Entretien

Louise Brévins : une plongée dans la “puterie” pour abattre les préjugés

28 avril 2023
Par Léa Boisset
Louise Brévins a publié le 12 avril 2023 “Pute n'est pas un projet d'avenir” aux éditions Grasset.
Louise Brévins a publié le 12 avril 2023 “Pute n'est pas un projet d'avenir” aux éditions Grasset. ©Billion Photos/Shutterstock

Dans son livre Pute n’est pas un projet d’avenir, paru le 12 avril chez Grasset, Louise Brévins témoigne du métier de prostituée, qui a été le sien durant plusieurs années.

Pute n’est pas un projet d’avenir est un livre qui s’attèle à défier les idées reçues, comme celle affirmant que la prostitution serait de l’argent facile, et qui dénonce, un peu malgré lui, l’hypocrisie de l’État (études non représentatives, tares en matière de légalisation, manque d’encadrement des nouvelles formes de prostitution), l’aveuglement et le moralisme bourgeois. À l’occasion de sa parution, il y a quelques semaines en librairies, L’Éclaireur a rencontré son autrice, Louise Brévins.

Dans quel genre s’inscrit votre ouvrage ? Sont-ce davantage des mémoires, ou bien un essai ?

Je pense que c’est un témoignage. Je raconte ce qui m’est arrivé à moi et la façon dont je l’ai vécu. Je sais que cela ne peut pas être transposable à toute et tous, je ne donne pas une vérité universelle, c’est vraiment la mienne. C’est ce qui a été ma réalité, ma vérité. Je ne l’ai pas assez documenté et sourcé, je ne me suis pas assez renseignée pour que ce soit un essai, même si je m’appuie parfois sur des chiffres d’études ou des faits de société, comme les « Dubaï Porta Potty » [ndlr : scandale impliquant plusieurs personnalités de la télé-réalité françaises accusées en 2022 de s’être livrées à des activité d’escort-girl à Dubaï].

« Personne ne dit “prostituée”. Le mot “pute” a quelque chose de plus tranchant, de plus dense, de plus sincère. »

Louise Brévins

Pourquoi ce terme de “puterie”, qui dit déjà quelque chose du ton franc de votre livre, plutôt que celui de “prostitution” ?

J’utilise les mots “putes” et “puterie” parce qu’ils sont plus vrais. Pour moi, “prostitution” est un mot de politiciens, de cul-bénis ou de journalistes. Dans la vie courante, tout le monde utilise le mot pute. On parle d’un “fils de pute”, d’un “coup de pute” ; personne ne dit “prostituée”. Le mot “pute” a quelque chose de plus tranchant, de plus dense, de plus sincère. Il y a “puterie” dès qu’il y a une rémunération pour une prestation sexuelle.

Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez décidé d’écrire sous pseudonyme ?

Il y a plusieurs raisons. Pour commencer, je sais parfaitement de quelle façon la société considère la puterie. Les gens qui lisent le livre généralement comprennent, mais le problème, ce sont ceux qui donnent leur avis sur le livre et la puterie sur les réseaux, dans les médias, sans l’avoir lu. Je voulais me protéger de cette masse qui juge, qui m’impacte beaucoup, et ne pas avoir à reprendre une par une les bêtises des gens. Ensuite, je ne voulais pas que ça impacte l’entreprise que j’ai lancée, et que dès que l’on tape mon nom sur Google, on voit du “pute” partout. Cela aurait été un frein au développement de ma boîte. Lorsqu’une fille dit qu’elle a été pute, dans l’esprit des gens, elle passe dans une case et ne pourra jamais en sortir.

À lire aussi

Elle est catégorisée pute pour toujours, même si elle ne l’est plus. On n’imagine pas qu’une pute puisse devenir autre chose. Emma Beckers a eu du courage d’écrire sous son vrai nom, mais elle est écrivaine. Moi, écrivaine, ce n’est pas mon métier. Je ne peux donc pas me payer ce luxe. Évidemment, la première des raisons pour laquelle j’ai écrit sous pseudonyme, c’était pour protéger ma fille. Elle va entrer au collège, et ce n’est pas un âge – 11 ans – pour la plonger dans ces questionnements d’adulte. Si elle avait été toute petite, ou si elle avait eu 20 ans, j’aurais pu le faire, mais elle est dans cet âge médian, en plein développement. Je n’ai pas envie que ça la traumatise. Et enfin, pour ne pas envoyer mes beaux-parents au cimetière, parce que je pense qu’ils auraient fait un infarctus !

Avez-vous écrit ce livre bien après avoir vécu ce que vous y racontez ?

J’ai écrit ce livre juste après avoir arrêté, et en cinq jours. Les deux dernières années, j’étais déjà en train de monter un projet professionnel, et j’étais tellement accaparée par ce projet que ce que j’avais vécu peu à peu s’effaçait, la puterie s’éloignait. Je savais que si je ne notais pas tout, tout de suite, je ne serais plus en mesure de l’écrire. Aujourd’hui, un an plus tard, je serais en effet incapable d’écrire ce livre. Il fallait le faire tant que c’était frais dans ma mémoire, tant que j’avais encore ces sensations dans le corps.

« Je ne me décrivais pas escort girl pour minimiser la puterie. Ce livre, c’est vraiment la plus pure extraction de la pensée que j’avais alors, et que j’ai toujours. »

Louise Brévins

Portez-vous un regard différent aujourd’hui par rapport au moment de l’écriture ?

Ce qui fait la force du texte, c’est peut-être le fait qu’il a été écrit à chaud. C’est aussi sans doute pour cela qu’on me dit qu’il est écrit au vitriol. Cette immédiateté suppose je n’ai pas analysé après coup, et que je le faisais déjà pendant. C’est tout ce que j’avais compris durant ces années que j’ai mis sur papier. J’étais déjà consciente de ce qui était drôle ou de ce qui était tordu dans ce que je vivais. Il n’y a rien que je perçoive aujourd’hui d’une façon différente : j’ai toujours eu du recul et une clairvoyance lorsque j’étais dans ma situation. Je ne me décrivais pas escort girl pour minimiser la puterie. Ce livre, c’est vraiment la plus pure extraction de la pensée que j’avais alors, et que j’ai toujours.

N’y a-t-il pas une oscillation entre la volonté d’assumer le travail de prostituée, de dénoncer l’hypocrisie de la société, et le fait de toujours espérer une sortie de cette condition ?

Oui, il y a bien ce double aspect. Je voyais la sortie de la condition de pute comme un idéal. Mais il est vraiment difficile d’arrêter le métier de pute, parce que cela suppose de changer drastiquement de mode de vie, paradoxalement pour un moins bon. On ne voit pas forcément cette sortie comme un idéal au départ, quand on sait que l’on va passer de 4 000 balles par mois à 1 000. Sauf que l’on sait que pour pouvoir en sortir, il faut sacrifier ce revenu, devenu une habitude. Le vrai risque de la puterie, c’est d’y rester. C’est le problème des étudiantes qui commencent. Elles font de longues études, à la fin desquelles on leur propose un salaire minable, et elles préfèrent alors choisir la puterie. Avant de se rendre compte, à 40 ans, qu’elles se retrouvent sans aucune solvabilité financière, avec un trou de plusieurs années sur leur CV qu’elles ne pourront pas justifier. Lorsque l’on sait la volonté, le courage que cela demande d’arrêter, oui, on peut considérer la sortie de la puterie comme un idéal à atteindre.

À lire aussi

Et en même temps, j’essaie de dédramatiser ce travail, parce que, comme je le répète, et même le martèle, la société condamne cette activité avec beaucoup plus de sévérité que l’activité n’est condamnable en elle-même. Il n’y a rien de mal. Il n’y a rien de plus moralement condamnable dans ce travail que dans celui d’un psychologue ; une société ne peut pas songer à se passer de putes, de même qu’elle ne peut pas songer à se passer de ses médecins ou aide-soignants. Je ne sais pas pourquoi on l’a tant dramatisé en France, contrairement à l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas. 

