À l’occasion de la sortie du roman de Laurent Gounelle qui explore la question de l’hyperconnexion, retour sur notre propre rapport aux téléphones et aux écrans.
Dans son nouveau roman, sorti en librairie le 2 mai, Laurent Gounelle nous emmène dans le monde de demain. Scindé par la mer, ce pays dystopique est composé de deux sociétés rivales : l’une vivant dans la nature, l’autre hyperconnectée. Choix des tenues en fonction de la météo, plats équilibrés selon des normes diététiques, partenaires adaptés à leur notation citoyenne… Tout est décidé par un algorithme chez les Réguliers.
D’ailleurs, dans cette cité au taux de sécurité hors norme, pas besoin de travailler : les machines sont tellement plus efficaces que les humains en tant qu’employés ! Toutefois, quelque chose chiffonne : tous ces gens enfermés chez eux derrière leurs écrans sont-ils vraiment heureux ? À travers ce récit où s’entrelacent romance et thriller, Laurent Gounelle explore les limites de l’hyperconnexion à partir de problèmes auxquels nous sommes d’ores et déjà confrontés. L’occasion de revenir sur les failles de notre propre société hyperconnectée.
À qui appartiennent nos émotions ?
Dans son roman, Laurent Gounelle aborde plusieurs thématiques, mais l’une des plus centrales selon lui est la notion de liberté. Tout au long du récit, il explore cette fine frontière entre confort nécessaire et sacrifice de liberté. Dans un autre style, plus trash et rentre dedans, Alain Damasio aborde ces mêmes sujets dans Vallée du silicium (Seuil). Pour lui, la prolifération des intelligences artificielles, les métavers, les voitures autonomes ou encore l’hybridation des corps humains participent amplement à l’annihilation des libertés individuelles au profit de logiques sécuritaires.
Par ailleurs, l’hyperconnexion nous éloignerait de notre corps en tant que source émotionnelle, le poussant à être une simple machine performante. « Le corps est conçu et vécu comme une machine. La nourriture est énergie. Le sport est une hygiène. Le cerveau s’optimise. Le bien-être s’algorithme », explique-t-il dans un entretien accordé au magazine Reporterre.
Cet éloignement du « corps émotionnel », les sœurs Lesage le traitent à travers le prisme du couple. Sous la forme d’un roman graphique intitulé Fuck, où est passé mon couple ? (Solar), elles mènent un récit d’enquête sur l’amour à l’heure de l’hyperconnexion en passant au crible les relations amoureuses. De notre addiction à Netflix à l’omniprésence des réseaux sociaux, elles traitent la question avec humour et sans complexe.
Sous surveillance
Mais la fiction n’est pas la seule à parler de l’hyperconnexion. Président d’Arte GEIE, Bruno Patino poursuit son analyse sur les effets néfastes des écrans et des nouvelles technologies dans Tempête dans un bocal : la civilisation du poisson rouge (Grasset). Parmi les conséquences de l’omniprésence des réseaux dans notre vie, il distingue plusieurs pathologies, dont l’athazagoraphobie. À l’origine phobie d’être oublié ou ignoré, l’athazagoraphobie est amplifiée par l’hyperconnexion. Il s’agit d’une sorte d’angoisse qui se manifeste quand un message ou une réaction postés sur les réseaux ne réunissent pas autant d’adhésion qu’espéré. L’usager qui perçoit aussi son existence à travers sa « patte numérique » peut alors ressentir une forme de négation de son existence, entraînant souvent des états prédépressifs. Mais cette pathologie n’est pas la seule. Les téléphones et plus largement les écrans ont aussi développé la nomophobie (angoisse excessive à l’idée d’être séparé de son portable) ou encore le dédoublement de personnalité.
Prise de distance et autre point de vue. Dans son essai paru chez Zulma, L’Âge du capitalisme de surveillance, la chercheuse Shoshana Zuboff élargit son regard pour nous montrer les conséquences indirectes de l’hyperconnexion. Selon elle, notre téléphone serait devenu en une vingtaine d’années un appareil-espion qui permettrait de maîtriser les populations. Pour s’expliquer, la professeure émérite à la Harvard Business School s’appuie sur de nombreuses recherches, dont une étude réalisée par l’université Carnegie Mellon.
Sur une période de trois semaines, 23 participants ont été informés en continu du nombre d’applis qui accédaient à leurs données de géolocalisation et du nombre total d’accès dans une période donnée. En deux semaines, leurs données de géolocalisation avaient été consultées entre 5 398 et 356 fois par des entreprises pour alimenter des publicitaires, des assureurs, des détaillants ou n’importe quel annonceur prêt à payer le prix fort. Google est le pionnier dans ce domaine.