça fait partie de mon histoire. Je ne suis encore jamais allée en Arménie, mais j’en ai très envie. Actuellement, je prépare un voyage à Erevan, la capitale, mais j’attends que ça se calme un peu.
Êtes-vous sensible à la musique de cette région ? Vous inspire-t-elle ?
Je ne suis pas très au fait des musiques actuelles arméniennes, mais j’ai grandi en écoutant la musique traditionnelle au Duduk, avec ses harmonies et ses quarts de ton. Il y en a un peu dans l’album, mais de manière diffuse. Il faut tendre l’oreille pour le reconnaitre, comme si vous jouiez à Où est Charlie ? [Rires]
Il y a dans votre musique un aspect baroque qui se retrouve sur la pochette. Pourquoi cette période vous inspire-t-elle ?
La pochette a été réalisée par Clémentine Ecobichon, et elle est clairement inspirée de l’œuvre du Caravage. Je suivais son travail, mais nous nous sommes rencontrées lors du shooting. Nous partageons les mêmes goûts pour cet artiste et les clairs-obscurs. En peinture, nous n’avons rien réalisé de plus beau. L’art abstrait me touche beaucoup moins, j’ai besoin de voir les choses, aussi violentes soient-elles, à travers l’œil d’un esthète !
Vous peignez aussi et vous faites même du crochet !
En effet, je continue de peindre pour me faire du bien, mais je n’ai pas forcément envie de partager le résultat avec plein de monde. Et oui, je fais du crochet, des robes entières. Ça me prend du temps, mais c’est facile. Ça me détend. Je crochète essentiellement dans le train ou les transports quand je suis en tournée. Donc, en ce moment, je crochète beaucoup. Mes amis savent déjà ce qu’ils auront pour Noël prochain. [Rires]
Quels sont les artistes que vous avez écoutés ou que vous écoutez en ce moment ?
Je réécoute beaucoup mes influences, donc ça tourne en boucle ! Ma grand-mère m’a fait découvrir Barbara et Anne Sylvestre, ma mère, Nina Simone et Ella Fitzgerald, mon père, Aznavour et Brel, puis je me suis fait ma propre culture musicale avec Fiona Apple, Björk, Hozier, Tamino, et aujourd’hui Zaho de Sagazan, Yoa, et beaucoup de rap. Ma grand-mère maternelle m’a sensibilisée au classique. Nous allons voir des concerts ensemble assez souvent. Elle adore m’y emmener et moi, j’adore passer du temps avec elle. Parfois, j’y trouve des inspirations. Celles issues de Shéhérazade de Nikolaï Rimski-Korsakov s’entendent dans certains morceaux. Bach a aussi dû en imprégner d’autres.