À l’occasion de la Journée internationale pour les droits des femmes, L’Éclaireur dresse le portrait de trois figures majeures du neuvième art.
Il y a des auteurs et des autrices qui chamboulent tout sur leur passage et dont l’œuvre change à jamais le medium dans lequel ils s’expriment. Et le paysage de la bande dessinée moderne ne serait pas le même sans ces trois femmes. Elles ont chacune révolutionné le monde de bulles et de papier au milieu duquel elles naviguaient, à leur manière.
1 Claire Bretécher et la bande dessinée française
Au cours de son histoire tumultueuse, le magazine Pilote a connu de nombreux changements. Pour beaucoup, son âge d’or survient à la fin des années 1960, date à laquelle il est rejoint par la jeune autrice et dessinatrice Claire Bretécher. Avant cette expérience professionnelle, cette dernière avait déjà travaillé dans la bande dessinée, notamment dans Le Journal de Tintin et aux côtés de Goscinny (Astérix et Obélix). Mais c’est en 1969, à l’aube de ses 30 ans, que l’artiste se met à refaçonner le monde de la BD francophone à son image.
Avant l’arrivée, presque deux décennies plus tard, de son héroïne phare Agrippine, Bretécher pose déjà les jalons de ce qui allait faire son succès. En créant Cellulite, la scénariste propose à Pilote l’un de ses premiers personnages féminins phares. Cette anti-héroïne constitue une princesse moyenâgeuse peu conventionnelle. Avec l’humour satirique qui traversera le reste de son œuvre, elle croque le monde qui l’entoure d’une dent aiguisée.
La finesse d’esprit avec laquelle elle s’amuse du monde qui l’entoure n’épargne aucun sujet de société. Si bien qu’un certain Roland Barthes la comparait à une sociologue aguerrie. Et difficile d’imaginer les blogs qui ont révélé bon nombre d’autrices talentueuses de notre époque telles que Pénélope Bagieu ou Margaux Motin si Les Frustrés ou Agrippine ne leur avaient pas ouvert la voie.
2 Moto Hagio et les mangas
Ai Yazawa (Nana), Naoko Takeuchi (Sailor Moon), Hiromu Arakawa (Full Metal Alchemist)… Les mangakas talentueuses sont aujourd’hui légion. La créatrice de La Rose de Versailles, Riyoko Ikeda, est quant à elle associée au Groupe de l’An 24 (Nijūyo nen Gumi en version originale), le nom officieux donné rétrospectivement au mouvement d’artistes qui ont transformé le genre du shōjo (mangas majoritairement destinés au lectorat féminin) au début des années 1970.
Ce groupe est né dans ce qu’on a surnommé le salon Ōizumi, appartement de Tokyo à l’intérieur duquel les artistes Keiko Takemiya et Moto Hagio vivaient en colocation. Durant cette période, de nombreuses dessinatrices, scénaristes et assistantes ont pu les côtoyer et faire l’état des lieux du manga « pour filles » de l’époque. Une véritable révolution du genre est née à ce moment-là, notamment avec Le Clan des Poe.
Publiée dès 1972, cette série monumentale créée par Hagio fait entrer le gothique, la fantaisie et parfois même l’horreur au sein de ce genre qui tirait autrefois plus vers la niaiserie romantique. À partir de là, des genres jusqu’alors exclus du shōjo tels que le thriller ou la science-fiction ont fait leur apparition dans les mangas qui ont suivi.
3 Karen Berger et les comics
Le monde du comic book n’est pas en manque d’artistes talentueuses. Qu’il s’agisse de la BD indépendante avec des femmes telles que Trina Robbins et Julie Doucet, ou des œuvres adressées au grand public avec Gail Simone et Jill Thompson, le neuvième art anglo-saxon fourmille de talent. Cependant, cette Journée internationale pour les droits des femmes nous donne l’occasion de nous intéresser à un métier de l’ombre avec une femme sans qui la bande dessinée moderne n’aurait assurément pas la même complexité : l’éditrice Karen Berger.
Après le succès des premières œuvres d’Alan Moore, DC Comics charge cette dernière de trouver des scénaristes de la même trempe. C’est alors qu’elle décide de se tourner exclusivement vers des jeunes auteurs britanniques méconnus aux aspirations plus matures et littéraires. Parmi eux figure un certain Neil Gaiman à qui elle confie les rênes d’une série de grande envergure : Sandman.
Elle jouera même un rôle majeur dans la british invasion des comics, ce phénomène culturel qui a permis à la BD américaine de jouir de la dimension littéraire qui lui manquait jusqu’alors. Elle a ensuite créé la filiale Vertigo chez DC Comics, qui a donné lieu à de nombreux chefs-d’œuvre incontestés tels que Y : The Last Man, 100 Bullets, V For Vendetta ou encore Transmetropolitan. Elle travaille aujourd’hui chez Dark Horse Comics, où l’éditorialiste a créé Berger Books. Elle continue ce que DC ne lui autorisait plus suite à la fermeture de Vertigo : tenter de propulser des auteurs et des autrices parfois méconnus en publiant des œuvres destinées à un public mature.