Critique

Abondance, de Jakob Guanzon : le cauchemar américain

28 janvier 2023
Par Sophie Benard
Jakob Guanzon est l'auteur du roman “Abondance”.
Jakob Guanzon est l'auteur du roman “Abondance”. ©DR

[Rentrée littéraire 2023] Fort du succès critique qu’il a rencontré à sa parution aux États-Unis, le premier roman de Jakob Guanzon est paru dans sa traduction française le 11 janvier dernier.

Le Guardian parle d’une œuvre « phénoménale », le New York Times d’un « coup de poing » ; quant au New Yorker, il qualifie Abondance (La Croisée) de « roman moderne de l’exploitation et de l’injustice sociale ».

Le roman de Jakob Guanzon s’ouvre le jour de l’anniversaire de Junior, que son père Henry fête avec lui en lui offrant le menu de son choix dans un McDonald’s. C’est « pathétique », « bas de gamme » et « vulgaire », mais c’est tout ce qu’il peut se permettre. Car Henry et son fils de 8 ans sont des laissés pour compte de la société américaine. Ils dorment, mangent et se lavent dans leur pick-up, le « fidèle F-250 », dont le plateau « paraît bosselé à cause de tous les sacs poubelles de 90 litres remplis de vêtements. »

Henry a été un « banal gamin en colère incapable de se contrôler », un « petit con automédicamenté et auto-apitoyé avec une mère morte et un connard de père immigré ». Depuis, il a perdu tout ce qu’il avait réussi à obtenir – son toit, sa vie de famille, ses projets. Et les cinq années qu’il a passées en prison dans sa jeunesse l’empêchent désormais d’obtenir le moindre travail, puisqu’il est condamné à les indiquer dans « la dernière catégorie de tous les formulaires de candidature ».

« L’espoir, c’est peut-être trop demander mais du confort, ça semble raisonnable. »

Jakob Guanzon
Abondance

Alors, il passe le plus clair de son temps à compter, à sortir de ses poches les quelques dollars qui s’y trouvent, pour réfléchir à la façon dont ils peuvent lui permettre de finir la semaine – ou la journée. Essence ou chargeur de téléphone ? Déodorant ou repas complet ? C’est sur ses questions que le rêve américain s’écroule et dévoile son terrible pendant d’alcool, de drogues, de précarité, de malnutrition et de maladie.

Dans un roman naturaliste qui évoque les plumes de Douglas Stuart (Shuggie Bain, 2020) ou de David Joy (Ce lien entre nous, 2020, Nos vies en flammes, 2022), Jakob Guanzon dresse ainsi le portrait d’une Amérique aussi miteuse qu’impitoyable. On traverse avec Henry et Junior les lieux de désolation que sont les parkings des centres commerciaux et des fast food, les motels minables et les routes délaissées. On se confronte avec eux aux défaillances qui empoisonnent les destins brisés – celles de la sécurité sociale, celles du système de réinsertion.

Abondance, de Jakob Guazon, La Croisée, 2023.©La Croisée

Mais la profondeur de ses personnages complexes et attachants permet aussi à l’auteur de mettre en scène l’infinie tendresse d’Henry pour ce fils qu’il est incapable de protéger comme il le voudrait de sa propre précarité. Jakob Guanzon fait ainsi valser sa plume entre délicatesse et glauque, entre sensibilité et désolation, et livre un premier roman aussi bouleversant que surprenant.

Abondance, de Jakob Guanzon, trad. Charles Bonnot, La Croisée, 336 p., 22 €. En librairie depuis le 11 janvier 2023.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste