Décryptage

Alone in the Dark : comment ce jeu français a révolutionné le genre horrifique

19 mars 2024
Par Quentin Lewis
Le reboot d'“Alone in The Dark” sortira le 20 mars sur PC, PS5, Xbox Series X/S.
Le reboot d'“Alone in The Dark” sortira le 20 mars sur PC, PS5, Xbox Series X/S. ©THQ Nordic

Mercredi sort sur PC, PS5 et Xbox Series X/S le remake d’Alone in the Dark. Retour sur l’une des œuvres les plus importantes de l’histoire du jeu d’horreur.

Les polygones vidéoludiques jouissent, depuis leurs débuts, d’une place toute particulière au sein de l’Hexagone. Le premier jeu intégralement conçu par une entreprise française date de 1982, avec Le Bagnard de Valadon Automation. Véritable pionnier de l’arcade à la française, ce jeu de plateforme à mi-chemin entre Donkey Kong et l’univers de Lucky Luke proposait d’incarner Joe, un bandit fraîchement échappé de prison qui comptait bien déterrer le magot qu’il avait caché avant de se faire pincer. Si son gameplay n’avait rien de révolutionnaire, ce jeu vidéo « made in France » allait bientôt faire le tour des bornes d’arcade du monde entier.

Bien qu’il soit indéniable que les géants du dixième art se trouvent majoritairement aux États-Unis et au Japon, nous assistions au début d’une longue tradition. Après des débuts discrets, les créateurs français se sont petit à petit taillé une réputation singulière dans le monde du jeu vidéo. De la sortie remarquée d’Another World en 1991 à celles de Life is Strange (2015) ou Dofus (2004), les auteurs proposent des œuvres différentes de ce que les géants du médium ont à offrir. Mais aucun de nos jeux n’a eu autant d’impact sur l’industrie que celui dirigé par Frédérick Raynal : Alone in the Dark.

Nouveau genre

Retour au début des années 1990. Le monde florissant du jeu vidéo est en pleine ébullition. À cette époque, le jeu d’aventure sur ordinateur vit un véritable âge d’or. Aux États-Unis, les incontournables de la fantasy de Sierra Entertainment (qui n’est pas encore revenu sur le devant de la scène avec Gabriel Knight: Sins of the Fathers) ont été détrônés par Lucasarts.

Après le succès de Maniac Mansion, la compagnie de George Lucas vient de sortir deux de ses grands classiques : The Secret of Monkey Island et sa suite, LeChuck’s Revenge. Ils enchaînent, en 1992, sur ce qui est encore considéré aujourd’hui comme le meilleur Indiana Jones de pixels jamais créé : Le Mystère de l’Atlantide. À cette même date sort un nouveau jeu, à des années-lumière de ces chefs-d’œuvre grand public en 2D.

Il faut garder à l’esprit qu’au moment de la sortie d’Alone in the Dark, le genre du « survival horror » n’existe pas encore. Nous sommes quelques années avant la création de l’univers enchanteur à succès des Little Big Adventure, et déjà Frédérick Raynal se dit que l’avenir pourrait bien se jouer en trois dimensions. Dès 1990, il travaille d’arrache-pied sur un moteur de jeu en 3D dans l’espoir de se rapprocher de son rêve de photoréalisme.

Avec sa petite équipe, il décide d’utiliser les limitations de l’époque comme une force. Ainsi, l’horreur vient de l’ambiance unique d’Alone in the Dark. Le joueur y est seul, ce qui suscite l’angoisse, mais permet aussi de ne pas avoir à créer ou enregistrer des dialogues pour le personnage principal. L’histoire se situe dans les années 1920 où l’électricité est présente, mais suffisamment peu abondante pour créer une ambiance inquiétante et ne pas avoir à coder un système d’éclairage trop élaboré. Enfin, l’action limitée à un manoir hanté fonctionne certes à un niveau narratif, mais permet également à chaque décor fixe d’être circonscrit à des intérieurs étroits.

