Première étape du retour en force opéré par la franchise Yakuza, Like a Dragon : Ishin! nous emmène dans une période mouvementée de l’histoire japonaise, à l’époque des grands bouleversements et de l’ouverture sur le monde extérieur. Un épisode inédit en Occident, complètement retravaillé pour l’occasion.
L’actualité de la série de jeux Yakuza est bouillante depuis quelques mois. Alors que tous les yeux sont rivés sur un huitième épisode qui a mis le net en ébullition rien qu’avec sa promesse de sortie en 2024, bien d’autres projets gravitent autour de la licence. Officiellement renommée Like a Dragon partout dans le monde, la franchise Yakuza a su trouver sa place, quelque part à la croisée d’un Shenmue et d’un GTA (Grand Theft Auto).
Ses caractéristiques les plus représentatives sont, d’une part, sa recréation de quartiers japonais qu’il nous est donné d’arpenter en toute liberté et, d’autre part, ses emprunts au folklore relatif à la mafia japonaise, fortement influencés par les films de genre comme Combat sans code d’honneur de Kinji Fukasaku, et bien d’autres.
Depuis ses débuts en 2005, la série des jeux Yakuza a aussi su peaufiner sa formule, enchaînant les épisodes ancrés dans le quartier de Kamurochô (inspiré du quartier chaud bien réel de Kabukichô) et dans d’autres environnements spécialement recréés pour l’occasion. Mais ce que les fans occidentaux savent moins, c’est que la franchise s’est aussi aventurée par deux fois au cœur du Japon féodal dans des épisodes inédits, dont le fameux Like a Dragon: Ishin! qui nous arrive aujourd’hui grâce à un remake percutant.
Le chaînon manquant de la saga Yakuza
Avec Like a Dragon: Ishin! (mais aussi Ryu Ga Gotoku Kenzan! qui lui a ouvert la voie), on sort enfin du canon de la série pour explorer des facettes nettement plus méconnues de la franchise. Il faut rappeler qu’au moment de leurs lancements respectifs (en 2008 sur PS3 pour Kenzan et en 2014 sur PS3/PS4 pour Ishin), les deux titres n’avaient été distribués ni en Europe ni aux États-Unis.
Cela en faisait déjà une perle rare, connue jusqu’à présent des seuls adeptes de l’import. Une injustice d’autant plus regrettable que Kenzan et Ishin sont encore aujourd’hui les seules incursions de Yakuza dans le registre du jidaigeki (drame historique japonais) qui attire tant le public occidental.
L’arrivée du remake de Like a Dragon: Ishin! ce mois-ci sur de nombreux supports (PS5, PS4, Xbox Series, Xbox One, PC) est donc un double événement. Elle va permettre aux joueurs occidentaux de découvrir pour la première fois le chaînon manquant de la franchise, mais surtout d’en profiter dans une version digne d’être qualifiée de remake.
Quand Yakuza revisite l’histoire du Japon
En attendant de savoir si le studio Ryu ga Gotoku réserve un traitement similaire au fameux épisode Kenzan, encore inédit sous nos latitudes, il faut bien garder à l’esprit que les deux titres se situent à des époques bien différentes. Dans le cas de Kenzan, c’était la légende du célèbre samouraï Musashi Miyamoto qui était réécrite à l’époque Edo, en 1605.
Le cadre de Like a Dragon: Ishin! intervient lui beaucoup plus tardivement, pendant les années 1860, au cours des dernières heures du règne des Tokugawa. Le titre du jeu, Ishin, renvoie d’ailleurs à la restauration de l’ère meiji qui verra la remise des pleins pouvoirs à l’Empereur après trois siècles de règle shogunal.
Cet épisode revisite donc, par le prisme de la saga Yakuza, une période charnière de l’histoire du Japon qui correspond à la fin du shogunat (la période du Bakumatsu) et à l’ouverture progressive du pays sur l’Occident. Et, à l’instar des autres chapitres de la franchise, Like a Dragon: Ishin! projette les visages bien connus de la série dans ce contexte historique pour mieux nous faire comprendre l’origine réelle des organisations de yakuzas au Japon.
