Projets mis de côté ou carrément abandonnés, fonds réorientés vers l’intelligence artificielle… Le métavers a-t-il fait pschitt avant même d’exister ? Analyse.
RIP le métavers ? Il y a encore un an, tout le petit monde de la tech ne parlait que de lui, du Web3 et des cryptos. Depuis, le tsunami ChatGPT est passé par là et a tout chamboulé. Désormais, le terme qui fait le buzz, c’est l’intelligence artificielle. Et le métavers a pris un sacré coup dans l’aile.
Des acteurs de premier plan, comme Meta, ont taillé des croupières dans les budgets de développement de ces projets, quand ils n’y ont pas mis un coup d’arrêt brutal. Dans le cas de Meta, une bonne partie des équipes dédiées a été dissoute et Mark Zuckerberg a mis un terme à la gabegie d’argent pour financer un monde virtuel qui n’était même pas du niveau des Sims. Alors même que le métavers s’apprêtait à souffler sa troisième bougie, il semble avoir été stoppé net.
Too big to fail (trop gros pour échouer), vraiment ?
Quand la maison-mère de Facebook, au nom éponyme, prend la décision en 2021 de changer de nom pour se renommer Meta, le message est clair : Mark Zuckerberg ne voit pas d’avenir pour ses réseaux sociaux en dehors du métavers. Il était alors annoncé comme le remplaçant de l’Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le groupe leader dans les réseaux sociaux jette alors toutes ses forces dans la bataille. À raison de 1 milliard de dollars par mois dépensés par sa division Reality Labs, chargée de développer son métavers. Au total, en 2022, cette branche a généré une perte de 13,7 milliards de dollars (et de 10,2 milliards en 2021). Depuis 2019, ce serait quelque 40 milliards qui auraient ainsi été engloutis par Meta. Pour un résultat pour le moins décevant.
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Plus largement, les investissements cumulés dans les très nombreux projets de métavers ont été estimés à 120 milliards de dollars en 2022 par le cabinet McKinsey. Le double de l’année précédente. En juin de l’année dernière, les analystes de la maison de conseil en stratégie voyaient encore un marché potentiel. « Le métavers représente un marché potentiel de 5 000 milliards de dollars d’ici 2030 », soutient Éric Hazan, managing partner growth, marketing & sales Europe chez McKinsey et co-auteur de l’étude Value creation in the metaverse : the real business of the virtual world.
Et puis, ChatGPT a fait son apparition… et nombre de fonds d’investissements ont réorienté leur attention sur l’intelligence artificielle. C’est le nouveau mot-clé en vogue pour décrocher des millions de la part des investisseurs. Alors que le terme de métavers semble déjà has-been et a été bien vite effacé du pitch des start-up. Le terme n’est plus assez bankable.
Métavers, un concept qui n’a jamais réussi à s’imposer
Mais l’intelligence artificielle n’est pas la seule en cause pour expliquer ce désamour envers le métavers. L’incapacité à définir le concept de manière significative n’y est peut-être pas pour rien. Pas tant techniquement que dans le sens de l’intérêt réel et concret pour le grand public.
Les grandes compagnies, notamment du luxe, ont certes investi des millions pour s’approprier des terrains virtuels. La peur de passer à côté de la bonne opportunité a joué un temps. Nike, LVMH, Adidas, H&M, Samsung, Gucci, Chanel, mais aussi Carrefour, HSBC… Autant de marques qui ont très tôt pris position, mais dont les projets attendent toujours une véritable stratégie et des services concrets pour le grand public.
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Surtout, les primo-utilisateurs sont toujours restés méfiants par rapport à cet univers virtuel immersif. Trop de données récoltées pour pouvoir créer votre avatar dans le métavers, un accès perçu comme complexe et coûteux… Il faut aussi disposer d’une très bonne connexion Internet et investir dans un casque à réalité virtuelle à plusieurs centaines d’euros. Autre argument qui va à l’encontre d’une adoption rapide de cette nouvelle technologie : ces mondes virtuels sont bien trop vides et proposent encore peu d’activités réellement intéressantes. L’interactivité, elle, est mal ficelée et reste très empruntée quand elle a lieu. C’est une autre culture, à laquelle les gens ne sont pas habitués. La tâche s’annonce donc ardue.
Un peu tôt pour annoncer la mort du métavers
Mais il serait sans doute audacieux de déclarer dès à présent la mort du métavers. Certains projets continuent à se développer, comme Roblox. Cette plateforme de cloud gaming continue à gagner des utilisateurs. Elle compte 66,1 millions d’utilisateurs actifs au premier trimestre 2023, en hausse de 22 % par rapport à l’an dernier à la même période. Et sa monnaie numérique, le Robux, qui permet d’acheter des bonus, des accessoires ou des vêtements virtuels, est un succès. Roblox a ainsi enregistré 774 millions de dollars dépensés dans son métavers sur les trois premiers mois de l’année.
Comment expliquer cette exception ? Le succès de Roblox repose notamment sur sa capacité à embarquer ses utilisateurs avec lui en leur donnant les clés pour créer eux-même leur univers virtuel ainsi que des jeux. À l’instar de Fortnite, Minecraft ou encore Sandbox, ces jeux vidéo dans un monde virtuel continuent donc à se déployer et à croître.
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Deloitte, cabinet d’audit et de conseil, a publié une analyse assez optimiste en mai 2023. Malgré les récents revers du métavers, il estime qu’il pourrait représenter un marché de 3 600 milliards de dollars d’ici 2035. Malgré ChatGPT, malgré des premiers essais peu concluants, le métavers pourrait donc encore se réinventer. Même Meta n’a pas totalement baissé les bras. Certes, les équipes sont bien plus restreintes et les budgets serrés, mais Mark Zuckerberg ne veut pas se résoudre à abandonner totalement ce projet. Et peut-être que le casque d’Apple – qui pourrait être présenté début juin – changera totalement la donne en matière de réalité virtuelle, sonnant l’avènement d’un nouveau cycle pour le métavers.