Que faire lorsqu’on a déjà conquis la planète entière et marqué plusieurs générations de fans désormais anxieux à l’idée que tout va bientôt se terminer ? Du haut de ses 25 ans de carrière, la saga One Piece s’offre une pause jeu de rôle bien méritée, et ça lui réussit plutôt bien.
Elles se comptent par dizaines, et pourtant, aucune des adaptations du manga One Piece en jeu vidéo n’est parvenue à se hisser à la hauteur de l’œuvre d’Eiichirô Oda. Sous le drapeau de Bandai Namco, les studios de développement japonais ont pourtant tout essayé : combat, action-aventure, batailles à grande échelle, minijeux et même quelques ersatz de RPG (jeux de rôle) cantonnés à leur pays d’origine. Mais aucun n’a réellement marqué les esprits et même ceux qui ont été les mieux accueillis par les joueurs (Pirate Warriors, Unlimited Cruise/World Red ou même Burning Blood et World Seeker) restent à conseiller uniquement aux inconditionnels de la franchise.
Alors, le manga le plus incontournable de ces 25 dernières années va-t-il enfin trouver la forme ludique qui convient à une œuvre aussi inclassable ? Nous allons tenter de vous expliquer pourquoi One Piece Odyssey est loin d’être un énième produit dérivé dispensable et dans quelle mesure il risque de convertir pas mal de monde aux attraits du jeu de rôle au tour par tour.
Le roi du jeu de rôle, ce sera lui ?
En attendant de savoir quel sera le destin de celui qui s’est juré de devenir le roi de pirates (le manga pourrait bientôt arriver à son terme), il faut bien admettre que le terme d’odyssée convient parfaitement au phénomène One Piece. Il y a tellement de choses plurielles dans l’univers de la saga que chercher à la réduire à un genre en particulier est voué à l’échec. Alors, en optant ouvertement pour la formule du jeu de rôle, One Piece Odyssey semble se jeter (encore une fois) tête la première dans un registre beaucoup trop cloisonné pour lui.
Car il s’agit avant tout de parvenir à rendre hommage à la démesure absurde qui caractérise le manga depuis ses débuts. Pourtant, le doute des premières heures de jeu s’estompe progressivement au profit d’un constat évident : non seulement il était temps d’oser un RPG ambitieux dans cet univers, mais c’était aussi probablement la meilleure carte à jouer pour fêter les 25 ans du roi incontestable de la planète manga.
One Piece Odyssey a été conçu comme une véritable madeleine de Proust. Qu’ils aient découvert la série par le manga ou son adaptation animée, les fans doivent y entrer avec la volonté de jeter un regard général sur le parcours incroyable de l’œuvre signée Eiichirô Oda. Un voyage si riche qu’il serait évidemment impossible de le résumer en un seul jeu.
Il s’agit donc d’y plonger avec le désir de se remémorer quelques-uns des moments les plus marquants de l’histoire de Luffy et de ses compagnons. Les quatre arcs narratifs proposés (Alabasta, Water Seven, Marineford et Dressrosa) servent surtout de toile de fond à une aventure qui préfère miser sur une multiplicité de références nostalgiques plutôt que s’éterniser sur des événements que tout le monde connaît.
En clair, ne vous attendez pas à un survol exhaustif des arcs en question : le jeu vous donnera les clés pour raviver vos souvenirs, mais il part du principe que vous connaissez déjà les bases de l’histoire de l’équipage de Chapeau de Paille. Exactement comme les personnages, conscients de revivre un passé qui ne se déroulera peut-être pas exactement comme dans leurs souvenirs…
One Piece comme vous ne l’avez jamais vu
One Piece Odyssey a bénéficié de la participation directe d’Eiichirô Oda, l’auteur du manga, pour proposer une intrigue originale dans laquelle s’intègrent deux personnages totalement inédits : Adio et Lim. Tout commence par un naufrage… celui du Thousand Sunny (navire de Luffy et de ses compagnons) qui échoue sur une île mystérieuse baptisée Waford. Pris pour de dangereux pirates, les membres de l’équipage se voient brutalement privés de leurs pouvoirs et n’ont pas d’autre choix que de partir en quête des fragments de cubes éparpillés aux quatre coins de l’île pour retrouver leurs capacités.
Qui sont réellement Adio et Lim ? À qui faire confiance ? Existe-t-il vraiment un moyen de réapprendre toutes les aptitudes perdues ? En termes de jeu, on retrouve là le rouage imparable qui consiste à justifier de manière plus ou moins grossière un redémarrage au niveau 1 pour permettre ensuite la montée en puissance du joueur. Au moins, le prologue permet de se faire une idée concrète des possibilités offertes par le système de combat une fois tous les pouvoirs récupérés, même s’il faut se montrer patient avant de trouver matière à diversifier ses techniques par la suite.
Que les fans se rassurent, One Piece Odyssey affiche un respect évident du matériau original et tous les personnages de l’équipage de Chapeau de Paille conservent les voix japonaises de la série animée. Mieux encore, ils discutent régulièrement entre eux durant les phases d’exploration, ce qui rend l’aventure très vivante et proche de l’ambiance de la série. Ce qui surprend davantage, ce sont les musiques signées Motoi Sakuraba, l’un des compositeurs les plus renommés du J-RPG (jeu de rôle japonais) à qui l’on doit notamment les bandes-son des différents volets de Star Ocean, de Valkyrie Profile ou encore de la saga Tales of. D’où l’impression de ne plus vraiment savoir s’il s’agit d’une adaptation de One Piece aux composantes RPG ou d’un vrai jeu de rôle aux couleurs de One Piece…
Un système de combat souple et subtil
Il faut dire que le titre se défend aussi très bien sur le plan des mécaniques de jeu, tout en offrant une aventure s’échelonnant sur plusieurs dizaines d’heures. Pas question d’offrir aux fans du manga un RPG au rabais, One Piece Odyssey fait de son mieux pour cocher toutes les cases du genre sans trop prendre de risques.
On peut donc lui reprocher une approche relativement classique et des défauts que l’on n’aimerait plus voir aujourd’hui, comme la lenteur des déplacements (même en activant la course auto), les murs invisibles ou la très grande linéarité qui empêche de s’éloigner des rails… en début de partie. Par la suite, la taille des zones visitées et les nombreux points de déplacements rapides laissent heureusement bien plus de liberté, mais aucun risque d’être perdu.
Le jeu se veut d’ailleurs volontairement très accessible, histoire de convertir en douceur les inconditionnels de One Piece à un genre qu’ils ne connaissent peut-être pas très bien. La progression est donc globalement plutôt aisée tant que l’on exploite correctement les astuces propres au système de combat.
On peut même rendre nos personnages franchement redoutables en tirant parti de la fusion des accessoires, qui leur octroie de nombreux bonus. En s’appuyant sur une mécanique proche du pierre-papier-ciseaux (force > vitesse > technique), les combats au tour par tour conservent leur intérêt tout au long de l’aventure sans risquer d’endormir le joueur qui doit appliquer à la lettre ces règles de complémentarité. Dans le cas contraire, la sanction est immédiate.
Ainsi, derrière l’apparent classicisme des affrontements se cache un système très souple qui permet d’échanger les places des alliés très facilement afin de remodeler chaque situation de la manière la plus avantageuse possible pour le groupe. Cela a également le mérite de faire tourner en permanence les membres de l’équipe qui sont tous essentiels pour triompher, à condition de faire évoluer aussi leur palette d’accessoires pour ne laisser personne à la traîne.
On apprend vite à raisonner de manière efficace en cherchant qui intercepter en priorité, avec quel allié et en utilisant quelle compétence. La notion de zones distinctes, mais reliées entre elles ajoute encore plus de subtilité à l’ensemble qui finit par devenir vraiment prenant et jamais lassant.
Puisque les alliés ne peuvent se regrouper ou attaquer des cibles éloignées qu’en nettoyant la zone où ils se trouvent, il faut leur dégager la voie pour que le bon personnage puisse atteindre tel ou tel ennemi vulnérable à ses attaques. La possibilité de jongler librement entre les héros afin d’utiliser toujours celui qui est le mieux armé pour contrer le style de l’adversaire est vraiment appréciable.
Les concepteurs ont même pensé à intégrer des objectifs secondaires qui surviennent aléatoirement et qui peuvent multiplier considérablement les gains d’expérience. Sans oublier la possibilité de festoyer pour optimiser les chances de coups critiques dans le but de catapulter les ennemis sur leurs congénères. One Piece Odyssey est un titre truffé de subtilités, toujours dans l’esprit d’absurdité totale qui caractérise si bien la franchise.
Heureux qui, comme Luffy, a fait un beau voyage
On notera, en revanche, un peu moins de maîtrise dans la conception des niveaux, avec des donjons sans réelle originalité qui s’éternisent parfois inutilement. En contrepartie, le jeu profite d’une durée de vie très solide que l’on aurait tort de sous-estimer.
Quatre arcs mémoriels pour revisiter les aventures passées des protagonistes, cela paraît peu, mais (excepté Marineford) on y passe en réalité un temps assez considérable. Des dizaines d’heures de jeu auxquelles il faut ajouter de nombreuses missions optionnelles ainsi que toute la partie qui se déroule sur l’île Waford qui abrite son lot de ruines à explorer.
On peut d’ailleurs difficilement faire l’impasse sur les quêtes secondaires qui donnent accès à des attaques combinées entre plusieurs personnages, sans oublier le temps passé à fouiller chaque recoin de l’environnement en jonglant entre les différents héros pour exploiter leurs talents respectifs.
Un conseil : tendez l’oreille pour ne pas rater les appels de vos compagnons qui se manifesteront toujours pour vous signaler la proximité d’un bonus caché ! Si sa partie sonore est impeccable et que l’aspect stratégique des combats captive instantanément, One Piece Odyssey manque tout de même encore de panache et d’originalité pour hisser son potentiel au niveau de celui du manga. Le cocktail insolite des ingrédients utilisés n’en reste pas moins savoureux.
One Piece Odyssey sera disponible dès le 13 janvier.