Le dernier one-shot du mangaka Takashi Murakami adapte avec brio et finesse le recueil de nouvelles phénomène. On y suit le voyage émouvant d’un chien isolé, après le tsunami de 2011 au Japon.
Le Chien qui voulait voir le Sud, c’est avant tout un recueil de nouvelles paru l’an dernier chez Picquier. On doit cette série de textes au destin très particulier au scénariste et romancier Hase Seishū, qui a fait une bonne partie de sa carrière et de sa notoriété en écrivant de rudes histoires se déroulant dans le monde de la pègre et du crime organisé. Il a aussi planché sur une partie du scénario des jeux vidéo Yakuza et Yakuza 2 pour le compte de Sega, et des romans érotiques.
Un best-seller au destin hors du commun
Mais voilà qu’en 2020, il revient avec un recueil intitulé (à l’origine) Shonen to Inu. Une rupture de ton assez radicale, puisqu’au lieu de suivre des histoires de crimes dans les bas-fonds de Tokyo, on suit le voyage poétique d’un chien solitaire, Tamon. Ses aventures se retrouvent rapidement couronnées par le prix Naoki, l’une des distinctions les plus prestigieuses pour le roman grand public au Japon.
250 000 exemplaires vendus plus tard, l’ouvrage débarque en France aux éditions Picquier dans une traduction remarquable de Jacques Lalloz. Entre-temps, le texte a été retravaillé pour une adaptation en feuilleton dessiné. Cette dernière paraît au cours de l’année 2021 sur le service de manga en ligne de l’éditeur, Bunshun Online, avant de recevoir une adaptation française à retrouver en librairie ce 7 mars, aux éditions Akata.
Le bon auteur pour la bonne histoire
Cette adaptation n’a pas été confiée à n’importe qui. C’est en effet au dessinateur Takashi Murakami (à ne pas confondre avec le célèbre artiste du même nom) qu’échoit la dure tâche d’adapter ces histoires subtiles, contemplatives et pétries de non-dits. Ce mangaka actif depuis les années 1980 est tout sauf un inconnu chez nous.
Une partie de son œuvre empreinte d’humanisme et de mélancolie a déjà été largement saluée par la critique. On lui doit en particulier chez Pika Éditions les deux volumes du tragique Chien gardien d’étoiles ou encore le manga de science-fiction Pino, qui traitait avec finesse d’intelligence artificielle.
Le style de Murakami est assez unique dans le monde du manga pour adultes, avec un trait doux et humain et une manière toujours intelligente d’y insérer du drame et de la tension. De ses œuvres émanent également un amour sincère des petites gens, des paysages de campagne et de montagnes du Japon profond, mais aussi une passion assez nette pour les chiens. Il était donc le candidat plus qu’idéal pour adapter les aventures du brave Tamon.
Une adaptation parfaite pour une histoire sensible et mémorable
Ce mélange de douceur et de cruauté vu par les yeux d’un chien plein de sagesse, on le retrouve parfaitement dans les planches du Chien qui voulait voir le Sud. Hase Seishū a dressé dans son recueil le portrait de personnes en marge de la société et a porté sur elles un regard parfaitement bienveillant. Ce fils de militants communistes s’est toujours attaché à décrire dans ses œuvres la vie des oubliés de l’économie japonaise.
Tamon se retrouve ainsi au fil de ses pérégrinations vers le sud du Japon, tour à tour adopté par un immigré en fuite, une prostituée ou encore un vieil homme malade. Des vies abîmées, brisées, au destin souvent funeste, mais sur lesquelles le chien errant porte un regard plein de sagesse et d’abnégation. Toujours attiré vers le Sud, il demeure néanmoins à leurs côtés tant qu’il juge utile sa présence réconfortante.
Le trait de Takashi Murakami ne manque pas de sublimer la puissance évocatrice du recueil d’origine, le mangaka en livrant une adaptation particulièrement émouvante, au découpage soigné et au rythme soutenu. Un périple mélancolique qui parvient à nous faire voyager de manière assez touchante dans le Japon bouleversé d’après la catastrophe de Fukushima.
Au-delà d’une simple promenade à travers les différents paysages nippons, Le Chien qui voulait voir le Sud parvient ainsi à nous plonger dans un véritable « Japon de l’envers ». Nous sommes ici aux marges d’une économie et d’une société prompte à mettre des catégories entières de la population de côté. Le voyage de Tamon, émouvant et impitoyable, se suit comme une épopée pleine d’émotion et de sensibilité dans cette société des marges, et constitue une chaude recommandation de notre part.