Un monstre sacré, une confirmation et un nouvel espoir. Trois romanciers italiens enflamment le printemps et confirment le retour en force de cette grande patrie littéraire.
Dans Impossible, le précédent roman d’Erri De Luca, la montagne était déjà là, partout autour de nous. Elle servait de décor enivrant au récit, mais elle était surtout le catalyseur de toutes les tensions à l’œuvre dans la littérature du géant italien. Sous forme de procès-verbal, de question-réponse froid et clinique, un homme devait se défendre de toute responsabilité dans un drame survenu quelques heures plus tôt, sur un sentier escarpé des Dolomites. Quelqu’un a chuté sous ses yeux. Mais la victime n’était pas un inconnu pour lui. Loin de là. Compagnons de lutte dans le même groupe révolutionnaire 40 ans plus tôt, il en était devenu le traître en livrant tous ses anciens camarades à la police. Coïncidence d’une vie, hasard impensable ou vengeance préméditée, cette fable politique au cordeau nous emmenait loin dans les tréfonds de l’âme.
1 Erri de Luca, l’inusable géant
Avec Les Règles du mikado, le petit théâtre de l’humanité se joue à nouveau dans les hauteurs. Un vieux loup solitaire campe dans les montagnes entre l’Italie et la Slovénie. Sorte de double papier de l’auteur, hanté par le fantôme d’une femme, il imagine le monde comme un mikado géant, avec ses règles inflexibles, rassurantes, derniers remparts contre le chaos. Mais, très vite, un élément perturbateur fait irruption dans son havre de paix, une jeune tsigane apeurée, cherchant un refuge. Elle a décidé de fuir le mariage forcé qu’on lui a imposé de l’autre côté de la frontière.
Entre eux s’installe un dialogue simple et sincère. Il découvre la vie et les croyances de cette diseuse de bonne aventure, elle lui explique son rapport aux hommes, aux animaux et à la nature. Le texte est profondément touchant parce qu’il vise à l’épure et appelle à un réenchantement du monde. Deux personnages que tout oppose, deux visions du monde se percutent. Pas dans la violence comme presque tout ce qui se joue ici-bas, mais dans la douceur. Le charme opère et on se met à croire en des notions qu’on pensait perdues : l’empathie, la solidarité et peut-être même un nouveau départ.
2 Paolo Cognetti, l’ermite envoûtant
Paolo Cognetti aurait pu être un personnage d’Erri De Luca. Quelques mois avant ses 30 ans, rongé par un profond mal-être, il a préféré renoncer à l’hubris de la civilisation pour trouver refuge dans les monts escarpés du Val d’Aoste. Sa littérature, née sur les pentes de la montagne, est tout entière une déclaration d’amour à ces terres aussi magiques que dangereuses et un hommage à ceux qui peuplent ces hauteurs. À la croisée du nature writing et du drame intime, il déploie une poésie mélancolique où Henry David Thoreau et Jack London dialoguent avec le maître italien Mario Rigoni Stern. Avec Les Huit Montagnes, il a remporté le prestigieux prix Strega et a été couronné en France du Medicis étranger, faisant de lui un des nouveaux grands noms de la littérature transalpine.
En bas dans la vallée est une nouvelle composition lumineuse, la photographie d’un village perdu dans une vallée isolée qui sert de décor à tous les romans de l’auteur. C’est là que Luigi vit, comme toute sa famille avant lui. D’ailleurs, son père vient de mourir et lui laisse en héritage une cabane, là-haut dans les alpages. Seul problème : pour la récupérer, il va falloir composer avec son frère Fredo, ancien taulard émigré au Canada. Son retour à Valdesia est le début d’une lutte où ressurgit l’addiction et se réouvrent les cicatrices.
La cabane est un trésor de famille, mais c’est aussi une opportunité commerciale alors que la station de ski voisine s’étend… Derrière l’ode à la nature se dévoile un drame intime qui raconte la réconciliation impossible de deux frères, deux enfants de la montagne fracassés. Un conte doux-amer comme le symbole de l’œuvre de Paolo Cognetti, conçue comme une déclaration d’amour à ces sommets qui enivrent autant qu’ils enferment.
3 Davide Longo, l’héritier virtuose
Un auteur quasi inconnu en France. Deux parutions coup sur coup en deux mois à peine chez un nouvel éditeur. Il y avait déjà dans cette stratégie audacieuse un indicateur fort de la confiance qu’on accordait à Davide Longo, comme si, pour lui, le succès était assuré. Une critique dithyrambique, des lecteurs au rendez-vous et un prix Le Point du polar européen plus tard, on peut dire que la manœuvre est un grand succès. On est surtout impressionné par l’éclosion d’un talent jusque-là passé sous les radars. Difficile, pourtant, de se faire un nom dans le polar quand on est italien. Il faut avoir les reins solides pour assumer le poids d’un héritage, celui des Carlo Lucarelli, Andrea Camilleri ou Leonard Sciscia, de grands maîtres du roman noir. Une broutille pour Davide Longo.
Il y a d’abord eu L’Affaire Bramard, entrée en matière explosive racontant la quête effrénée, à la lisière de la justice et de la vengeance, d’un jeune commissaire lancé sur les traces d’un redoutable tueur en série qui entaille le dos de ses victimes avec d’étranges dessins. Un affrontement digne des plus grands thrillers entre un génie du mal surnommé Automnal et un prodige de la police endeuillé à jamais. Puis, son œuvre a encore pris de l’épaisseur avec un deuxième roman plus politique, plus vénéneux qui nous invite à replonger dans les heures les plus sombres de l’histoire italienne.
Dans Les Jeunes Fauves, le commissaire Arcadipane fait à nouveau appel à Corso Bramard. Des ossements, une douzaine de crânes exactement, ont été retrouvés au fond d’un chantier ferroviaire de la banlieue de Turin. Mais, avant même d’avoir pu commencer l’enquête, il a été relevé de l’affaire, transmise à une équipe spéciale responsable des crimes liés à la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, il a retrouvé sur les lieux un bouton de jean, preuve irréfutable que la chronologie ne colle pas. Quelqu’un essaie d’étouffer les véritables raisons de ce charnier et nos deux acolytes veulent découvrir la vérité. Une plongée en eaux troubles dans les années de plomb italiennes.
