Fruit d’un développement chahuté, l’ambitieux Season tombe enfin de l’arbre pour s’offrir à notre verdict. Le jeu de Scavengers tient-il ses promesses d’évasion ?
Season : A letter to the future, de son nom complet, a profité d’une belle mise en avant lors de la cérémonie des Game Awards en 2020. Développé par le jeune studio montréalais Scavengers, Season s’était rapidement montré moins séduisant auprès du grand public.
En cause : de graves accusations de harcèlement et de management toxique formulées à l’encontre du cofondateur du studio, écarté depuis. Une jeune histoire chahutée, donc, qui l’a sans doute poussé à jouer la discrétion avant d’avoir quelque chose de concret à présenter au public.
Nous voilà deux ans et demi plus tard, sur PS5, prêts à enfourcher notre vélo pour découvrir – enfin – de quoi il retourne dans cet intrigant objet vidéoludique.
Test réalisé sur PS5 grâce à un code fourni par l’éditeur.
Une saison pour vivre
On le savait : Season est un jeu narratif très contemplatif. Mais savions-nous seulement à quel point ? Pas sûr. Preuve que le deuxième jeu de Scavengers est un produit de rêveurs, tout démarre par un songe. Celui de Paté (oui…), meilleur ami de notre protagoniste qui, un beau matin, est frappé d’une vision funeste. La saison s’achève.
La belle affaire, pense-t-on d’abord. Mais on comprend bien vite que, dans le monde de Season, saison rime avec « ère », avec « époque » et « génération ». On ne parle pas de solstice qui marquera simplement le retour des oiseaux ou l’arrivée du frimas, mais bien d’une table rase quasi mystique qui efface tout pour mieux rebâtir. Une sorte de cataclysme, si l’on veut, dont on a d’abord bien du mal à saisir les enjeux, il faut l’avouer.
La quête de notre protagoniste anonyme est d’ailleurs tout aussi intangible. Telle une dresseuse Pokémon sur le point de quitter le foyer, elle fait ses adieux à sa mère et à son village natal pour se lancer dans une quête autrement plus noble que la capture de bestioles qui n’ont rien demandé dans le but de les faire combattre : elle a pour mission de consigner l’époque actuelle, la saison en cours, armée de son carnet, d’un appareil photo et d’un magnétophone.
Instrument du souvenir avec un grand « S », nous choisissons une bicyclette parmi les trois disponibles (Pokémon, encore) et l’enfourchons pour sauvegarder le monde tel qu’il se présente à l’aube de sa prochaine révolution. Autant dire qu’il se dégage une certaine mélancolie de ce jeu qui croise de multiples références.
Scrapbooking simulator
Malgré un préambule légèrement pompeux, qui demande au joueur d’être beaucoup trop curieux d’un univers qu’il ne connaît pas, une bouffée d’air frais bienvenue arrive dès lors que l’on dévale le chemin nous éloignant du village de Caro. Bons réalisateurs, les développeurs de Season savent jouer de la caméra. À peine le premier virage franchi que le champ de vision s’élargit, nous laissant admirer la vallée dans toute sa majesté et sa désolation.
Season est un jeu de références. Impossible, en parcourant ces décors, de ne pas penser à The Legend of Zelda : Breath of the Wild, ou peut-être plus encore aux jeux de Fumito Ueda (Ico, Shadow of the Colossus, The Last Guardian). C’est au même genre de spleen solennel que l’on touche ici. Rien ne nous veut du mal, nous ne sommes que témoin des époques passées et, dans une certaine mesure, le curseur d’une page sur le point d’accueillir son point final.
Mais Season n’est pas un monde ouvert. Pas vraiment. Découpée en plusieurs chapitres assez clairement identifiés, l’aventure de notre scribe à grosses lunettes consiste à compiler des souvenirs, des marqueurs qui permettront aux générations futures de comprendre comment vivaient les contemporains de cette époque.
Pour ce faire, on l’a dit, notre arsenal se compose d’un appareil photo télémétrique et d’un vieux magnéto. Libre à nous de nous arrêter tous les trois mètres pour capturer la beauté d’un ruisseau ou le piaillement d’un oiseau au sommet d’un arbre. Scavengers ne pose aucune limite à notre créativité et encourage même à noircir les pages de notre fidèle carnet d’autant d’éléments qu’on le souhaite. Amateurs et amatrices de scrapbooking, vous allez vous en donner à cœur joie.
Les amis que l’on se fait en chemin
Quelques énigmes très simples parsèmeront notre découverte de ce monde sur le point de s’éteindre, mais tout est fait pour qu’aucune friction ne vienne nous freiner dans notre élan. Les développeurs le répètent à qui veut l’entendre : Season est un jeu à parcourir à son propre rythme – si possible en se retenant de maintenir pressée la touche permettant de courir. Il y a tant à découvrir, c’est vrai.
Mais derrière cette bienveillance se cache une évidente réalité : le jeu de Scavengers est un tantinet répétitif. La Vallée de Tieng, zone la plus ouverte du jeu qui nous occupera un bon moment, compte heureusement plusieurs personnages avec lesquels on pourra bavarder un peu dans le but de leur offrir un rôle dans le grand Almanach dont nous avons la responsabilité.
Des histoires courtes et néanmoins touchantes, qui prouvent un certain talent des scénaristes et narrative designers de chez Scavengers pour mettre les bons mots au bon endroit. Dommage que la localisation parfois approximative ne rende pas justice à leur prose.
Le doublage, qui oscille quant à lui entre la bonne surprise (le moine) et le soporifique (notre mère), rend rarement justice à l’intimité de certains passages qui ont pourtant toutes les clés pour nous arracher une larme.
Souviens-toi l’été dernier
C’est d’ailleurs toute la dichotomie un peu maladroite de Season. Le titre a absolument toutes les cartes pour devenir une véritable référence d’un genre initié il y a de ça dix ans par Gone Home, Everybody’s Gone to the Rapture ou Kentucky Route Zero, mais n’arrive jamais à toucher le mille. Il y a systématiquement une imprécision, une marche ratée, un manque d’entrain qui finit par nous rendre imperméable à sa formidable proposition.
Season est également un jeu que je soupçonne d’avoir été amputé d’un contenu beaucoup plus généreux. En témoigne un épilogue qui, au mieux, provoquera un haussement de sourcil.
Parce qu’il fallait bien tenir les délais, parce que les attentes sont hautes et les ambitions plus hautes encore, la réalité a fini par rattraper un studio qui, malgré tout, livre un titre singulier dont on se souviendra. Juste peut-être pas aussi longtemps que Scavengers l’aurait voulu.