Il ne s’agit d’ailleurs pas juste d’une transposition des personnages dans le folklore du jidaigeki avec un héros qui manie un katana et porte un haori, la tenue traditionnelle de l’époque. On trouve en effet dans le jeu une vraie volonté de relater l’histoire du pays sans trop la romancer, mais en livrant plutôt une nouvelle perspective qui soit accessible à n’importe quel fan de la série Yakuza. Le titre propose même un filtre graphique pour altérer l’image afin de nous donner l’impression que l’on regarde un film d’époque.
Une figure héroïque de la restauration de Meiji
Like a Dragon : Ishin! s’ouvre sur un événement clé de la période qui mènera à la restauration de Meiji à travers la figure, très célèbre au Japon, de Ryôma Sakamoto. Yakuza oblige, c’est bien sûr le faciès de Kiryû Kazuma qui est utilisé pour incarner son ancêtre, la série en profitant pour explorer la destinée hors norme des personnages ayant marqué l’arbre généalogique du principal héros de la franchise.
De manière analogue, le jeu s’amuse à raviver la mémoire des fans en mettant en scène des individus aux noms qui résonnent dans l’histoire japonaise, empruntant ici des visages très familiers pour les inconditionnels de la série.
C’était d’ailleurs déjà le cas dans Kenzan et la bascule dans une période historique aussi éloignée rend l’exercice très intéressant. Les grands noms de la saga ressuscitent ainsi dans la peau de figures issues d’un lointain passé, et notamment sous les vêtements bleu azur du Shinsen-gumi, une milice très populaire dans le domaine de la pop culture. Et pourtant…
Le Shinsen-gumi : une légende écrite dans le sang
Évoquée dans de très nombreux films (livres, mangas, etc), la manière dont le Shinsen-gumi a marqué l’histoire du Japon a souvent été largement romancée, au détriment de la réalité historique. Elle est ici abordée de manière frontale, puisque Ryôma Sakamoto aura sa part à jouer dans la rébellion des loyalistes opposés au Shinsen-gumi.
Au moment où commence le jeu, le Japon est gouverné depuis 300 ans par le shogunat Tokugawa, mais l’arrivée des vaisseaux noirs annonce la fin imminente de leur règne. Nous sommes en décembre 1867 et le Japon menace de sombrer dans le chaos, tandis que les samouraïs réalisent leur impuissance face à la supériorité technologique des navires étrangers.
Jusque-là totalement fermé à l’étranger et profondément isolationniste, le Japon est donc sur le point de s’ouvrir au monde extérieur en quittant définitivement l’ère Edo et en abandonnant dans son sillage tout ce qui faisait de lui une nation féodale aux codes bien établis.
Il s’agit clairement d’une période très sombre du pays qui n’est aucunement édulcorée dans le jeu, d’autant que notre personnage va se retrouver lui-même dans les rangs du Shinsen-gumi pour assister de l’intérieur aux complots et aux règlements de compte sanglants qui gangrènent l’organisation.
Dans Like a Dragon: Ishin!, c’est donc une figure clé de la restauration de meiji, Ryôma Sakamoto, qui est au cœur des événements de l’intrigue, à travers une histoire de vengeance dont l’enjeu principal est l’abolition du système de castes.
Les Loups de Mibu, la réalité derrière la fiction
Officiellement responsable de la sécurité de Kyoto pendant la période du Bakumatsu, la milice du Shinsen-gumi fascine autant qu’elle effraie. Elle était essentiellement composée de rônin (samouraïs sans maître) et fut tristement connue sous le surnom de Miburo (« les loups de Mibu »). Pour mieux comprendre l’image que véhicule aujourd’hui le Shinsen-gumi, nous ne saurions que trop vous conseiller de vous tourner vers le manga Mibu Gishi Den, lancé ce mois-ci chez Mangetsu en français.
Publiée en 2014 au Japon, cette œuvre est le point d’orgue de 50 ans de carrière pour le mangaka Takumi Nagayasu, d’après un roman de Jirô Asada. Il raconte comment son héros, qui était l’une des plus fines lames de la milice du Shinsen-gumi s’est déshonoré aux yeux de tous en fuyant le champ de bataille.