À partir de
19€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Il faut aussi dédiaboliser les clients. La société fait l’aveugle. Les gens pensent que les hommes qui vont voir des putes sont une minorité : ils seraient bien surpris. Dans un monde où l’on se jette sur le premier business rentable venu, voilà un domaine où il y a plus de demande que d’offre. Alors même que les filles qui se prostituent sont très nombreuses. Pour moi, les chiffres annoncés officiellement sur la prostitution sont ridicules. C’est terrible de voir toutes ces femmes persuadées, qui ont commenté mon livre, qui se disent : “Mon frère ? Mais non, il ne ferait jamais une chose pareille ! Mon fils ? C’est pas du tout son genre. Mon père ? Il a passé l’âge. Mon mari ? Non, je le connais quand même“ et qui se trompent.

Pouvez-vous nous parler de l’humour, voire de la provocation, qu’on trouve dans le livre ? Je pense aux parties sur “50 nuances de queues”, à l’annonce du ciré jaune déposé par un client, ou au portrait des hommes peints en francs imbéciles.

Pour commencer, la majorité des hommes pense que tu fais cela par amour de la queue. Du délire ! Et pire, il y a des clients qui conscientisent le fait que les putes le fassent par besoin, mais qui, lorsqu’il s’agit de “leur pute” à eux, ne sont pas capable de l’imaginer. Ils se disent toujours :“Moi j’ai trouvé la fille qui aime ça.” Ce qui est extraordinaire dans la puterie, c’est que tu penses avoir tout vu, mais qu’il y a toujours des clients qui arrivent à te surprendre… Ce qui me faisait le plus rire, c’était l’ego masculin, les hommes qui se prenaient excessivement au sérieux. Tous ces gars qui t’écrivent pour se décrire très intelligent, bel homme…

« Ce qui est extraordinaire dans la puterie, c’est que tu penses avoir tout vu, mais qu’il y a toujours des clients qui arrivent à te surprendre… »

Louise Brévins

Tu te dis, c’est dingue, comment arrivent-t-ils à nourrir cet ego phénoménal, nous qui avons tant de complexes sur nos corps et notre légitimité. En plus, 99 fois sur 100, il avait un physique absolument quelconque. L’amour démesuré que certains portent à leur queue, ça aussi, ça me faisait mourir de rire. C’était si drôle que parfois, je faisais des compils à mes potes ou à mon mec. Je me souviens ce mec de 30 ans, homme d’affaires, barbe de trois jours, si sérieux, avec une cheminée design dans son salon, qui m’avait préparé un verre de vin à mon arrivée, et qui, une demi-heure plus tard, me suppliait en extase “Mets-moi un doigt dans le c** s’il te plaîîît” ; tu restes dans ton rôle, mais tu as envie d’éclater de rire. L’humour n’est pas une manière de dédramatiser le récit, c’est véritablement une des façons dont j’ai vécu les choses. Et je n’ai pas du tout cherché à être provocante, si les phrases sont un peu crues, c’est que c’est la façon dont je parle dans la vraie vie.

Couverture du roman Pute n’est pas un projet d’avenir. ©Grasset

Dès la dédicace, vous affirmez que “Rien n’a été inventé, rien n’a été romancé”. Quand vous dites que vous écrivez sans romancer, n’est-ce pas davantage sur le plan des événements que sur celui du style ?

La qualité du texte, c’est une chose à laquelle je tenais absolument. Pute, d’accord, mais qui sait écrire ! J’ai donc travaillé la fluidité. Quand je dis que je ne voulais pas romancer la puterie, c’est que je ne voulais pas l’esthétiser, la rendre “romantique”. Par exemple, le roman d’Emma Beckers, qui recréait le bordel du XIXe siècle que peignent Toulouse Lautrec, Maupassant ou Brassens, poétise la puterie, ce qui n’est pas du tout ma réalité. Une journaliste m’a demandé si les screen reçus par les clients que j’ai mis à la fin de l’ouvrage ont été retravaillés, exagérés. La réponse est non. Je les ai écrits tels qu’ils m’ont été envoyés ; j’ai vraiment cherché dans ce livre à être au plus proche de la vérité.

Pute n’est pas un projet d’avenir, de Louise Brévins, Grasset, en librairie depuis le 12 avril 2023.

À lire aussi

Article rédigé par