Critique

The 8 Show est-il le nouveau Squid Game ?

17 mai 2024
Par Quentin Moyon
“The 8 Show” sera disponible dès le 17 mai sur Netflix.
“The 8 Show” sera disponible dès le 17 mai sur Netflix. ©Netflix

Avec ce nouveau k-drama, les équipes de Netflix tentent de surfer sur la vague de succès engendrée par le phénomène coréen.

Fin 2020, alors que le Covid nous avait déjà retenus confinés plusieurs mois dans nos abris de taille et de confort inégaux, Netflix sortait la série Alice in Borderland. Une variante post-apocalyptique de l’œuvre de Lewis Carroll, adaptée du manga d’Asô Haro. Dans l’univers parallèle qui nous y est présenté, exit l’étouffante masse grouillante de Tokyoïtes ancrés dans leur routine métro-boulot-dodo. Les rues se sont vidées au profit, une fois la nuit tombée, de grandes parties de jeux de société, desquelles les participants feraient mieux de ressortir vainqueurs…

« Panem et circenses. » Du pain et des jeux. Finalement, des jeux du cirque romain d’hier au Netflix and ch(k)ill d’aujourd’hui, peu de choses semblent avoir évolué. Surtout quand le Tudum a, entre 2022 et 2024, accouché de deux séries où drame social et divertissement forment les deux faces d’une même pièce : Squid Game et The 8 Show qui sort ce 17 mai. Même combat ?

La société du spectacle

« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. » Dans la première phrase de La Société du spectacle, publié en 1967, Guy Debord semblait avoir déjà tout anticipé. À l’heure où Instagram et TikTok comptent plus que nos expériences vécues, où les récits de vies ordinaires sont le sel des nôtres.

Il faut se rappeler que cette starisation des « lambdas », du divertissement télévisuel au profit d’autrui ne date pas d’hier et a commencé avec la téléréalité. Tout droit venu des États-Unis, le show intitulé sobrement An American Family faisait déjà scintiller les lumières bleutées des télés en 1973, en mettant en scène une famille américaine dans une « vraie » maison. À priori, rien de plus que les Sims, mais sans les codes.

Le phénomène va pourtant exploser et de nombreux programmes vont voir le jour dans le monde, de The Family au Royaume-Uni à Expedition Robinson en Suède, sans oublier Nummer 28 aux Pays-Bas. En France, il faudra attendre le lancement de Loft Story en 2001, qui donnera son quart d’heure de gloire à Loana, avant sa chute. Des émissions calibrées, qui jouent constamment sur les mêmes ressorts : un terrain d’action sobre et limité, sans échappatoire, incitant à la confrontation des « personnages ».

Des candidats anonymes auxquels il est possible de s’identifier. Tout comme le Loto, l’espoir d’une récompense (la célébrité, l’argent) qui permettrait de changer de vie. Souvent, un système d’élimination ou de compétition pour créer des conflits. Une ingérence extérieure, souvent l’œuvre d’un maître du jeu, pour rebattre les cartes. Et un confessionnal pour dispenser à une audience friande de ragots les quatre vérités des concurrents.

©Netflix

Sur ces bases, la téléréalité n’a jamais cessé d’exister, d’expérimenter, même si elle est peu à peu passée des soirées de prime time sur les chaînes principales à celles de la TNT jusqu’aux plateformes de streaming, à l’image de Netflix qui cartonne avec L’Agence, pourtant sous le feu des critiques. Une fascination pour la vie des autres que les séries se sont appropriées assez rapidement, y compris en pointant du doigt les mécanismes retors qui se cachent derrière cette prétendue télé-« réalité », comme dans les quatre saisons de la série Unreal (2015-2018).

Ou bien en détournant les codes de ces shows, à l’image des parodies loufoques signées Jonathan Cohen, La Flamme (2020) et Le Flambeau : les aventuriers de Chupacabra (2022).  En parallèle de ces interprétations fictionnelles bon enfant, ont aussi vu le jour des expérimentations sociales réelles qui en disent beaucoup sur nos limites morales, comme L’Expérience de Milgram, qui a montré que des personnes pouvaient aller jusqu’à torturer des gens face à une autorité qu’ils jugent légitime.

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Ou encore L’Expérience de Stanford, qui a prouvé que lors d’une situation où des individus sont mis dans des positions inégalitaires, en l’occurrence prisonniers et gardiens de prison, des comportements sadiques et violents se développent chez les seconds quand des comportements d’acceptation s’ancrent chez les premiers.

En mêlant habilement les règles et les jeux anodins des divertissements audiovisuels à ces expérimentations qui lèvent le voile sur la violence crue dont les individus mis dans des situations d’inégalité et de pouvoir sont capables, Netflix a produit Squid Game qui a révolutionné toute la pop culture, construite autour de jeux sociaux : Battle Royale et autres Hunger Games en tête. Un règne sans partage… qui prend fin avec l’émergence de The 8 Show ?

