Les livres sont-ils des objets de consolation ? C’est que l’on pourrait se dire en observant la vague émergente du K-Healing. Contraction de “Korean” et de “Healing” (guérir), ce type de littérature venu tout droit de Corée du sud commence progressivement à faire parler de lui. Décryptage d’un phénomène foisonnant, qui dit peut-être plus de nous qu’il n’y paraît.
Aujourd’hui plus que jamais, la culture coréenne brille partout dans le monde. Et il faut dire que depuis les années 2010, son soft power a de quoi inspirer plus d’une contrée. Du prix Nobel de littérature décerné cette année à Han Kang au phénomène mondial de la k-pop, la Corée du Sud semble exceller dans tous les domaines. La littérature n’y échappe pas.
Un genre à part entière ?
Toutefois, faut-il résumer la littérature coréenne au k-healing ? La réponse semble évidemment non, précisément parce qu’il est encore difficile de tracer les contours d’un tel mouvement. Juliette Picquier, à la direction des Éditions Picquier, tente d’ébaucher quelques codes de base : « À priori, il s’agirait de romans feel-good qui viennent de Corée. »
Toutefois, au-delà d’orienter un lecteur ou une lectrice potentielle, cette qualification peut aussi posséder quelques limites : « Lorsqu’on regarde tous les romans qui rentreraient dans cette catégorie récemment, je pense qu’il faut aussi pouvoir faire des distinctions à l’intérieur de cette idée de “roman qui fait du bien”. »
Clémence, en charge du fonds coréen de la librairie le Phénix, parle, quant à elle, de cette tendance comme « d’une sorte de genre romanesque qui possède quelques similarités avec le développement personnel. Il vise, comme son nom l’indique [healing en anglais veut dire guérison, ndlr], à soigner le lecteur. Proche de la tranche de vie, avec quelques incursions fantastiques pour certains ouvrages, le k-healing propose souvent un assemblage de personnages qui, par le biais de conversations et de moments passés ensemble, réussissent à combler un vide, à mieux se comprendre et à trouver des réponses à des interrogations profondes sur le bonheur et le sens de la vie. »
Une perspective existentielle, donc, qui pourrait commencer à dessiner les contours du k-healing. Parmi les grands succès récents qui illustrent cela, on pourrait citer le livre de Hwang Bo-reum, Bienvenue à la librairie Hyunam (traduction de Hyonhee Lee et Isabelle Ribadeau Dumas), dont Juliette Picquier nous indique qu’il ne s’agit pas que d’un roman qui réconforte : « Ce qui fait la force de ce roman-là, ce sont les interrogations beaucoup plus profondes sur la place du travail dans nos vies, le rôle de la lecture dans une existence… Il mène vraiment une réflexion plus complexe, il ne s’agit pas seulement d’un vernis. »
Les raisons d’un succès
Si les réflexions plus profondes sur l’existence semblent rassembler les livres de la catégorie k-healing, il s’agit également de les mettre en perspective avec une époque. Car oui, la popularité d’un tel type de littérature aujourd’hui répond à un contexte.
Selon Clémence, en charge du fonds coréen de la librairie le Phénix : « En France, la première traduction de ce genre est arrivée il y a presque un an, avec Le grand magasin des rêves, de Lee Miye (traduction de Kyungran Choi et Pierre Bisiou). Ce roman a cependant été publié à l’origine en 2020 en Corée du Sud. Il me semble que la catégorisation k-healing s’est construite au fur et à mesure des publications qui sont maintenant rattachées à cette appellation. »
Aujourd’hui, la libraire précise, par ailleurs, que si les ventes sont bonnes, « aucun des titres que l’on peut qualifier de k-healing ne sont encore parus en poche et pourtant ils se vendent correctement en grand format, ce qui est rare ». Juliette Picquier précise que « la plupart sont en cours d’adaptation cinématographique et sont vendus dans le monde entier. C’est vraiment un succès qu’on partage avec d’autres maisons. »
Dans la même perspective, les ventes de livres que l’on pourrait catégoriser comme des livres de k-healing ont été particulièrement fortes au moment de la pandémie. Pour des raisons évidentes de restrictions sociales, la Corée du Sud a collectivement profité de ces histoires pour repenser son mode de vie à la lumière d’histoires « qui font du bien », avec, chez certaines d’entre elles, un petit supplément d’âme que l’on a évoqué : une vraie place pour l’imaginaire, le merveilleux, voire le fantastique.
