Entretien

Les Loups-Garous, c’est notre bébé” : les créateurs du jeu réagissent au film de Netflix

23 octobre 2024
Par Agathe Renac
“Loups-Garous”, le 23 octobre sur Netflix.
“Loups-Garous”, le 23 octobre sur Netflix. ©Netflix

Secrets de création, rôles favoris, adaptation filmique… Alors que le long-métrage de François Uzan se dévoile sur Netflix, les auteurs des Loups-Garous de Thiercelieux, Philippe des Pallières et Hervé Marly, se confient sur la naissance de leur jeu culte.

En 2001, vous sortiez Les Loups-Garous de Thiercelieux, qui est, aujourd’hui encore, le jeu le plus vendu en France. Comment est née cette œuvre culte ?

Philippe des Pallières : Il y a presque 25 ans, on a monté un petit festival de jeux avec des copains. Il se situait dans mon village, Thiercelieux, et on était hébergés dans un gîte qui se nommait la Fontaine-aux-Loups. On cherchait une œuvre ludique pour des soirées au coin du feu, et Hervé nous a fait tester Mafia, un jeu traditionnel oral. Ça m’a rappelé Assassin, qu’on pratiquait quand j’étais enfant, en colo. Le groupe a tout de suite été emballé par le scénario et les mécaniques.

On a passé la soirée à essayer d’imaginer un vrai jeu de société. On s’est laissé deux mois de réflexion, puis on s’est dit qu’on devait vraiment faire un truc ensemble, avec Hervé. On a beaucoup étudié les contes traditionnels occidentaux, et l’idée nous est venue au fil de ces recherches. On testait régulièrement ce projet de jeu avec notre bande d’amis et nos enfants, dans mon village.

L’idée, c’était de créer une œuvre transgénérationnelle. On a retravaillé cette version durant huit mois, puis on a présenté notre Loups-Garous aux éditeurs. Ils nous ont tous dit non, car les jeux de l’époque nécessitaient la participation de deux à six joueurs. Nous, on débarquait avec un projet qui se jouait à plus de huit.

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On a quand même persévéré, et on a fait une petite fabrication de 200 boîtes, car nous n’étions pas vraiment sûrs de nous. Au final, elles sont parties très rapidement et on s’est dit qu’on tenait quelque chose. On a bossé comme des malades en festival, où les soirées se terminaient par des parties de Loups-Garous. Ensuite, les animateurs de colo s’en sont emparés, les classes ont commencé à y jouer, la popularité a grossi… Et on a été un peu dépassé par cette histoire.

Vous attendiez-vous à un tel succès ?

P. d. P. : J’étais dans l’édition, Hervé était plutôt un geek, et il m’a demandé combien on pourrait vendre de boîtes. J’avais estimé 5 000 ventes par an sur une décennie, si ça marchait bien. Au final, ça a été beaucoup plus. Depuis le lancement du jeu, les ventes augmentent un peu plus chaque année. Elles ont légèrement fléchi durant le confinement, mais elles sont reparties de plus belle après 2020, quand tout le monde a pu se retrouver et se réunir à nouveau. C’est une histoire incroyable.

Que dit ce jeu de nous ? Que dans le fond, nous adorons le mensonge et jouer des rôles ?

P. d. P. : Il nous montre surtout qu’on peut jouer à tous les âges. Au début, on pensait que notre public serait les étudiants et les lycéens. Au final, on s’aperçoit que les plus jeunes sont aussi très doués. Ils respectent les codes sociaux, mais, quand on leur permet de raconter des craques, ils adorent ça. Des parents qui pensaient parfaitement connaître leurs enfants se sont sacrément plantés – et inversement. On a vu des parties ou les adultes ont éhontément menti aux plus jeunes, qui se sont retrouvés déstabilisés. Dès la première année, j’ai assisté à une partie où il y avait quatre générations : un enfant, sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère. C’était passionnant.

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Hervé Marly : Les Loups-Garous parle à tout le monde, joueurs expérimentés comme novices, car il fait appel à notre intuition. On sent qui dit la vérité et qui ment. Dans le jeu, les menteurs n’ont pas le nez qui bouge. Il faut analyser chaque détail, les comportements non verbaux, les attitudes et les incohérences dans les arguments pour dénicher des indices. Il ne faut surtout pas se fier à l’apparence : une personne qui parle beaucoup ne cache pas forcément quelque chose, et quelqu’un qui a du mal à s’exprimer n’est pas forcément coupable. Il faut faire attention aux préjugés – et ça vaut aussi pour la “vraie vie”.

Votre jeu a effectivement remis en question certaines de nos amitiés…

P. d. P. : Mais il est aussi vecteur de nombreuses rencontres ! On ne compte plus le nombre de mariages qui ont vu le jour grâce aux Loups-Garous. C’est hallucinant.

