Le géant américain s’attire de nouveau les foudres des professionnels du cinéma suite à l’annonce d’un projet de festival de films estampillés Netflix dans des salles d’art et d’essai de l’Hexagone. Le festival est d’ores et déjà prévu pour le mois de décembre.
L’information dévoilée par Le Film français a fait grand bruit auprès des professionnels du cinéma, notamment du côté des distributeurs et des exploitants de salles qui, à vrai dire, n’ont jamais vraiment porté Netflix dans leur cœur. Endommagés par une fréquentation des salles qui ne parvient pas à atteindre les chiffres des années « pré-Covid » – et malgré un léger rebond lors la réouverture des cinémas le 19 mai dernier – ces acteurs de l’industrie estiment être les premiers à pâtir de la concurrence livrée par des plateformes de streaming qui ont largement profité des confinement successifs pour attirer de nouveaux abonnés. Plusieurs syndicats de distributeurs indépendants ont ainsi manifesté leur colère suite à l’annonce de ce projet de « festival Netflix », qui doit se tenir du 7 au 14 décembre prochain en association avec une poignée d’exploitants.
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Certains réseaux de salles tels que MK2 ou Utopia auraient d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour le festival, qui prévoit notamment de projeter en avant-première des films produits par Netflix tels que The Power of The Dog de Jane Campion – qui a récemment reçu le Prix Lumière à Lyon – The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal, The Hand of God de Paolo Sorrentino, ou encore le très attendu Don’t Look Up d’Adam McKay (avec Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence en têtes d’affiche). Initialement prévus pour une diffusion en ligne, ces films devront obtenir un visa d’exploitation temporaire de la part du CNC pour pouvoir être montrés en salles. De son côté, la plateforme évoque un « événement relativement modeste » ayant essentiellement pour but de diffuser sur grand écran des films déjà disponibles dans son catalogue.
Cela n’a donc pas empêché les distributeurs de monter au créneau. Les syndicats DIRE (Distributeurs Indépendants Européens Réunis) et SDI (Syndicat des Distributeurs Indépendants) ont ainsi publié un communiqué commun le 25 octobre, accusant la plateforme de « transformer les cinémas en antichambre de ses services » et fustigeant au passage les exploitants partenaires de cette opération. « A l’heure où de nombreux films, victimes des sept mois et demi de fermeture des salles, peinent à trouver une exposition à la hauteur de leur potentiel, nous dénonçons la tenue d’un tel festival qui s’apparente à une campagne marketing de grande échelle, une bande-annonce promotionnelle géante pour inciter des spectateurs de cinéma à s’abonner à un service payant », poursuivent-ils.
Un sentiment partagé entre autres par l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) qui a publié aujourd’hui un communiqué particulièrement féroce envers les salles potentiellement associées au festival : « Tout cela pourrait n’être pas grave si les salles de cinéma complices de cette idée navrante ne se prévalaient pas de soutenir la création cinématographique. Comment peut-on se croire salle “d’Art et d’Essai”, voire de “Recherche”, lorsqu’on a abdiqué à ce point l’idée de l’Art, de l’Essai, et de la Recherche pour leur préférer des produits de consommation de masse et revendiquer ce geste comme une ouverture ? Il faut être bien cynique… ».
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Pour autant, la baisse de fréquentation des salles obscures ne peut pas être uniquement imputée à la croissance des plateformes de streaming. Malgré l’engouement pour certains films – Kaamelott – Premier volet, Dune, Bac Nord ou plus récemment Mourir peut attendre – distributeurs et exploitants ne parviennent pas vraiment à s’expliquer cette stagnation, comme en témoigne cet article paru dans Le Monde le 2 octobre dernier. Pass sanitaire ou peur de retourner au cinéma, nouvelles habitudes de consommation, les facteurs sont nombreux et ne peuvent pas se réduire à l’influence des plateformes.
Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur le 1er juillet dernier du décret SMAD («services de médias audiovisuels à la demande»), les géants du streaming se sont engagés à investir 20 à 25% de leurs chiffres d’affaires (près de 200 millions d’euros annuels rien que sur le territoire français) dans la création audiovisuelle. Mais la plateforme attend pour cela que l’exécutif tienne sa promesse de réforme de la chronologie des médias : une manœuvre toujours contestée par les chaînes de télévision – à l’instar de Canal+, mécène historique du cinéma français – dont la pérennité dépend pour beaucoup de cette fameuse chronologie.
L’avenir du cinéma français se joue peut-être avant tout sur ce terrain-là.