Ce n’est pas nouveau : les Japonais sont charmés par la France, sa culture et son histoire. De La Rose de Versailles aux Gouttes de Dieu, notre pays a largement inspiré les créateurs nippons – qui ont une fascination toute particulière pour notre capitale et ses habitants, pour le meilleur et pour le pire.
Dès les années 1960, le Japon est en plein miracle économique et les touristes japonais débarquent massivement dans la Ville lumière – les événements de mai 1968 leur inspirent même des récits et des chansons populaires. À l’époque, Paris bénéficie d’une image romantique et teintée d’histoire, nourrie par des mangas comme La Rose de Versailles (1972) ou La Tulipe noire (1975). Mais, à mesure que le tourisme nippon se densifie dans la capitale, cette image de carte postale commence à s’écorner.
Paris et le choc culturel
En effet, nombre de Japonais sont déçus en débarquant dans notre capitale. RER vétustes, serveurs impolis, pigeons envahissants… Beaucoup sont victimes d’un choc culturel sur les questions de propreté des rues ou sur le chaos relatif dans nos files d’attente. Et le retour à la réalité est rude pour nombre de visiteurs.
Ce phénomène porte même un nom : Pari shōkōgun (le syndrome de Paris), une condition de détresse psychologique face à un décalage trop grand entre les attentes et la réalité frappant les touristes et les expatriés japonais, largement décrite dans la littérature médicale.
Un certain nombre d’artistes japonais décident alors de questionner ces différences culturelles pour montrer un visage de Paris moins cliché et plus vraisemblable. Ainsi, la pianiste Megumi Noda du manga musical Nodame Cantabile décrit les désillusions hilarantes qu’elle vit lors de son année de voyage dans la capitale, et l’héroïne du thriller animé Noir (2001), Mireille Bouquet (ça ne s’invente pas), affronte carrément la pègre parisienne.
Une vision nuancée que l’on retrouve d’ailleurs dans des BD historiques plus récentes, comme Innocent ou Le Troisième Gédéon, qui mettent en scène des aspects beaucoup moins glamour et populaire de la vie sous la Révolution (contrairement à leurs aînés). Une meilleure connaissance de la réalité de la vie parisienne et de l’histoire de la ville se développe ainsi avec le temps, donnant des résultats moins flatteurs, certainement moins sexy, mais plus vraisemblables.
Une image toujours attractive, mais moins clichée
Cependant, notre capitale ne semble pas avoir perdu de son attractivité aux yeux des Japonais. Certes, les Parisiens sont bougons, pressés et bruyants, et leur ville ne semble pas toujours aux normes de propreté acceptables aux yeux des touristes tokyoïtes, mais ses merveilles exercent un attrait sans faille auprès des artistes japonais.
Rohan au Louvre (un film de 2023 qui s’inspire d’un livre d’Hirohiko Araki) montre, au travers d’une enquête surnaturelle, la manière dont les grands musées parisiens, devenus ici le théâtre d’un polar fantastique, continuent d’exercer une fascination sur le public nippon. Même chose pour ses grands restaurants étoilés, mis en scène sans complaisance, mais avec une véritable admiration dans le manga de cuisine Artiste – Un chef d’exception.
Retour à la réalité
Malgré ses défauts, notre capitale demeure un lieu de fascination et de haute culture au raffinement. Il faut dire que, depuis quelques années, les échanges concrets entre les Parisiens et les Japonais se sont multipliés. De nombreux témoignages directs ont ainsi permis de dissiper tout malentendu sur les splendeurs de la vie à l’intérieur du périphérique.
Dans ses nombreuses BD autobiographiques, le mangaka J.P Nishi, marié à une journaliste française, décrit les charmes et les désillusions de la vie parisienne en multipliant les observations très précises sur nos travers. Comment faire la bise à une Parisienne ? Quels sont les codes vestimentaires à respecter dans la rue ? Quand traverser ? Pourquoi y a-t-il du bœuf aux oignons dans les « restaurants asiatiques » de la ville ? Autant de petites anecdotes croustillantes qui servent de véritable guide pour les Japonais en vacances.
Une démarche similaire a d’ailleurs été entreprise par Tokyo no Jo, un youtubeur japonais francophone qui décrit avec humour les travers du quotidien des Parisiens dans son livre Comment je suis devenu Parigot.
Un regard à la fois amusé, parfois cruel, mais plein d’autodérision sur les défauts les plus saillants des Parisiens comme de leurs visiteurs japonais. Dans son ouvrage, le jeune homme fait le parallèle entre ses souvenirs d’enfance et l’actualité de sa vie dans la capitale, soulignant ainsi le contraste saisissant entre les deux modes de vie – mais sans jamais en idéaliser aucun.
Ces échanges interculturels se ressentent aussi sur des projets très prestigieux. C’est ainsi que les éditions du Musée du Louvre publient depuis dix ans des ouvrages en partenariat avec de talentueux dessinateurs japonais tels que Jirô Taniguchi ou Taiyō Matsumoto. Ils mettent en scène les espaces du musée et la vie des collections avec le trait et le regard de ces maîtres du dessin japonais. Des ouvrages plutôt fins et subtils qui mettent en avant toutes les facettes de la culture française. Que ce soit au niveau des mœurs, de la vie quotidienne ou de la vie culturelle, les Japonais et les Parisiens commencent (enfin) à mieux se connaître.