Décryptage

Super Mario RPG, symbole de l’amour passé entre Nintendo et Square

17 novembre 2023
Par Vincent Oms
Le remake de “Super Mario RPG” était sorti le 17 novembre dernier sur Nintendo Switch.
Le remake de “Super Mario RPG” était sorti le 17 novembre dernier sur Nintendo Switch. ©Nintendo

Aujourd’hui, Square Enix et Nintendo collaborent normalement. Mais, jadis, leur proximité, bien plus forte, débouchait sur un jeu improbable.

La sortie du remake de Super Mario RPG nous offre une belle occasion de revenir sur l’histoire de la création de l’original. D’autant qu’elle permet d’évoquer la relation particulière qui liait Nintendo et Squaresoft. Oui, Squaresoft, car l’éditeur n’avait pas encore fusionné avec son rival d’alors, Enix, éditeur de Dragon Quest.

La console NES de Nintendo avait rencontré un succès dépassant les frontières japonaises, devenant l’une des machines les plus vendues au monde avec plus de 60 millions d’exemplaires écoulés. Aux côtés des titres maison de l’éditeur-constructeur, Mario et Zelda en tête, d’autres tiers proposaient leurs hits, comme Capcom, Konami et consorts.

Fantaisie séduisante

Encore limité à l’archipel, le succès du premier Final Fantasy (1987) de Squaresoft, imaginé par le légendaire Hironobu Sakaguchi, n’était pas passé inaperçu pour autant. Avec 1,5 million de jeux vendus, la licence avait sauvé son éditeur et lancé une saga au destin inimaginable. Depuis ce premier volet, fondateur d’une large frange des RPG japonais, les suites sont systématiquement sorties sur les consoles Nintendo. Une fidélité sans faille.

Le premier Final Fantasy et son écran-titre sobre ont marqué la naissance d’une saga légendaire.©Square Enix

Le passage à la Super Nintendo a permis à Squaresoft d’appuyer la sortie de ses titres à l’étranger et notamment aux États-Unis, où il s’est implanté dès 1989. Cette volonté et ces intérêts convergents ont accru le rôle de l’éditeur auprès des partenaires de Nintendo. Jusqu’à Final Fantasy VI, en avril 1994, la licence culte des jeux de rôles filait le parfait amour avec la firme de Mario, au point de donner des idées à un autre créateur iconique, Shigeru Miyamoto.

D’une pierre deux coups

Toujours en quête d’idées novatrices et de concepts changeant le paradigme des propositions faites aux joueurs, Miyamoto veut décliner les aventures de sa mascotte au format RPG. Une aubaine pour Squaresoft, dont les ventes à l’étranger et la reconnaissance de ses créations peinaient encore à prendre suffisamment d’ampleur.

Pour ses sorties américaines, Square change la numérotation des Final Fantasy, source de confusion.©Square Enix

L’occasion était donc parfaite pour les deux parties de se rapprocher plus encore, cette fois autour d’un projet développé en commun, dès 1995. Une véritable exception à l’époque, bien loin des studios d’aujourd’hui, considérablement aidés par les constructeurs dans leurs créations. Et un événement qui donne une idée de la force de cette union, que l’on ne pouvait imaginer à l’époque autrement que comme indestructible.

Une technique de pointe

Outre une collaboration inédite, les enjeux se montraient par ailleurs assez rapidement techniques. À la suite de premières réunions de travail entre les deux parties se dessine un choix essentiel. Après l’énorme succès de Donkey Kong Country (1994), développé par Rare Software pour Nintendo, l’usage de graphismes modélisés en 3D puis convertis sous forme de sprites en 2D a fait ses preuves.

Avec son rendu 3D, Donkey Kong Country a marqué un tournant technologique.©Nintendo/Rare Software

Une tendance qui amorce déjà le virage vers un avenir de polygones pour le média et qui intéresse autant Nintendo que Squaresoft. Cependant, ce procédé reste complexe, réalisé sur des stations de travail hors de prix et à l’utilisation encore nouvelle pour les développeurs. Pourtant, le duo maintient ce choix, à même selon Miyamoto de donner un aspect plus dynamique à des RPG qu’il juge trop statiques.

Super mélodique RPG

Pour accompagner les aventures inédites du plombier, plutôt que de confier la composition aux traditionnels musiciens Koji Kondo pour Mario et Nobuo Uematsu pour Final Fantasy, Square et Nintendo ont fait confiance à Yoko Shimomura. Un nom qui, pour les fans de jeux vidéo contemporains, évoque forcément des titres cultes, tels que la série Kingdom Hearts ou, plus récemment, Final Fantasy XV.

