Récemment, de nombreux mangas aux thématiques subtiles et aux couples qui cassent les codes ont débarqué dans les librairies françaises. Un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui s’intensifie à mesure que le genre de la romance rassemble un public de plus en plus large.
Le genre du shōjo romantique est-il vraiment immature et centré sur des romances lycéennes stéréotypées ? Ce vieux cliché qui colle encore parfois à ce style de mangas à destination d’un public plutôt jeune et féminin provient souvent d’une perception assez erronée du public occidental. Mais l’actualité des publications françaises dans le domaine prouve la variété, la richesse et la finesse de certains récits, ainsi que la vitalité du genre de la romance dans son ensemble.
Un genre au-delà des clichés
Si, en France, nous avons fréquemment cette image de « shōjo = romance », il faut commencer par rappeler que ce n’est pas tout à fait exact. Le terme désigne non pas un genre de récit, mais une cible démographique avant tout.
Il y a donc des shōjos de romance, mais aussi d’aventure (Yona, Princesse de l’aube), de science-fiction (Please, Save my Heart), d’histoire (La Rose de Versailles), d’horreur (La Fille des enfers), et même des récits post-apocalyptiques (Basara). De plus, certains ne contiennent aucune romance dans leur intrigue, comme Le Pacte des Yokaï, un manga fantastique et culte.
Il est vrai, cependant, que les histoires à tendance romantique constituent une part non négligeable de magazines de prépublication pour jeunes filles comme Margaret, Ribon ou Cobalt. Néanmoins, nombre de BD parues dans ces médias s’écartent radicalement du cliché de la romance lycéenne éthérée et interminable, ou du triangle amoureux vu et revu entre un good guy et un bad boy.
Au contraire, le shōjo livre volontiers des récits creusant avec réalisme et subtilité la question du couple dans la société japonaise. C’est d’ailleurs une des raisons qui explique que ces mangas soient souvent adaptés en dramas plutôt qu’en anime, visant un public majoritairement adulte à des heures de grande écoute.
Il est juste de dire, néanmoins, que la France a été peu exposée à ces œuvres dérivant des canons du genre. Dans les années 1990 et au début des années 2000, de nombreux shōjos assez matures et complexes ont été publiés chez des éditeurs comme Tonkam, auxquels a succédé une grosse vague de titres ayant plutôt misé sur des romances scolaires plus stéréotypées.
Mais la grande popularité du genre auprès des fans de manga a récemment permis d’élargir à nouveau cette base de récits et d’importer de nombreux titres très audacieux en la matière. La raison en est simple : le lectorat s’est élargi et les lectrices d’il y a 20 ans sont toujours là, désormais à la recherche de romances plus poussées et plus subtiles. De quoi ouvrir de nombreuses possibilités éditoriales.
Une actualité éditoriale bouillonnante de titres très attendus
Parmi ces nouveautés : le très attendu et magnifique Asakiyumemishi – Le Dit du Genji. Cultissime au Japon, ce manga publié entre 1979 et 1993 est une adaptation de l’un des plus vieux textes de la littérature japonaise, mettant en scène la vie à la cour impériale du XIᵉ siècle. L’autrice, Iwai Yamato, transcende en sept volumes et quelques centaines de pages l’une des fresques les plus fines et les plus poétiques de l’histoire écrite asiatique, sans jamais la dénaturer.
D’autres titres parus récemment ont des aspects plus contemporains. Ils mélangent des romances beaucoup plus vraisemblables avec des thématiques issues du travail et de la vie quotidienne. C’est le cas du cultissime What did you eat Yesterday, arrivé il y a peu en France, qui dépeint les tracas de la vie quotidienne d’un couple homosexuel, dont l’un des deux est un cuisinier hors pair.
Ou encore de The Blue Flowers and the Ceramic Forest, une comédie romantique sublime dans le milieu de la céramique artisanale. Autant d’œuvres qui ont remporté un fort succès critique et l’approbation des fans du genre, en s’écartant pourtant des clichés habituellement attribués aux shōjos.
Même remarque pour des récits tout en douceur mêlant vie quotidienne et amour, comme Les Quatre Frères Yuzuki. Ce dernier, magnifiquement dessiné par Shizuki Fujisawa, s’attarde sur les mésaventures (et les premières amours) de quatre frères d’âge différents. Ou encore de My Love Story With Yamada-Kun at LVL 999, qui se passe dans le milieu des jeux de rôle en ligne et met en scène la vie de jeunes adultes dont les problèmes quotidiens sonnent avec une justesse saisissante. Ou enfin, dans un registre tirant un peu plus vers l’humour noir, sur la vie mélancolique des cinq héroïnes de Blooming Girl, décidant chacune à leur manière très maladroite d’explorer leur sexualité naissante.
Des romances subtiles qui dépassent largement le cadre du shōjo
Cette dynamique éditoriale ne s’arrête pas au simple monde du shōjo, puisque tous les autres styles de manga ont récemment vu débarquer des récits renouvelant en profondeur le genre de la romance. Les yaoi (centrés avant tout sur l’amour entre hommes) vont voir arriver en France des pépites qui cassent les codes comme Internet Love (qui traite de la question de la jalousie dans les relations à distance) ou encore le bouleversant Le Temps des adieux, centré sur la question du deuil. Du côté des yûri, plutôt portés sur l’amour entre femmes, le célébrissime She Wasn’t a guy atomise joyeusement les clichés du récit LGBTQIA+.
Même les shōnens et seinens, souvent associés (là non plus, pas toujours à raison) aux récits d’action débridés, ont vu leur gamme de romance s’enrichir radicalement depuis quelque temps. Et ce, dans le sillage des adorables couples très modernes dépeints dans des mangas à grand succès comme Horimiya ou Scum’s Wish, ou dans le romantique (et assez chaud) Partners 2.0, centré sur la vie de deux sexfriends.
Pour autant, les récits plus classiques (comme la charmante comédie romantique de sport Blue Box qui cartonne actuellement) ne sont pas délaissés. Mais, dans le sillage de la naissance d’un public plus large et plus mûr pour les mangas de romance shōjo, on constate un engouement généralisé pour ce type de récits mettant en scène des problématiques sociétales plus poussées, des histoires d’amour plus réalistes et des protagonistes plus variés. Et c’est absolument réjouissant.