En 2023, le magazine Fisheye fête ses dix ans. À cette occasion, la rédaction de L’Éclaireur, en partenariat avec le bimestriel dédié à la photographie contemporaine, a décidé de mettre un coup de projecteur sur les projets d’artistes publiés dans les pages du magazine. Pour ce premier portrait, lumière sur Lucie Hodiesne Darras.
Fortes de leur devise « raconter, inspirer, révéler », les équipes du magazine Fisheye ont à cœur de partager avec leurs lecteurs et lectrices des séries de clichés aux histoires singulières, et ce, depuis maintenant une décennie. Pour fêter l’événement, la rédaction de L’Éclaireur a décidé de faire le portrait des photographes mis en avant dans le magazine. Pour inaugurer ce nouveau format, coup de projecteur sur Lucie Hodiesne Darras et sa série Lilou, à découvrir entre les pages du Fisheye n°58.
En 2018, alors étudiante en deuxième année à l’école des Gobelins à Paris, Lucie Hodiesne Darras entame un projet touchant qu’elle consacre à son frère Antoine, atteint de troubles du spectre de l’autisme. Au fil de cette collaboration au long cours, la photographe documente avec bienveillance le quotidien parfois complexe de celui que sa famille surnomme Lilou, comme l’héroïne du Cinquième Élément (1997) de Luc Besson.
Un autre regard sur le handicap
Avec la sensibilité qui la caractérise, l’artiste française nous sensibilise ainsi à notre tour au handicap et ouvre de nouvelles perspectives. En faisant fi des trop nombreux clichés qui gravitent souvent autour de l’autisme, elle offre une alternative aux représentations actuelles, limitées pour l’essentiel au syndrome d’Asperger et à l’idée selon laquelle celles et ceux qui en sont atteints seraient nécessairement surdoués. Qu’importe leur nature, les préjugés demeurent une source de stigmatisation qui fait généralement barrière à l’inclusion de celles et ceux qui en sont victimes.
Au-delà du message qu’elle dispense, Lucie Hodiesne Darras propose un regard tout autre sur le handicap. Intimes et humanistes, ses portraits bruts matérialisent une vision artistique encore rarement apposée sur un tel sujet. Tandis que les nuances monochromes semblent se concentrer sur l’essentiel, sur les diverses émotions qui animent son grand frère, son approche se distingue par l’optimisme qu’elle porte en elle.
Avec Lilou, Lucie Hodiesne Darras signe une série aussi nécessaire que poignante, qui nous émeut et qu’il convient désormais de partager. Cette lettre d’amour, écrite en images pour son aîné, fait d’ailleurs l’objet d’un bel ouvrage, paru cette année aux éditions Fisheye.
Comment définiriez-vous votre univers ?
Pour décrire mon univers, j’aimerais l’associer à plusieurs inspirations. Ma galaxie photographique est composée des portraits de Diane Arbus, d’Anton Corbijn ou de Dennis Stock. De portraits de personnes singulières au regard qui incarne une fureur de vivre. Elle est aussi picturale à sa manière. Dans la lumière des tableaux de Vincent Van Gogh ou le clair-obscur de ceux de Caravage, avec la présence de symboles iconiques. Les photographies de Sarah Moon, impalpables et pourtant si manifestes, par l’énergie qui s’en dégage. Cette galaxie est également composée de plans cinématographiques et de narrations filmiques. De musicalité photographique et de photographies sonores. Une galaxie à plusieurs systèmes solaires artistiques.
Quel est votre rapport à l’image ? À quoi sert la photographie selon vous ?
La photographie est, à mes yeux, une forme d’ambassade pour des choses qui nous tiennent à cœur. Par l’image, on peut exprimer énormément de choses et transmettre là où les mots parfois ne suffisent pas. C’est, à mon sens, une manière de faire pénétrer le spectateur dans un univers. De lui apporter un nouveau regard sur un sujet, une problématique. L’image est omniprésente dans notre société aujourd’hui et le cerveau humain s’en nourrit constamment pour se projeter, pour visualiser, pour comparer, pour s’intéresser, pour se tenir au courant de l’actualité. Je me dis que l’enjeu de la photographie réside aussi dans cette problématique.
Qu’avez-vous appris grâce à la photographie ?
Longtemps, j’ai vu mon hypersensibilité et mon empathie comme une faiblesse. J’avais l’impression de ne pas être assez forte, d’être trop émotive parce que la moindre chose pouvait m’impacter et, à l’école primaire, les enfants le savaient. Je faisais partie des brebis apeurées qui auraient tout fait pour se faire accepter. Mais la photographie m’a justement fait comprendre que ces deux traits de personnalités pouvaient être une véritable force. Ils m’ont permis non seulement de trouver ma voie, de pouvoir m’exprimer par la fibre artistique, mais peut-être aussi, je l’espère, toucher les autres en photographiant des choses qui me tiennent à cœur, qui me transcendent. La photographie a peut-être, de ce fait, été et est toujours thérapeutique pour moi. Elle est mon chemin vers une résilience.