Après Squid Game, the show must go on 

Sur le papier, The 8 Show, créé par Han Jae-rim, se fait aussi tentaculaire que le Jeu du Calamar. En invitant, en Corée, des citoyens pauvres – 456 dans le cas de Squid Game et seulement huit dans celui de The 8 Show – à venir se refaire en participant à un jeu visionné par une audience, on parle en effet le même langage. Le synopsis n’est sur le papier pas bien compliqué…

À croire qu’à l’aide de ses petites ventouses, Netflix s’attache à nous faire voir ce que l’on connaît sans rien proposer de nouveau ? Et pourtant, après avoir reçu un premier coup de tentacule en 2022, voilà que l’on tend l’autre joue pour se faire battre : The 8 Show est une nouvelle claque ! Au final, deux succès. Deux œuvres intelligentes, aux enjeux, cliffhangers et suspense efficaces et insoutenables, et qui semblent en tout point très proches, mais pas jumelles pour autant. 

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S’il fallait commencer la comparaison entre ces deux jeux de mort, le décor semble plus qu’adapté. Ici, la différence est subtile dans ces paysages de cours de récré coréennes. Mais si, dans les deux cas, on respecte un décorum épuré isolant les personnages, la symbolique y est différente. À première vue, l’espace propre au Jeu du Calamar est difficile à cerner. Il semble grand et labyrinthique. Pour autant, les gardiens drapés de rouge façon El Professor qui quadrillent la pièce rendent cet espace plus concret, plus réaliste.

Dans The 8 Show, même si plus étouffant et limité, l’espace n’a rien de vraiment clair. Il transpire le faux, l’étrange, met terriblement mal à l’aise et accouche d’une atmosphère bien plus lourde que dans Squid Game. L’angoisse de se retrouver enfermé de manière définitive dans ce royaume du faux – le 8 à l’horizontale étant d’ailleurs le symbole de l’infini – nous prend, nous et les participants, et s’accompagne bientôt d’un rire nerveux, possédé, lorsque la série invoque ici la Black Lodge au velours rouge de Twin Peaks ou la folie humaine d’Orange mécanique

©Netflix

Au niveau de l’intrigue, préparez-vous dans les deux cas au mindfuck le plus total. Laissez de côté vos certitudes. Vos idées arrêtées. Les scénaristes (de la série autant que des jeux, d’ailleurs) se font aussi sadiques que créatifs. Des cliffhangers appuyés et un rythme endiablé sont au programme avec, sans doute là encore, un petit plus pour The 8 Show qui ne respecte absolument aucune règle. 

Par contre, c’est dans le traitement de ses personnages que la pieuvre sort du lot. Si dans les deux cas, les protagonistes sont des laissés pour compte de la société coréenne, la série de Hwang Dong-hyeok nous propose des personnages plus attachants et pour lesquels il est plus facile d’avoir de l’empathie. Ils ont des noms, un passé, une famille. Dans The 8 Show, l’extérieur ne compte pas. La vie réelle non plus.

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Les protagonistes sont des numéros et de leur vie antérieure on ne verra que leur arrivée en limousine sur les lieux du crime. Et de fait, on s’attache moins à ce qui leur arrive. En revanche, leurs numéros sont porteurs d’une vraie dimension allégorique. Ils représentent en tant qu’individu et au travers de l’espace qu’ils occupent les différentes strates sociales de la Corée. Comme un clin d’œil à Snowpiercer, l’œuvre du compatriote Bong Joon-ho.

Et bien qu’invisibles, il ne faudrait pas oublier les spectateurs de ce show, cachés derrières les nombreuses loupiotes rouges qui pavent les lieux. Leur absence, contrairement aux apparitions grotesques des riches milliardaires spectateurs de Squid Game, est aussi profonde et terrible que leur action silencieuse, mais décisive, sur le jeu. Une invisibilisation qui pousse même au questionnement et à l’identification : et si ces spectateurs anonymes cachés derrière leurs écrans de télé ou de smartphone, ce n’était finalement pas nous ?

Enfin, impossible de passer à côté du propos critique et politique de ces séries. Dans les deux cas, ces œuvres s’adonnent à une critique du capitalisme sourd et injuste qui éreinte nos sociétés et de la radicalisation de notre monde contemporain dans lequel sexe, violence et argent règnent. Mais elles pointent aussi du doigt les excès du divertissement qui abreuvent une population rivée sur ses écrans.

Difficile, donc, de choisir objectivement la meilleure des deux séries. Mais, comme dans tout bon jeu de survie, il ne peut en rester qu’un ! Pile ou face ? Pour sa radicalité, plus franche, son portrait d’une humanité capable du pire pour servir ses intérêts ou pour se délecter du malheur des autres, son intelligence dans la mise en pratique des concepts économiques et philosophiques, ses propositions formelles et musicales pleines de sens, notre cœur penche pour The 8 Show. À vos votes.

Les k-dramas n’ont jamais été aussi pop 

Quelle que soit votre préférence, elle confirme une tendance. L’instauration, voire la prise de pouvoir au niveau mondial de la pop culture coréenne. K-pop, k-food, k-fashion, et maintenant k-drama – voire k-drama qui parle de k-pop, comme dans Dream High

Le korean dream s’invite désormais partout et se dilue de plus en plus dans le paysage audiovisuel occidental depuis la Palme d’or de Bong-Joon Ho à Cannes en 2019 pour Parasite, pilier de la nouvelle vague coréenne qui a relancé la production nationale dans les années 2000, et qui semble aujourd’hui plus proche du Tsunami.

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