À l’occasion de la sortie au cinéma d’En eaux très troubles, suite du blockbuster porté par Jason Statham en 2018, retour sur le concept et sur les films mettant en avant le prédateur aquatique ultime par excellence : le requin.
En 1975, le cinéma change irrémédiablement : Steven Spielberg, jeune réalisateur encore méconnu, invente le concept du blockbuster estival avec un film étonnant : Les Dents de la mer (ou Jaws, pour la version originale). Les notes de musiques emblématiques de John Williams font sensation et le requin terrorisant la petite ville d’Amity devient culte. Depuis, des générations entières de spectateurs ne s’adonnent plus aux bains nocturnes en pleine mer et guettent avec attention la présence d’un éventuel aileron.
L’équilibre subtil du film lui donne ses lettres de noblesses
La recette du succès tient en plusieurs choses : d’abord, en montrant le moins possible le requin – par soucis budgétaire, certes, mais aussi par considération narrative –, ensuite, en créant autour de la menace un trio de personnages intéressants et attachants.
Dans Les Dents de la mer, le chef de la police locale, Martin Brody (Roy Scheider), tente de mettre fin à la chasse sauvage de l’animal et s’embarque sur un petit bateau avec l’expert Matt Hooper et le chasseur-pécheur Bart Quint. Après une première partie laissant place à la paranoïa et à la peur, le film devient intimiste et suit ce trio en pleine mer à la recherche du requin.
Spielberg combine l’écriture astucieuse du scénario à sa mise en scène méticuleuse. Les plans cultes s’enchaînent (comme le travelling contrarié sur la plage quand Brody croit apercevoir la bête) et les répliques intemporelles sonnent juste, comme la mythique : « Il nous faudrait un plus gros bateau. » Le succès est total, Spielberg devient l’un des maîtres du cinéma et le requin s’offre une place de choix dans l’imaginaire commun pour les années à venir.
Par la suite, le genre évolue, avec d’un coté des propositions originales qui tentent de garder une certaine sobriété (tout en effrayant le public) et, de l’autre, des films de plus en plus gros, faisant fi de toute cohérence ou logique avec la simple envie de montrer du requin de plus en plus gigantesque.
Par exemple, dans Peur bleue, en 1999 (Deep Blue Sea), une équipe de biologistes en poste dans un centre de recherche sous-marin font des expériences scientifiques sur des molécules présentes dans le cerveau des requins pour tenter de guérir la maladie d’Alzheimer. À la suite d’un accident dans la base, des requins aux capacités intellectuelles augmentées vont traquer l’équipage…
La menace parfaite : invisible et omniprésente
En 2003, deux films très différents ne mettent pas au premier plan le requin, mais offrent au prédateur au moins une grande scène : dans Open Water, un couple est oublié en pleine mer au large lors d’une sortie de plongée. À la dérive pendant des heures, il fait face aux éléments, à la soif, à la faim, puis – naturellement – aux requins. L’animal est invisible et la peur provient avant de tout de son absence. Les requins peuvent arriver, les requins vont arriver, les requins sont peut-être arrivés… Imparable.
Dans Le Monde de Nemo, le poisson-clown Marin et la dorade bleue Dory, lors de leur grande exploration du monde sous-marin, se retrouvent nez à nez avec le requin Bruce. La révélation fait son petit effet. Marin se retourne et tombe face à cet animal gigantesque aux dents imposantes.
L’animation permet un rendu différent du live et joue avec les caractéristiques connues et attendues pour sublimer le requin. Le danger est imminent, puis le twist est révélé : Bruce ne mange plus de poissons… Jusqu’à ce que l’odeur du sang réveille son instinct sauvage lors d’une séquence haletante et impressionnante. L’animal a toujours eu cette double particularité : il crée de la tension par sa simple présence, et crée de l’horreur quand il commence à se nourrir.
La tension est le maître-mot de nombreux films de requins. Dans Instinct de survie (The Shallows), en 2016, Blake Lively incarne une surfeuse solitaire proche de la côte. L’attaque par surprise d’un grand requin blanc l’oblige à se réfugier sur un rocher et à attendre. Le film de Jaume Collet-Serra est intéressant. Il montre que le prédateur n’est pas qu’une menace en pleine mer. Même à quelques mètres de la terre ferme, sa présence d’un requin peut se révéler fatale. Le film joue avec cette frustration, avec cette impossibilité de regagner un lieu qui paraît si proche.
Tout est ainsi question d’innovation et d‘inventivité. Les histoires de requins ne manquent pas et reposent souvent sur un schéma classique, mais de nombreux films inversent les concepts, amènent de nouvelles trouvailles visuelles pour donner à la menace un gout différent. Qu’ils soient intimistes, comme Instinct de survie, ou très second degré comme le diptyque En eaux troubles, le genre n’est pas prêt de s’éteindre et son succès s’explique par la peur primaire du prédateur. Même si les scientifiques et les études démontrent que l’animal n’est pas si dangereux, l’aileron le plus célèbre du cinéma continue d’entretenir le doute.
Et pour les plus malins voyant dans la terre ferme un lieu définitivement sûr, les téléfilms de série B par excellence Sharknado (bénéficiant d’une sortie cinéma pour certains volets), mélangent tornades et requins pour faire tomber l’animal du ciel. La combinaison est parfaite, plus rien ne peut résister au requin !
En eaux très troubles, de Ben Wheatley, avec Jason Statham, 1h56, au cinéma dès le 2 août 2023.