Présenté à la Seine musicale depuis le 8 novembre 2022, Starmania nous replonge dans l’opéra rock imaginé par Michel Berger et Luc Plamondon. Entre hommage, nostalgie et réinvention, Thomas Jolly a su offrir une comédie musicale aussi spectaculaire que sombre, fidèle à l’œuvre d’origine.
S’attaquer à Starmania, célèbre opéra rock mis en scène en 1979 par Michel Berger et Luc Plamondon, n’est pas un mince défi. Pourtant, Thomas Jolly a su ressusciter l’œuvre, aujourd’hui testamentaire, du pianiste et chanteur disparu soudainement en 1992. Présenté à la Seine Musicale de Paris jusqu’au 29 janvier 2023, avant de partir en tournée hexagonale, cette comédie musicale historique présente un retour aux sources saisissant de l’œuvre dystopique créée il y a 43 ans sur les planches françaises. Thomas Jolly a parfaitement compris l’intention initiale de Michel Berger : offrir un opéra rock en langue française au propos social.
On replonge ainsi dès les premiers instants dans Monopolis, la capitale d’un Occident réuni en un seul État. On retrouve également la bande des Étoiles noires, l’Underground Café et sa serveuse-automate, ainsi que les nombreux personnages qui composent cette histoire, comme Zero Janvier, Ziggy, ou encore Stella Spotlight.
Un univers prophétique
Sous l’égide de Raphaël Hamburger, à l’initiative du projet aux côtés de sa mère, France Gall, Starmania prend ici des airs de conte prophétique. La version de Michel Berger composée aux côtés de Luc Plamondon, n’a jamais été aussi juste. En effet, la pièce catalyse plusieurs thématiques comme le scepticisme écologique, le pouvoir, la politique, l’homosexualité ou encore le terrorisme. Une réinvention qui permet aujourd’hui de mesurer la force de frappe et les prémonitions de l’opéra rock originel.
Discours populistes, obsession de la célébrité, réchauffement climatique… Starmania aborde finalement toutes les problématiques auxquelles nous sommes confrontés de nos jours. Ceci offre du poids à cette comédie musicale qui va au-delà de la simple représentation et des tubes emblématiques interprétés auparavant par Balavoine, Gall ou encore Maurane. Si ces chansons sont les derniers vestiges de la version de Michel Berger, Thomas Jolly a compris ce qui fonde avant tout l’essence de Starmania : son histoire.
Il offre ainsi une version légèrement épurée, pourtant loin de faire l’impasse sur un portrait plein de noirceur. Un parti pris audacieux qui montre que le metteur en scène n’a pas voulu simplement copier l’œuvre de Berger et Plamondon.
Des personnages passionnants
Si les interprètes des personnages ont peut-être moins de charisme que les acteurs originaux – poids de la nostalgie oblige –, ils ne tombent jamais dans le travers de l’imitation de leurs prédécesseurs. Par ailleurs, Thomas Jolly, grâce à un décor oppressant entre ombre et lumière, en fait de véritables figures dramatiques.
C’est notamment le cas de Johnny Rockfort (Côme), véritable loubard errant dans la ville, qui n’hésite pas à s’adonner à une violence inédite sur scène. Son personnage fonde sûrement le protagoniste le plus intéressant de la pièce, le plus duel. Une complexité qui se fait sentir dès les premières notes de l’emblématique chanson Quand on arrive en ville, mais aussi face à la fameuse Cristal (Lydia Adad/Gabrielle Lapointe).
La pièce a également été l‘occasion de découvrir Alex Montembault dans la peau de Marie-Jeanne. À l’instar de Johnny, son rôle se distingue des autres dans le sens où cette serveuse-automate de l’Underground Café incarne une neutralité dans une pièce traversée par une multitude de caractères, de points de vue et de péripéties. Elle ancre l’action, offre des temps-morts bienvenus, et s’autorise même à briser le quatrième mur, un procédé de mise en scène séduisant et amusant.
La nostalgie est toujours aussi présente
Starmania version Jolly reprend toutes les musiques iconiques de la comédie musicale. De SOS d’un Terrien en détresse au Blues du businessman, en passant par Le Rêve de Stella Spotlight, difficile de résister à l‘envie oppressante de chanter, comme dans un karaoké géant, ces tubes qui ont dépassé le cadre du spectacle.
Ceci déclenche un sentiment de nostalgie immédiat, tout en montrant que Starmania est une œuvre intergénérationnelle. Le propos comme les musiques rendent cette comédie musicale immortelle. On doit toutefois souligner le côté parfois trop kitsch de certaines partitions. Si Starmania, c’est l’essence même de ce qui fondera plus tard les années 1980, la gestuelle, micro en main, ainsi que certaines vocalises donnent une impression trop appuyée aux performances vocales.
Une mise en scène impressionnante
Le véritable génie réside dans le jeu de lumière. Ici, l’éclairage fonde une mise en scène épique. Les chorégraphies envoûtantes, les costumes imaginés par Nicolas Ghesquière – designer de Louis Vuitton –, ou encore le plateau tournant et l’écran géant, sont autant d’effets techniques impressionnants qui montrent l’ampleur d’une scénographie grandiose. Malgré quelques longueurs – le spectacle dure plus de trois heures –, les tableaux s’enchaînent à une vitesse folle, notamment dans la seconde partie, rappelant aujourd’hui l’envergure des comédies musicales américaines.
Car Starmania connaît ses standards et ses références. Si l’ampleur de la pièce de Thomas Jolly n’a rien à envier à Broadway, on reconnaîtra également les hommages à la SF d’anticipation et l’inspiration futuriste, déshumanisée, du Metropolis (1927) de Fritz Lang. Plus proche de nous, on peut même y voir un clin d’œil aux sagas dystopiques récentes telles qu’Hunger Games (2008) dans le rapport au pouvoir et aux médias.
Sans être écrasée par le poids de l’héritage, la comédie musicale a également su rendre hommage à ses créateurs. Si on a du mal à être touché par l’hologramme surprenant de France Gall, le clin d’œil à Michel Berger et son fameux piano blanc est aussi subtil qu’émouvant. Un hommage réussi et beau qui contrebalance avec la noirceur d’une comédie musicale qui n’a finalement de cesse de prouver que notre monde est devenu complétement « stone ».