Le plombier, mascotte de Nintendo, pacifique au possible, a facilité malgré lui et de façon étonnante l’arrivée des FPS sur consoles.
Retour à la fin des années 1980. Sur micro-ordinateurs et consoles, quelques jeux commencent à adopter une vue à la première personne. Labyrinthes, jeux d’aventure ou simulation de véhicules se partagent les prémices de ce nouvel angle de vue. Mais le premier représentant des First Person Shooter (FPS) est le résultat de l’imagination de John Carmack et John Romero, qui réalisent avec Catacomb-3D, en 1991, le pionnier du genre. S’il n’est pas question d’armes à feu, mais de pouvoirs magiques, le concept est bien né. L’éditeur, id Software, exploite ensuite le créneau avec une version plus contemporaine, Wolfenstein 3D, sorti en 1992, où l’on incarne un soldat luttant contre le régime nazi. Un titre bien longtemps resté comme la référence du genre.
Des manettes obsolètes
La force du PC dans ce domaine provient de son fameux duo clavier-souris. La combinaison des deux accessoires permet en effet de viser avec la souris tout en effectuant les déplacements de son personnage avec les touches du clavier. Un avantage majeur, qui rend le développement du genre sur console quasi impossible, puisque les modèles du moment ne comptent que quelques touches d’action et un simple pavé directionnel. Pas de FPS donc pour la NES de Nintendo ou la Master System et la Megadrive de Sega. Le PC reste ainsi seul maître de ce nouveau genre, qui va se voir rebaptisé un temps du nom de l’un de ses plus iconiques représentants : Doom.
Un jeu d’enfer
Sorti en 1993 par id Software (encore), Doom apporte des évolutions majeures au principe initial. Techniquement, s’il s’agit toujours de fausse 3D utilisant des textures déformées pour simuler l’aspect tridimensionnel. Il se montre plus fluide, avec des textures et des ennemis plus beaux et variés. Il introduit même des jeux de lumière, une première pour l’époque. Le cadre est celui d’un monde futuriste où les hommes ont accidentellement ouvert les portes de l’Enfer, et où le joueur doit lutter contre des démons de toute sorte dans la peau d’un « space-marine ». En parallèle, les développeurs ont ajouté une fonction multijoueur permettant de s’affronter en réseau, qui contribue au succès phénoménal du titre, devenant un vrai phénomène de société.
Quand le FPS s’appelait « Doom-like »
Le 10 décembre 1993, Doom est adapté sur Super Nintendo. La dernière née de Nintendo dispose en effet de deux touches sur les flancs permettant de reproduire le « strafe », un déplacement latéral jusqu’alors impossible sur consoles. Cette adaptation d’un titre à la réputation sulfureuse pour sa violence sur une console de l’éditeur connu pour des titres plus innocents étonne, mais marque un premier pas des jeux de tir vers des consoles jusqu’alors inaccessibles. C’est le début d’une longue série d’adaptations du jeu phare, qui donne son nom au genre : le Doom-like.
Une visée inaccessible
Après la véritable tornade provoquée par la sortie de Doom, le genre connaît un essor et un développement accéléré. S’appuyant sur les performances toujours plus élevées du PC, des titres tels que Duke Nukem 3D (1996) développent le caractère irrévérencieux des FPS, destiné à un public plus âgé. Son héros deviendra une icône du jeu vidéo pour son humour, ses répliques cultes et sa dégaine incomparable de bad boy. Pourtant, le titre de 3D Realms voit son succès éclipsé par un FPS aux innovations majeures, Quake, d’id Software. Toujours en lice pour garder le leadership dans le domaine, l’éditeur crée un premier jeu tout en 3D temps réel, auquel s’ajoute une possibilité essentielle : viser vers le haut ou vers le bas, et non plus seulement sur les côtés. Les adaptations sur consoles semblent alors terriblement compromises…
L’analogique, solution logique
Et c’est à ce moment clé que notre plombier favori, Mario, devient un élément clé dans les possibilités pour les consoles d’adapter ces jeux qui leur font cruellement défaut. La dernière console de Nintendo a connu du retard à son lancement, face à deux nouvelles machines, la PlayStation de Sony et la Saturn de Sega. Mais avant même sa sortie en juin 1996 au Japon, la Nintendo 64 se démarque non pas par ses performances, mais par un élément essentiel : sa manette. Pour la première fois, une console de jeu se voit dotée d’un stick analogique, par opposition aux croix directionnelles digitales. Il est donc possible de doser l’ampleur du mouvement imprimé sur le stick, dans toutes les directions. À côté de celui-ci, on retrouve quatre touches destinées à contrôler la caméra dans certains jeux du lancement. Et toutes ces innovations ont été motivées par les demandes d’un certain Shigeru Miyamoto.
Une révolution liée à Mario
Depuis le succès mondial de Mario et sa consécration en tant que mascotte de la marque, Nintendo prend en considération le plombier pour chacun de ses lancements de consoles. Et pour ce passage très attendu à la 3D, Super Mario 64 va révolutionner le genre du jeu de plateforme. Pour y parvenir, son concepteur, Shigeru Miyamoto, avait besoin de nouvelles façons de diriger son personnage. C’est donc à sa demande et sur la base des besoins de son jeu qu’ont été pensées en grande partie les fonctions inédites de cette manette atypique. Aperçue pour la première fois dans un salon en novembre 1995, elle n’a pas manqué de surprendre la concurrence.
Sony fait deux fois plus
Dans un contexte ultraconcurrentiel pour les constructeurs de console, la moindre innovation est scrutée, copiée ou améliorée. Sony est le premier à réagir à cette évolution majeure, en dévoilant durant l’Expo PlayStation de 1996 une nouvelle version de sa manette PlayStation, baptisée Dual Analog Controller. Avec deux sticks analogiques, l’ancêtre de la Dual Shock apporte encore une fois des solutions inédites pour développer des FPS sur console. Mais, entre-temps, Nintendo a exploité ces possibilités, au-delà même de ce que le grand public a pu retenir.
Un agent double historique
L’année 1997 marque une belle victoire dans la bataille entre consoles et PC pour conquérir le genre FPS. Avec la sortie de Golden Eye 007, issu du studio Rare, la Nintendo 64 se dote d’un jeu aussi impressionnant en solo qu’en multijoueur et exploitant pleinement les possibilités de sa manette. Mieux encore, une fonctionnalité souvent oubliée avaient alors été ajoutée par les développeurs. En branchant une seconde manette, il était possible de jouer avec deux sticks analogiques, l’un pour les déplacements, l’autre pour la visée. Il s’agit donc, d’un point de vue historique, du premier FPS console émulant les possibilités du duo clavier souris.
Un genre devenu majeur
Par la suite, tous les constructeurs, Sony en tête, s’engouffreront dans la brèche, rattrapant leur retard sur le PC. Quelques licences du passé seront adaptées au passage, mais ce sont surtout les futures sorties qui bénéficieront de ce changement de paradigme. Pour les éditeurs de jeux, c’est aussi une formidable occasion de voir le potentiel de ventes exploser et de ne plus focaliser que sur le seul PC pour les FPS. Ce marché est en effet gangrené par le piratage, bien plus complexe sur consoles.
En quelques années, des titres tels que Medal of Honor ou Call of Duty feront les beaux jours des adeptes de jeux de tir. Un nouveau constructeur ambitieux, Microsoft, et sa première Xbox en 2001 ne s’y trompera pas, accompagnant la sortie de sa machine d’un autre FPS majeur, Halo. Sans Mario, toute l’histoire du FPS sur console aurait donc, sans doute, été radicalement différente. Étonnant, non ?