Loin d’être une débutante, la compositrice, qui avait rejoint Squaresoft en 1993, avait fait ses débuts chez Capcom sur des titres aussi populaires que Street Fighter II ou Final Fight… Des jeux de combat, donc, à des années-lumière des univers fantastiques qu’elle habillera plus tard de ses mélodies. Le résultat sur Super Mario RPG est un petit bijou, reprenant les thèmes propres au plombier de Kondo en les réorchestrant savamment, tout en intégrant des créations de Uematsu. La compositrice a d’ailleurs retravaillé elle-même cette bande-son à l’occasion de la sortie du remake, qui laisse aussi le choix d’opter pour l’originale.

Un petit coup de p(o)uce

Revenons au cœur du jeu. Outre la 3D isométrique, le créateur de Mario voulait des animations, un côté plus « vivant » dans un système pourtant directement inspiré du fameux tour par tour, rigide, de Final Fantasy. En conséquence, la partie graphique et les animations ont occupé la majeure partie du développement, estimé à plus d’un an.

L’idée était par ailleurs de proposer un RPG plus accessible et moins restrictif, notamment en ce qui concerne les déplacements. Tout cela a donné à Super Mario RPG des allures d’action-RPG, sans en être un, tant son univers coloré, tridimensionnel et sa liberté de mouvement changeaient alors les habitudes des rôlistes.

Starfox proposait de la 3D sur Super Nintendo, un exploit technique.©Nintendo

Pour parvenir à ce résultat, les développeurs n’ont pas été les seuls artisans mis à contribution. Le service recherche et développement de Nintendo, créateur d’une puce baptisée SA-1, capable d’améliorer les capacités techniques de la Super Nintendo par sa présence dans le jeu lui-même, a aussi contribué au résultat. Ce genre d’éléments sera régulièrement utilisé sur le format cartouche, que ce soit par Nintendo avec Starfox (1993), qui s’appuyait sur la puce Super FX, ou Sega avec Virtua Racing (1994) sur Megadrive et son SVP (Sega Virtual Processor).

No RPG for Old Countries

La mauvaise nouvelle pour les Européens, qui n’ont pas eu droit à la sortie de Super Mario RPG, réside justement dans une des fonctions annexes du SA-1. En plus de contrer le piratage, la fameuse puce renforçait du même coup la protection territoriale (l’équivalent des zones pour des DVD ou les Blu-ray). Jouer à une version japonaise ou américaine demandait donc d’attendre – longtemps – la sortie d’un adaptateur non officiel.

Et il a fallu patienter jusqu’en 2008 et l’arrivée du titre sur la Console Virtuelle de la Wii pour y jouer « officiellement » en Europe. L’explication de ce rendez-vous manqué avec le Vieux Continent semble tenir à une rentabilité estimée comme faible par Square et Nintendo, avec des coûts de traduction et de localisation propres à chaque pays élevés.

La jaquette américaine de Super Mario RPG a longtemps été source de fantasmes et de frustration pour les Européens.©Nintendo

Un potentiel sous-estimé, sans doute, comme en attestent les ventes stratosphériques que le jeu a enregistrées au Japon en 1996, avec 1,47 million d’exemplaires. Aux États-Unis, le stock insuffisant proposé au lancement a handicapé des ventes pourtant très élevées également. Cet accueil unanime des joueurs comme de la presse a prouvé le génie de l’idée de base : marier amoureux de Mario et fans de RPG. Les deux communautés y ont trouvé plaisir, avec une aventure suffisamment longue, mais pas trop, des nouveautés, et surtout un résultat visuel étonnant. Une sucrerie à même de séduire tous les publics.

Enfant prodige, mais unique

L’héritage laissé par ce « bébé » né de la relation entre Nintendo et Squaresoft est multiple. D’abord avec la naissance, des années plus tard, de la série Paper Mario (2000), déclinaison en 2D du RPG à la sauce plombier. Mais, cette fois, Squaresoft n’est plus au rendez-vous – et pour cause. En dépit de leur belle histoire commune, l’éditeur a choisi un autre camp lors du lancement de Final Fantasy VII (1997).

Les exigences techniques, entre passage à la 3D, musiques symphoniques et besoin d’espace mémoire, ont fait pencher la balance vers la toute nouvelle PlayStation de Sony plutôt que la Nintendo 64 et son support cartouche. Une séparation brutale, qui ne s’apaisera qu’avec le temps… mais c’est une autre histoire. En attendant, redécouvrir le fruit de leurs efforts communs sur Switch est un pur bonheur.

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Article rédigé par
Vincent Oms
Vincent Oms
Journaliste