Incompris, parfois même diabolisé, le jeu de rôle n’a pas toujours été vu d’un bon œil. Aujourd’hui, tout un étage lui est réservé au Festival international des jeux de Cannes, et la référence du genre, Donjons & Dragons, a même été adaptée en film. Envie de faire une partie ? Il vous faudra un maître de jeu.
S’imprégner d’un univers geek ultracomplexe, se torturer le cerveau pour calculer des points de vie, passer des heures à imaginer des personnages originaux… Tout cela freine peut-être votre envie de devenir maître de jeu (MJ). Bonne nouvelle : rien de tout cela n’est nécessaire. En atteste Michaël Croitoriu, chef de studio chez Edge Studio, la branche dédiée aux jeux de rôle (JdR) de l’entreprise Asmodee, leader du jeu de société français. Rôliste depuis 40 ans, il nous a confié ses secrets.
La boîte d’initiation, une porte d’entrée dans le jeu
« Devenir MJ peut être assez intimidant : on peut penser qu’on est responsables de l’entière réussite ou de l’échec total d’une partie, explique-t-il. Mais ce n’est pas du tout le cas ! Une partie de jeu de rôle, c’est tout un groupe autour d’une table. » Un groupe dont le meneur de jeu est, avant tout, l’arbitre. Une préparation s’impose donc. Pour se lancer, le MJ va devoir apprendre et comprendre les règles et se familiariser avec l’histoire.
Pas de panique ! Nul besoin de s’isoler des jours, tel un hobbit dans son trou. « On pourrait très bien faire une partie en improvisation totale, concède Michaël Croitoriu. Mais c’est quelque chose de très impressionnant pour un novice. Généralement, le premier chemin vers le jeu de rôle se fait avec une boîte d’initiation, qui permet de jouer au bout de quelques heures seulement. »
Ce coffret imaginé autour d’un univers fantastique préexistant coûte entre 30 et 50 euros. À l’intérieur, il y a tout le matériel nécessaire : des scénarios pré-écrits, les règles, l’écran de maître (un accessoire servant à masquer certaines informations aux joueurs et joueuses), les dés… « Dans un premier temps, il vaut mieux lire le scénario, puis se familiariser avec les règles, ce qui est un peu plus barbant », reconnait le rôliste.
Maîtriser le scénario, les règles et les fiches personnages : un jeu d’enfant
Une fois l’histoire et les règles du jeu maitrisées, le MJ en herbe doit se pencher sur les héros peuplant son univers. « Dans une boîte d’initiation, il y a toujours des fiches personnages. Ils sont déjà imaginés, avec toutes leurs caractéristiques », précise Michaël Croitoriu. Pour aller plus loin, il suffit d’acheter le livre de base correspondant à l’univers souhaité (pour 50 euros environ), et proposant un scénario plus long et complexe.
« À partir de là, on peut créer ses propres personnages, et même ses propres aventures », raconte le professionnel. Le livre de base propose aussi des exemples de protagonistes précis, accompagnés de modes de calcul des points de vie, d’endurance, et d’autres caractéristiques spécifiques.
Selon l’univers, on retrouve différents archétypes, définissant les attributs des personnages. « Souvent, on choisit son espèce : dans Star Wars : le réveil de la Force, par exemple, on peut être Pantoriens, Mon Calamari, Corellien… Ensuite, on définit sa classe ou son métier : contrebandier, Jedi… », récite Michaël Croitoriu.
L’univers n’a plus de secret pour vous, le scénario est maîtrisé, les règles sont connues sur le bout des doigts et les personnages sont nés. Dernière étape avant l’immersion : réunir des joueurs et joueuses. Michaël Croitoriu conseille de débuter avec un groupe de trois à quatre personnes, et de mettre en place des parties courtes.
Les boîtes d’initiation proposent des histoires durant entre une heure et demie et deux heures. Dans un premier temps, connaître ses camarades rôlistes est un plus. « La première question à se poser, c’est celle de l’univers et de celui qui pourrait le plus plaire aux joueurs et joueuses », affirme le spécialiste.
S’ils et elles apprécient l’heroic fantasy, le connaisseur conseille L’Anneau unique, le kit « Essentiel » de Donjons & Dragons. Et pour les fans d’univers futuristes, mieux vaut selon lui se tourner vers le kit d’initiation Star Wars : le réveil de la Force. Autre option : la boîte D-Start, qui regroupe dix courts scénarios indépendants, pensés pour les grands débutants.