Car le protagoniste (Kan’ichirô Yoshimura) est un déserteur : un guerrier renégat qui a renié son allégeance en devenant un rônin. Mais, las de faucher des vies, celui que l’on surnommait « l’égorgeur » se bat en réalité pour l’amour des siens. Selon ce manga, moins de guerriers du Shinsen-gumi seraient morts au combat qu’en s’ouvrant le ventre par « seppuku » après avoir commis une entorse au règlement sévère de la milice. Et c’est précisément cette terreur-là qu’utilisait le Shinsen-gumi pour se faire respecter de ses propres membres et qui le rendait aussi redoutable !
Dans Like a Dragon: Ishin! également, les atrocités commises par le Shinsen-gumi sont mises en lumière. Non seulement le jeu nous permet d’infiltrer l’organisation pour comprendre à quel point elle était gangrenée de l’intérieur, mais il ne rate surtout aucune occasion de souligner les exactions commises par ses membres, qui pourfendaient quiconque osait les regarder de travers.
Sous couvert de maintenir l’ordre, le Shinsen-gumi était en réalité un groupe d’assassins redoutés de tous qui ferait passer les organisations de yakuzas à venir pour des enfants de chœur ! La trahison étant évidemment punie de mort, c’est donc à un jeu dangereux que joue notre personnage en infiltrant leurs rangs. Ishin a donc le mérite de s’appuyer sur des faits réels pour développer son propre récit écrit dans le sang.
Et sa recette fonctionne d’autant mieux qu’elle emprunte de très nombreux visages aux protagonistes et antagonistes ayant marqué les principaux épisodes de la franchise, comme nous l’avons déjà évoqué. Certains n’interviennent que par le biais de cartes qui représentent des soldats que l’on peut recruter pour nous épauler en combat, mais les inconditionnels de la franchise ne manqueront pas d’apprécier ces innombrables clins d’œil.
Un retour aux sources qui tranche dans le vif
Like a Dragon : Ishin! nous donne l’opportunité de redécouvrir les ingrédients de la saga Yakuza à travers le prisme du drame historique. Muni de katanas et d’armes à feu, le protagoniste y apparaît plus charismatique et imposant que jamais, même si le remake ne parvient pas totalement à nous faire oublier que le titre original remonte à 2014.
Le travail de dépoussiérage est très propre et les combats prenants, mais la structure même du jeu, avec ses innombrables allers-retours, trahit un gameplay quelque peu daté. Tout y est pourtant recréé avec l’envie de proposer aux joueurs un maximum de diversité dans les activités offertes au-delà du scénario principal, dans des minijeux aussi délirants qu’efficaces.
On ne peut pas faire un pas devant l’autre sans tomber sur une mission annexe et autres occasions de se divertir en marge de l’aventure, exactement comme dans les autres volets de la saga. Les heures de jeu se comptent par dizaines et les combats profitent d’un même souci du détail qui incite à tout personnaliser.
La forge et la gestion des bataillons placés sous nos ordres n’en sont que deux éléments parmi d’autres, le plus appréciable étant l’accès à quatre styles de combat qui se développent chacun de manière indépendante. Le jeu fait d’ailleurs tout pour nous inciter à jongler constamment de l’un à l’autre pour une efficacité redoutable.
On pourra par exemple multiplier les esquives dans le style « danseur endiablé » pour augmenter notre ferveur avant de faire pleuvoir une pluie de coups sur l’ennemi en mode « bagarreur », ou montrer nos talents de « tireur d’élite » à l’arme à feu pour achever les adversaires les plus résistants avec le style « bretteur ».
Tous les styles sont réellement indispensables pour espérer s’en sortir et la manière dont ils se développent au travers de nouvelles aptitudes relance constamment l’intérêt des combats. Et, comme si ce n’était pas suffisant, le jeu nous invite aussi à préserver notre vertu en jouant les bons samaritains dans le Kyoto de l’époque, sans oublier d’entretenir un petit lopin de terre loin de l’agitation de la ville. Alors, êtes-vous prêt à basculer dans le Japon de la modernité ?