En effet, selon Juliette Picquier, « il y a souvent un dénominateur commun, c’est un lieu précis : une boutique, une librairie, etc. Ce sont des romans qui s’incarnent dans une géographie bien délimitée ». Pensons ainsi à Bienvenue à la librairie Hyunam ou à La fabuleuse laverie de Marigold, dans lesquels la place faite à l’imaginaire reste très forte et pourrait même s’imposer comme un code à part entière du k-healing. Un code à inscrire parmi d’autres…
Des codes encore flottants
On l’aura compris, les histoires qui font du bien semblent pouvoir s’imposer comme le socle du k-healing. Selon Clémence, libraire au Phénix, « la mention k-healing est intéressante, car elle explore le fait de se sentir mieux d’un point de vue plus individualiste, quand bien même c’est en évoluant au contact des autres ».
Et si on retrouve très régulièrement des réflexions profondes sur la vie, l’aspect merveilleux n’est donc pas à négliger pour un grand nombre de titres, à l’instar du roman Les petits pains de la pleine lune de Byeong-mo Gu (traduction : Yeong-Hee Lim et Françoise Nagel), où il est question de gâteaux aux pouvoirs étonnants, ou encore de La fabuleuse laverie de Marigold de Jungeun Yun, qui efface tous les traumatismes.
Juliette Picquier, éditrice, évoque également Le grand magasin des rêves où la question du rôle des rêves dans nos vies est évoquée : « C’est presque un genre à part ou un sous-genre. Celui-ci, comme dans les autres romans, va partager des valeurs d’entraide et de solidarité. Néanmoins, à mon avis, ce qui fait vraiment l’intérêt de ce livre-là, c’est l’imaginaire. Il y a une puissance d’imagination pure que l’on trouve rarement dans d’autres romans de ce type. »
Une puissance d’imagination que présente d’ailleurs très poétiquement la couverture. Il est justement question des couvertures lorsqu’on évoque les codes du k-healing. À la fois esthétiques et très identifiables, les visuels peuvent permettre de regrouper certaines histoires. Des couleurs pastel, des lieux cosy, des dessins poétiques, tout ceci pourrait souvent être un fil conducteur de ces images. Juliette Picquier ajoute aussi que les livres de k-healing seraient « souvent des titres qui ont des couvertures assez reconnaissables (et belles) et qui se prêtent particulièrement aux réseaux sociaux ».
S’ils ne sont pas uniquement faits pour cela, les livres de k-healing auraient donc également ceci pour eux : ils sont un très bon support photographique. Pour Clémence, libraire au Phénix : « Indéniablement, le marketing autour de ce genre est gagnant sur les réseaux sociaux. »
Toutefois, s’il n’existe pas encore d’étude approfondie sur le sujet, les titres de ce genre semblent toucher tous les âges, au-delà d’être de très bonnes ventes. Pour Juliette Picquier, « cela fait 25 ans que l’on publie de la littérature coréenne et il est vrai que, ces dix dernières années, on a vraiment vu le lectorat changer. Un lectorat qui est beaucoup plus curieux, un petit peu plus jeune aussi. »
Est-ce à dire que toutes les générations sont à la recherche d’un répit collectif ? Faut-il voir ici le besoin de sortir d’une société hyper-industrialisée ? Le ralentissement serait-il la clé de tous nos maux ? Si la réponse à toutes ces questions est nuancée, il semblerait toutefois que les romans que l’on attribue au k-healing aient plus d’un tour dans leur sac pour nous donner le goût de la lecture. Et c’est déjà beaucoup.