Héritage horrifique

L’idée du protagoniste pourchassé par des créatures maléfiques dans un lieu clos vient de l’admiration de Raynal pour le film de Romero, Dawn of the Dead. Depuis qu’il a vu ce film dans lequel des héros sont enfermés dans un supermarché et encerclés par une horde de zombies, il rêve de faire un jeu similaire, le jour où la technologie l’y autorisera enfin.

L’influence du cinéma horrifique sur Raynal est sans doute l’une des raisons pour lesquelles ce jeu avait marqué les esprits par sa profondeur. Il faut se rappeler que la majorité des jeux d’horreur de l’époque relevaient du divertissement façon arcade. Alone in the Dark se démarquait par son héritage de marque : celui du cinéma de Dario Argento, qui a tant influencé son créateur, mais également celle des œuvres sinistres d’Edgar Allan Poe (souvent adaptées au cinéma), et plus particulièrement de sa Chute de la maison Usher. Sa caméra vue du dessus qui traversait l’histoire et son animation 3D révolutionnaire renforçaient cet aspect cinématographique. Mais aucune autre influence n’est plus présente que celle d’H.P. Lovecraft.

Il s’agit là de l’un des aspects révolutionnaires du jeu souvent ignorés. Au moment de sa sortie, en 1992, Alone in the Dark constitue en effet la première adaptation vidéoludique à succès de Lovecraft, devenu aujourd’hui un incontournable de l’industrie. Il y avait bien eu quelques tentatives, comme The Hound of Shadow en 1989, mais aucune n’était parvenue à toucher les joueurs du monde entier. Alone in the Dark avait en effet réussi à se vendre à plus de 400 000 exemplaires en peu de temps, et avait atteint plus de 2,5 millions d’unités en moins de dix ans. Le jeu a remporté plusieurs récompenses et se retrouve bien souvent dans les listes des meilleures œuvres vidéoludiques jamais créées de la presse spécialisée du monde entier.

Many people in the dark

Malheureusement, tout n’est pas rose dans le monde sombre d’Alone in the Dark. L’équipe est épuisée au moment de sa parution. Un contentieux avec le président d’Infogrammes (qui souhaite que le second chapitre de l’histoire mette l’accent sur l’action plutôt que sur l’horreur) pousse Reynal et une grande partie de son équipe à quitter l’éditeur pour créer Adeline Software International. Et si leur jeu est à l’origine du genre désormais incontournable du survival horror, il faudra presque dix ans pour que le créateur de Resident Evil reconnaisse enfin l’influence colossale du chef-d’œuvre de Reynal sur son propre titre.

Il est impossible d’imaginer à quoi ressemblerait le monde du jeu vidéo d’horreur moderne si cette création d’une petite équipe française dans les années 1990 n’avait jamais existé. Et avec la sortie imminente du reboot développé par Pieces Interactive, le genre du survival horror semble à la fois boucler la boucle et rendre à César ce qui lui appartient.

Repensé totalement pour des gamers modernes qui ne connaîtraient pas le jeu original, le nouveau Alone in the Dark est bâti sur les fondations du premier opus pour raconter une histoire inédite. Celle-ci pousse les curseurs de l’action et de l’horreur cosmique, et affirme encore plus l’héritage cinématographique qui a fait le succès du premier jeu en choisissant deux acteurs de renom (David Harbour de Stranger Things et Jodie Comer de Killing Eve) pour prêter leurs traits et leur voix aux deux protagonistes.

Les nouveaux monstres sont créés par Guy Davis (connu pour avoir conçu le design de nombreuses créatures des films de Guillermo Del Toro) et l’ambiance film noir rappelle les grandes heures de l’âge d’or hollywoodien. Il ne reste plus qu’à attendre la sortie du jeu le mercredi 20 mars pour savoir si ce remake fera honneur à son prédécesseur. Une chose est toutefois certaine : tout a été mis en œuvre pour rendre hommage au travail entamé il y a plus de 30 ans par Raynal et sa petite équipe d’artistes talentueux.

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