L’atout du bon MJ : la communication
Qu’importe le jeu, la partie doit toujours commencer par une discussion introductive, selon Michaël Croitoriu : « Il est important de préciser à quelle époque on se trouve, dans quel univers, d’expliquer les règles, le jeu en lui-même, de parler des personnages… Et, surtout, de mentionner le fait que c’est notre première partie en tant que MJ ! » Un moyen de se rassurer : si des erreurs sont commises, l’équipe pourra trouver des solutions et le jeu se poursuivra.
L’ultime indication à communiquer avant de lancer la partie concerne d’éventuels passages violents ou effrayants. « C’est une bonne chose que le MJ puisse annoncer la couleur, pour vérifier que ça convient à tout le monde. Si certaines personnes sont mal à l’aise, on peut décider de faire des ellipses, comme dans n’importe quelle histoire. »
Quand le contrat social est posé, la narration peut commencer. Nul besoin d’être un acteur ou une actrice né(e) : selon le passionné, la communication et l’écoute respective sont les seuls éléments nécessaires à une partie réussie.
Il faut, par exemple, que le MJ arrive à bien différencier les moments où il parle en tant que personnage secondaire ou en tant qu’ennemi, et les instants où il donne des indications en tant que meneur de jeu. Son rôle est également de vérifier que la parole soit donnée équitablement à chaque joueur et joueuse.
« Il doit raisonner en tour de table, se demander qui il n’a pas entendu depuis longtemps, détaille Michaël Croitoriu. Il ne faut pas hésiter à poser des questions : la clé, c’est de parler. » L’expert ajoute que « pour améliorer l’immersion, une chose est importante : écarter les téléphones portables ». Bien sûr, l’ambiance peut être rendue plus réaliste avec de la musique, des costumes ou des accessoires… Mais rien de tout cela n’est obligatoire.
Créativité, improvisation et antisèches
En fait, il est même important de se souvenir que le jeu de rôle ne comporte aucune obligation. « On est simplement en train de passer un chouette moment, on est là pour s’amuser, c’est tout ! », sourit Michaël Croitoriu. Pour ne pas se laisser vaincre par le stress, le MJ professionnel partage son secret : les antisèches.
« Il faut toujours se prévoir des béquilles. En ce qui me concerne, j’ai du mal à inventer des noms à la volée. Donc je me prépare, à chaque fois, une liste de noms ». Résumé des règles, idées de répliques, mémo… Tout est permis ! « Et même si on s’interrompt en plein jeu pour préciser une règle, il n’y a rien de grave », assure-t-il.
Il est difficile d’improviser quand on débute, mais savoir s’adapter aux situations est la clef pour devenir un bon MJ. « Le but du jeu, c’est de ne pas de frustrer les personnes autour de la table. Les joueurs expérimentés ont du mal avec les scénarios ultradirigistes », confirme le rôliste. Quand un joueur ou une joueuse s’éloigne du scénario, le maître de jeu doit faire preuve de souplesse et de créativité.
« Imaginons que nous sommes en face de deux portes : les personnages ne prennent ni l’une ni l’autre, mais veulent défoncer le mur, se projette Michaël Croitoriu. On peut décider que la salle derrière une des deux portes est un peu plus grande que prévu, et les faire déboucher dans cette même pièce. » Au final, le MJ joue ce qu’il avait prévu, les joueurs et joueuses sont ramenés sur les bons rails, et personne ne s’est rendu compte du changement.
Le but du jeu : la bienveillance
Michaël Croitoriu insiste sur un point : le MJ est totalement libre. « Il peut construire son univers comme il le souhaite, en s’adaptant à chaque instant. Il peut modifier les choses, tricher sur les règles pour favoriser quelqu’un… C’est un pouvoir dont il ne faut pas abuser, et qui doit être utilisé pour créer du lien. Le but, c’est que tout le monde s’amuse, et pour cela, tous les outils sont bons ! »
Pour que tout le monde s’amuse, y compris le MJ, il est important de retenir que ce dernier a le droit de faire des erreurs. « Une table de jeu doit d’abord être une bulle de bienveillance. On n’est pas là pour se juger, ni pour passer une compétition ! Le jeu de rôle, avant toute chose, c’est un jeu coopératif. On est une équipe, on a un but commun, et chaque personne prend part à la réussite… » Alors pourquoi pas vous aussi ?