H. M. : On a reçu un faire-part de la part de deux personnes qui se sont connues lors d’une soirée ludique à Paris. Aujourd’hui, ils ont une petite fille d’une douzaine d’années. On a beaucoup d’histoires comme celle-là. C’est génial.

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Qu’est-ce qui a changé pour vous après le lancement du jeu ?

P. d. P. : J’avais monté ma propre maison d’édition pour le lancement des Loups-Garous, et son succès m’a apporté une certaine sérénité financière pour les autres projets. J’ai pu prendre mon temps pour monter des nouveaux jeux, les tester, retester et re-retester. J’ai bénéficié d’une liberté de travail extraordinaire. De son côté, Hervé a pu quitter son job pour se consacrer à la création d’œuvres ludiques.

H. M. : C’était un vrai plaisir de voir des personnes s’éclater sur notre jeu. L’avantage, c’est que son succès n’a pas eu de conséquence sur notre notoriété publique. Je peux me promener dans la rue sans qu’on m’arrête pour me dire : “Eh, c’est vous Les Loups-Garous !” J’ai (heureusement) pu préserver mon anonymat.

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P. d. P. : En revanche, depuis le lancement de ce jeu, on ne me parle plus que de lui. Je dois avouer que ça m’énerve un peu. C’est comme quand on ramène toujours un chanteur à un seul de ses tubes [Rires].

H. M. : D’autant plus que Philippe était auteur et éditeur depuis plus de 20 ans. Il avait fait de super jeux ! Je me mets à sa place, je comprends que ce soit énervant qu’on lui parle toujours des Loups-Garous.

Depuis plus de 20 ans, son univers ne cesse de se développer avec des extensions et de nouvelles versions. Comment parvient-on à renouveler, sans cesse, une œuvre aussi culte ?

P. d. P. : Quand on nous a réclamé des extensions, on a refusé. On disait que le jeu marchait très bien et qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter de nouveaux éléments. Ça a duré quatre, cinq ans, puis on a finalement commencé à bosser dessus. On en a sorti durant une petite dizaine d’années, et je dois avouer que ça m’a beaucoup plu, car on a vraiment pu étoffer l’histoire. Là, on travaille sur un nouveau projet depuis quelque temps, mais on ne trouve jamais le temps de se poser dessus. Plus ça marche, plus on est flippé. Des joueurs attendent cette extension depuis cinq ans, mais on ne veut pas se planter.

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H. M. : On aime profondément ce jeu. De la même manière qu’un écrivain adapte une nouvelle en roman, on voulait vraiment lui offrir de belles suites. On a étoffé le village, inventé de nouveaux personnages, apporté des variantes… Dans la toute première extension, Nouvelle Lune, on s’est rendu compte qu’on a proposé beaucoup (beaucoup) trop de nouveaux éléments dans une seule boîte.

Mais on voulait faire plaisir aux joueurs et explorer de nouveaux chemins. C’est aussi ce qui nous bloque depuis un certain temps. On se pose beaucoup de questions concernant la légitimité de cette nouvelle extension et on se demande si elle pourrait réellement apporter quelque chose de plus. On n’a pas encore la réponse, mais quand on l’aura, on pourra avancer sur le projet !

Aujourd’hui, Netflix propose une adaptation cinématographique pilotée par François Uzan et portée par Jean Reno et Franck Dubosc. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

P. d. P. : On est dans la confidence depuis un petit moment déjà. On a rencontré les producteurs il y a un an. On leur a tout de suite dit que notre œuvre était destinée à un public familial et ils ont accepté de travailler avec cette condition. On nous a ensuite présenté François Uzan et on a adoré le fait qu’il ait gardé son âme d’enfant. On lui donnait notre avis sur certains points et on a même fait un petit caméo dans le film.

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H. M. : Ce jeu est notre bébé. Alors, forcément, dès qu’on nous propose de le porter dans un nouvel univers, on est toujours un petit peu jaloux et attentifs à ces adaptations. François Uzan a été très respectueux de notre travail et de notre jeu. On ne s’est pas du tout sentis trahis. Pour être honnête, on n’aurait jamais pensé que notre œuvre aurait son propre film. On va être détestés par tous les auteurs de jeux [Rires].

On y retrouve tous les rôles clés du jeu. Quels sont ceux que vous préférez incarner ?

H. M. : C’est comme si vous demandiez à des parents de déterminer quel est leur enfant préféré [Rires].

P. d. P. : Mais je pense qu’avec Hervé, on préfère jouer les villageois ! C’est le rôle du pur enquêteur qui n’a pas de pouvoir et qui doit tout analyser. Plus on joue, plus on réalise que les enfants et les jeunes ados préfèrent avoir des rôles plus sophistiqués qui leur donnent l’impression de pouvoir mieux jouer.

H. M. : D’autant plus qu’on déteste mentir avec Philippe ! La vérité, c’est que je suis toujours mal à l’aise quand je suis loup-garou.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste