Entretien

Sandrine Kiberlain : “Au cinéma, ce qui compte, c’est le regard de celui ou de celle qui invente l’histoire”

06 juin 2024
Par Lisa Muratore
Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès (de la Comédie-Française) et Daniel Auteuil dans “La Petite Vadrouille”.
Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès (de la Comédie-Française) et Daniel Auteuil dans “La Petite Vadrouille”. ©afbrillot

La Petite Vadrouille, le nouveau film de Bruno Podalydès est sorti au cinéma ce 5 juin. À cette occasion, L’Éclaireur a rencontré l’une des actrices fétiches du réalisateur, Sandrine Kiberlain, afin d’évoquer le lien artistique entre une comédienne et son cinéaste.

Qu’est-ce qui vous a intéressée dans ce projet et dans votre personnage ? 

J’ai aimé cette idée à la fois drôle et profonde. Il s’agit d’une petite équipe d’amis qui n’ont pas les moyens d’arrondir leur fin de mois et qui vont essayer d’arnaquer mon patron en lui extirpant un peu des sous contenus dans une enveloppe qu’il me confie. Nous voilà embarqués dans l’idée de lui organiser une croisière. Évidemment, tout ne va pas se passer comme prévu. Le film raconte également une réalité, celle des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts. J’ai trouvé qu’il y avait un véritable propos social, façon Bruno Podalydès, avec beaucoup d’humour, de légèreté et de burlesque.

Tout va très vite sur ce bateau, parce qu’il faut que tout fonctionne. Mon personnage est d’ailleurs le moteur de cette situation. S’ajoute à cela la présence de mon mari, avec qui ça ne va plus trop, et de ce patron qui essaie de me séduire. C’est vraiment le jeu de l’amour et du hasard, comme une troupe de théâtre dont je serais la jeune première, le personnage féminin un peu raisonnable de l’histoire, entourée des bouffons du roi [rires].

Sandrine Kiberlain et Denis Podalydès (de la Comédie-Française) dans La Petite Vadrouille.©afbrillot

Au lieu d’être sur scène, on est sur une péniche. C’est drôle aussi parce que ça va très lentement, alors que tout ce qui se passe à l’intérieur va très vite. J’adore ce contraste et ce cadre-là, qu’on ne prend plus vraiment le temps d’admirer aujourd’hui.

Qu’est-ce que la troupe symbolise pour vous au cinéma ? Quel rapport avez-vous à cela ?

Le cinéma est l’endroit du collectif, l’endroit solidaire où on est tous tendus par l’idée de faire le même film, le film du réalisateur. Notre but est de le rendre heureux en réalisant ce dont il a rêvé. Quand on fait du cinéma, il y a cette notion d’équipe, on n’est rien sans tous les postes. Chacun a son influence sur le déroulement des choses. L’équipe d’un tournage rejoint l’équipe d’un bateau, qui rejoint l’équipe technique. J’aime beaucoup ça et j’essaie de le mettre en valeur. C’est aussi pour cette raison que je suis attirée par les films choraux et les films de bande. 

C’est aussi une troupe de cinéma que vous connaissez bien. Cette familiarité avec un réalisateur avec qui vous avez travaillé trois fois a-t-elle influencé votre choix ? 

Oui, c’est sûr ! J’étais très curieuse de découvrir ce que Bruno avait inventé pour moi cette fois-ci. 

« C’est vraiment le jeu de l’amour et du hasard, comme une troupe de théâtre dont je serais la jeune première, le personnage féminin un peu raisonnable de l’histoire, entouré des bouffons du roi. »

Sandrine Kiberlain

Ça ne faisait aucun doute pour lui, le film était pour vous. 

Il m’avait prévenu qu’il écrivait un nouveau personnage pour moi. C’était à la fin de notre précédent film ensemble. Il m’a dit qu’il pensait à une histoire et je me suis demandé quelle surprise il me réservait, cette fois-ci. Il y a un côté cadeau, quand même, qu’il prépare en douce. C’est très agréable pour une actrice de savoir que l’on est dans la tête d’un metteur en scène qu’on aime. Puis vous découvrez un rôle qui vous plaît parce qu’il est riche, parce qu’il évolue au cours du film et parce que c’est aussi un personnage féminin fort.

La troupe de La petite vadrouille.©afbrillot

J’ai trouvé cela très jubilatoire, très bien construit et très bien écrit. C’est aussi une chance de retrouver les frères Podalydès, Bruno et Denis (de la Comédie-Française), de retrouver les gens avec qui j’ai déjà travaillé, tout en accueillant Daniel Auteuil qui rejoignait notre petite troupe. Il est venu s’ajouter à notre puzzle et à cette famille de cinéma que Bruno réinvente. Le fait de retrouver tout le monde participe à cet amusement. On retrouve une bande d’amis avec qui on aime jouer et faire la fête. Autant faire la fête avec eux plutôt qu’avec d’autres, quitte à en rajouter ! 

Peut-on dire que vous êtes la muse de Bruno Podalydès ? 

En tout cas, une chose est sûre, c’est que j’aimerais bien le rester. Je me sens très honorée d’être une source d’inspiration pour lui. On ne sait jamais vraiment pourquoi, donc j’espère que ça va durer. Ceci étant dit, je pense qu’il va avoir des envies de rencontrer d’autres actrices et d’imaginer d’autres choses. J’imagine que d’un film à l’autre, il a envie de nouveautés aussi. Mais je pense que quand on entre dans sa famille, c’est pour un bout de temps. On se retrouvera, je l’espère !

Comment votre relation a-t-elle évolué au fil des trois films que vous avez faits ensemble ? Quel regard portez-vous aujourd’hui en tant qu’actrice sur votre réalisateur ? 

J’avais ma vision de lui avant de le connaître, et de ses films que j’aimais beaucoup. Je pressentais un homme à la fois drôle, solitaire, observateur, mais aussi très doux. J’ai rencontré un homme qui m’a étonnée, mais qui correspondait aussi à ce que j’avais en tête. Après, de le voir travailler, de travailler avec lui, de rire avec lui, de partager des moments de cinéma avec lui, de voir sa douceur avec les gens, sa générosité et d’autres qualités qui s’ajoutent à celles que j’avais bien imaginées… Tout cela m’a forcément donné envie de continuer la route avec lui et de le retrouver. Il y a ce qu’on imagine des gens, ce qui se confirme en les connaissant, et ce qui continue à se confirmer de film en film.

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Ce qui est fou avec Bruno, c’est qu’il arrive à me surprendre alors que l’on se connaît très bien aujourd’hui. Ce qu’il a écrit pour moi m’a surprise et je n’ai qu’une envie : continuer à lui plaire. 

Est-ce rare un lien aussi fort entre un réalisateur et une actrice dans le milieu du cinéma aujourd’hui ? 

Pour ma part, j’ai connu ce lien avec d’autres réalisateurs, comme Stéphane Brizé. Il y a aussi un lien qui perdure avec Lætitia Masson. J’ai fait trois films avec elle. Je pense aussi à Jeanne Herry depuis Pupille. Je sais également que je vais retrouver Emmanuel Mouret. J’ai de très belles histoires avec plusieurs metteurs en scène.

« J’aime la comédie quand elle ne cherche pas à faire rire à tout prix, qu’elle raconte quelque chose et qu’elle va nous faire rire malgré elle, par le ton, le rythme, l’écriture de celui ou celle qui l’écrit. »

Sandrine Kiberlain

Il y a des metteurs en scène avec lesquels on sent que la route va se prolonger, parce qu’il y a des rencontres plus évidentes que d’autres. Par exemple, je sais que je retrouverai aussi Guillaume Nicloux, avec qui je viens de faire Sarah Bernhardt.

La présence d’un ou d’une cinéaste dirige-t-il vos choix artistiques en tant qu’actrice ? Comment choisissez-vous vos rôles ? 

Je pense que je suis guidée avant tout par la personne qui fait le film, même lorsqu’il s’agit d’un premier film, d’ailleurs. Si j’aime l’écriture, mais qu’à la rencontre ça ne passe pas et que je ne sens pas la personne habitée par son sujet ou qu’elle ne parvient pas à m’embarquer dans son histoire, je sais que je ne pourrai pas le faire. 

Au contraire, quand j’ai rencontré Jeanne Herry, par exemple, elle n’avait pas de producteur, pas de distributeur, mais j’ai flashé sur elle et son histoire, alors que personne ne voulait la produire. C’est génial d’être à la base de l’émergence d’une réalisatrice ; d’y croire. Je suis très guidée par le choix du réalisateur ou de la réalisatrice, même si d’autres facteurs comptent également. Ici, savoir qu’il y avait Daniel, Denis, Isabelle… Tous les acteurs du film donnent envie. Un partenaire peut également me donner envie de participer à un film, mais la première chose qui compte, pour moi, au cinéma, c’est le regard de celui ou de celle qui invente l’histoire et la filme.

Vous parlez de partenaires et vous retrouvez Daniel Auteuil et Denis Podalydès (de la Comédie-Française). Que représentent-ils pour vous ?

Je les aime tous les deux en tant qu’acteurs, mais aussi dans la vie. Ce sont des hommes que j’aime retrouver, avec qui je me sens bien. Ce n’est jamais compliqué. Par ailleurs, ils sont d’une grande humilité. On se retrouve d’ailleurs pour les mêmes raisons, un peu comme des enfants dans la cour de récré. On s’est choisis et on est heureux d’être ensemble pour jouer. On y croit. Je crois à ce qu’ils font, je crois à ce qu’ils disent, je crois à ce qu’ils jouent.

Bande-annonce de Comme un avion de Bruno Podalydès, avec Denis Podalydès (de la Comédie-Française) et Sandrine Kiberlain.

C’est facile, sans prise de tête, et sans psychologie. En plus, je les admire beaucoup ! Je n’arrête pas de dire à Denis que c’est l’un des meilleurs acteurs de notre génération quand je le vois au théâtre. Il ne me croit pas évidemment quand je lui dis, et il me dit d’arrêter [rires]. Avec Daniel, ce sont deux immenses acteurs français, les plus grands. 

Vous vous êtes essayée, au fil de votre carrière, à plusieurs genres, mais qu’est-ce qui vous stimule autant dans la comédie ? 

J’aime la comédie quand elle ne cherche pas à faire rire à tout prix, qu’elle raconte quelque chose et qu’elle va nous faire rire malgré elle, par le ton, le rythme, l’écriture de celui ou de celle qui l’écrit. Je trouve que la comédie reste quelque chose d’assez intime à faire. On ne peut pas tricher. Je donne à Bruno quelque chose de très intime, en réalité, parce que je ne sais pas que c’est drôle. Je le fais, je me lance et lui est là pour attraper quelque chose qui, il se trouve, le fait rire. Ceci crée un lien très fort parce qu’on se sent comprise. Je ne crois pas que le film ne puisse pas faire rire, mais je pense que jouer l’écriture de Bruno n’est pas donné à tout le monde. 

Bande-annonce de La Petite Vadrouille.

Pourtant, on sent une certaine spontanéité comique dans votre jeu d’actrice. Est-ce cela qui vous guide dans votre jeu ? 

Oui, car il ne faut jamais chercher à faire rire. Quand les situations sont bonnes, quand elles sont justes, vraies et qu’on les joue le plus sincèrement du monde, sans chercher à faire rire, c’est gagné. On aura été sincère. Le pire, c’est de se dire qu’il faut être marrante. Je ne sais pas ce que c’est que de jouer le fait “d’être marrante”. Il faut jouer la situation. Il y a de grandes chances que si on joue sincèrement, ça percute. Il faut aussi s’entourer d’acteurs qui sont sincères dans le jeu. Je pense que c’est ça qui compte le plus !

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste