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Avantages, polémiques, studios… On vous dit tout sur le battle pass dans les jeux vidéo

20 décembre 2022
Par Robin Lamorlette
Le mastodonte “Fortnite” a été le pionnier qui a posé les bases du battle pass tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Le mastodonte “Fortnite” a été le pionnier qui a posé les bases du battle pass tel qu’on le connaît aujourd’hui. ©Epic Games

Largement popularisé par Fortnite, le battle pass est aujourd’hui indissociable des jeux free-to-play et commence même à trouver d’autres adeptes… à condition que la communauté suive.

Le battle pass s’est imposé comme un solide modèle économique permettant de faire vivre un jeu vidéo sur le long terme, et il repose grandement sur la motivation et l’implication des joueuses et joueurs. Mais un tel jeu d’équilibriste n’est pas toujours un long fleuve tranquille pour les studios.

Bénéfice Premium ?

L’origine du battle pass remonte à 2013 sur DOTA 2, à l’occasion de la compétition e-sport The International avec le Compendium. Ce dernier permettait aux intéressés d’acheter un accès pour débloquer des éléments en jeu. En 2018, un certain Fortnite est passé d’un titre de construction free-to-play en coopération à un battle royale multijoueur. Pour en assurer le financement et le suivi, Epic Games s’est fendu d’un système de battle pass qui allait poser les bases de ce que l’on connaît aujourd’hui.

Concrètement, il s’agit d’un système de progression saisonnier permettant de remporter de nombreux objets cosmétiques et autres en terminant des défis journaliers et hebdomadaires, ou tout simplement en jouant. Le battle pass se divise en une partie gratuite, mais limitée, et une partie payante, dite Premium, moyennant environ 10 euros et offrant l’accès à l’ensemble des récompenses. Chaque battle pass dure une saison d’environ trois mois.

Nous devons les prémices du battle pass à DOTA 2 en 2013, avec le Compendium.©Valve/EterNity Channel

Inutile de revenir sur le succès planétaire qu’a rencontré Fortnite avec cette transition. Mais il est intéressant de noter que, en février 2018, Epic Games a vendu plus de cinq millions de battle pass, générant ainsi la somme colossale de 50 millions de dollars… en une seule journée. Des chiffres qui donnent le tournis et qui ont bien sûr mis des billets verts dans les yeux d’autres acteurs de l’industrie, désireux de recevoir une part de ce juteux gâteau.

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Ainsi, les jeux free-to-play incluant ce système se sont mis à fleurir sur de nombreux titres comme Apex Legends, PlayerUnknown’s Battlegrounds (PUBG) ou récemment Overwatch 2, pour ne citer que quelques exemples populaires. Ce modèle économique a également rencontré un franc succès sur des jeux mobiles comme Call of Duty Mobile, Clash Royale ou encore Diablo Immortal.

Chaque titre a développé le battle pass à sa manière. Des déclinaisons ont ainsi été opérées sur sa durée, la manière de progresser dans les différents paliers, ou sur les éléments cosmétiques ou non inclus. Nous avons tenté de contacter divers studios et éditeurs pour s’enquérir de ces choix et si l’intégration d’un tel modèle économique s’est montrée payante pour eux, sans recevoir de réponse.

Flux tendu pour les joueurs et les développeurs

Nous pouvons cependant tabler sur le fait que, si ces jeux continuent d’exister après une aussi longue période, cela signifie que les affaires marchent plutôt bien pour eux. Mais encore faut-il réussir à engager la communauté et la motiver à progresser sur le battle pass et racheter à chaque nouvelle saison la partie Premium.

Rappelons que, sur la plupart des titres, ce type de contenu disparaît à l’arrivée d’une nouvelle saison. Se crée alors un phénomène dit de rétention des joueuses et joueurs ou de Fear of Missing Out (FOMO). Dans la plupart des cas, arriver au bout d’un battle pass nécessite en effet de jouer quelques heures chaque jour, au risque de voir passer sous son nez les plus belles récompenses en bout de parcours.

L’obtention gratuite d’un personnage sur Overwatch 2 nécessite d’investir énormément de temps afin de progresser jusqu’au palier requis dans le battle pass, ou de passer par la case payante.©Blizzard

« Pour arriver au bout du battle pass d’Apex Legends, je devais jouer à minima deux heures par jour. À la longue, j’ai fini par me lasser, je n’avais plus autant de temps à consacrer au jeu », confie Françoise. Ce témoignage trouve écho dans notre expérience personnelle sur des titres comme Overwatch 2 ou Halo Infinite.

Sur le premier, le battle pass gratuit permet non seulement de débloquer des éléments cosmétiques, mais également un nouveau personnage. Cependant, ce dernier est placé dans un palier extrêmement lointain, demandant un important investissement en temps, ou l’achat de la version Premium pour le débloquer immédiatement. Une politique pour le moins discutable, encourageant le phénomène dit de « pay-to-win », extrêmement mal vu par les joueurs, qui a d’ailleurs coûté quelques plumes à Blizzard.

Le modèle de progression du battle pass sur le multijoueur d’Halo Infinite centré sur des défis très spécifiques à réaliser a entraîné une forte baisse d’intérêt auprès des joueurs.©Robin Lamorlette

Sur Halo Infinite, la progression dans ce mode n’est possible qu’en accomplissant des défis se montrant parfois extrêmement difficiles à réaliser, rendant l’expérience particulièrement peu motivante. La contrepartie étant que chaque battle pass peut être terminé, même si de nombreuses saisons se sont depuis écoulées. Mais le système étant ce qu’il est, entre autres déboires sur le jeu, le mode multijoueur d’Halo Infinite s’est peu à peu vidé de ses joueurs, et donc de son financement.

Les développeurs doivent ainsi redoubler d’ingéniosité pour encourager la communauté à revenir sur leur jeu et acheter le battle pass Premium pour maintenir l’ensemble à flot. Qu’il s’agisse d’ajouter à chaque saison de nouveaux modes de jeu, cartes, armes, personnages ou autres, les studios sont finalement soumis à la même pression que celle reposant sur les épaules des joueurs pour avancer sur ce système. Une situation qui demande donc beaucoup de ressources et une communauté forte et engagée, dans un monde où les jeux vidéos n’ont jamais été aussi nombreux et la tentation d’essayer de nouvelles expériences jamais aussi forte.

Un modèle économique d’avenir ?

Ainsi, le système de battle pass n’est pas nécessairement le saint Graal que des mastodontes comme Fortnite peuvent promettre. Un constat notamment frappant pour des petits studios, qui ne disposent ni de la popularité de jeux comme PUBG ou Clash Royale, ni du soutien financier d’éditeurs majeurs comme Epic Games pour Fortnite ou Electronic Arts pour Apex Legends.

Pour autant, force est de constater que le battle pass se place aujourd’hui comme le modèle présentant les meilleurs résultats pour assurer un financement constant des jeux qui le proposent. À tel point que nous voyons petit à petit germer de tels systèmes sur d’autres jeux que ceux free-to-play.

L’exemple le plus tristement célèbre des « loot boxes » est bien sûr celui de Star Wars Battlefront 2 sorti en 2017, qui a entraîné une violente levée de boucliers à leur encontre.©Electronic Arts/DICE

De nombreux jeux « en tant que service », au préalable payants, se lancent en effet dans la mode du battle pass. Jusqu’à présent, leur financement sur le long terme était assuré par d’autres moyens comme une boutique cosmétique contre de l’argent réel ou des mécaniques basées sur le hasard comme les « loot boxes ». Un tel système, assimilé aux jeux d’argent, a cependant engendré d’importants problèmes de dépendance, forçant la justice à les interdire dans certains pays.

Pour compenser, ces jeux se tournent donc vers le battle pass, bien plus stable et transparent. Encore faut-il une fois de plus que les joueurs acceptent de s’investir et de jouer le jeu. Un pari qui est donc loin d’être gagné, sachant qu’on leur demande de prime abord d’acheter le jeu en question, puis de continuer à dépenser de l’argent dessus.

En définitive, le battle pass porte bien son nom et se présente comme une bataille constante des studios pour se réinventer afin de motiver les troupes, la communauté, d’investir du temps et de l’argent sur leur jeu. Mais, comme dans toutes les batailles, le profit tiré peut souvent justifier n’importe quel effort de guerre. Au risque de laisser de nombreux perdants voulant s’essayer au jeu dans leur sillage.

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Article rédigé par
Robin Lamorlette
Robin Lamorlette
Journaliste
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