Quel comics offrir à Noël ? Pas facile de faire le bon choix ; de plus en plus présente dans les librairies françaises, la bande dessinée américaine reste encore méconnue. Riche, variée et foisonnante, elle offre pourtant son lot de surprises aux amateurs et ne se limite pas qu’aux super-héros. La preuve avec les hits de cette année.
1 Toutes les morts de Leila Starr, de Ram V et Filipe Andrade, chez Urban Comics
Depuis 2016, Ram V, le prodige indien de la bande dessinée américaine, enchaîne les succès avec ses histoires innovantes et émouvantes. Toutes les morts de Leila Starr est l’un des derniers exemples en date de son talent. Épaulé par Filipe Andrade au dessin, Ram V nous raconte ce qui arrive lorsque la Mort est brutalement mise au chômage, avec pour seule compensation le privilège d’accéder à une vie mortelle dans l’enveloppe charnelle d’une jeune femme récemment décédée : Leila Starr. Au lieu d’en profiter pour se reconvertir, la déesse de la mort va chercher à éliminer le concurrent qui a permis la vie éternelle. Mais la découverte de sa propre mortalité va changer ses plans. Une véritable ode à la vie.
2 Rorschach, de Tom King et Jorge Fornés, chez Urban Comics
Ces dernières années, DC Comics a tenté de capitaliser sur le succès de Watchmen, le chef-d’œuvre d’Alan Moore et Dave Gibbons, en réutilisant cet univers qui a révolutionné le monde des comics super-héroïques dans différents préquels et crossovers. Le résultat n’a pas toujours été concluant, et n’a jamais été approuvé par Alan Moore. Sur ce dernier point, Rorschach ne fait pas exception et n’aura pas l’aval de l’auteur britannique, question de principe. En revanche, il aura celui des fans. Avec ce comics, Tom King offre une suite parfaite à Watchmen, même si les super-héros ne sont ici qu’un prétexte. Son enquête policière explore les conséquences de l’intrigue initiale, mais elle rend surtout hommage au monde de la bande dessinée américaine et à celui du polar hollywoodien, tout en questionnant le lecteur sur la notion de vérité.
3 Semences, d’Ann Nocenti et David Aja, chez Futuropolis
Ann Nocenti, emblématique scénariste de Daredevil, David Aja, dessinateur magistral de Hawkeye et Karen Berger, éditrice iconique de Vertigo se sont réunis pour produire ce comic qui n’a absolument rien à voir avec les super-héros. Ici, on suit l’enquête d’une journaliste excédée par les fake news et bien décidée à lever le voile sur la présence d’extraterrestres venus sauver ce qui peut l’être de notre monde moribond. Dévastée par une crise tant environnementale que politique, la Terre de Semences offre en effet une vision noire de notre avenir. Une ambiance renforcée par le parti-pris graphique sombre et audacieux, qui laisse quand même entrevoir une lueur d’espoir.
4 Fantastic Four: Full Circle, d’Alex Ross, chez Panini Comics
Artiste-peintre encensé pour son travail photoréaliste dans l’univers des comic books, Alex Ross revient pour la première fois depuis de longues années au roman graphique avec un ouvrage entièrement réalisé par ses soins. Au-delà de son histoire d’exploration dimensionnelle, ce one shot consacré à la plus célèbre famille de Marvel est avant tout une claque visuelle. Ross met tout son talent au service d’une réinvention de son art pour métisser son style des influences de Jack Kirby et Steve Ditko, artistes phares des comics des années 1960-1970. Le résultat est une œuvre qu’on aurait voulu voir affichée en grand sur les murs d’un musée.
5 Madman, Intégrale 1, de Michael et Laura Allred, chez Huginn&Muginn
Difficile de dire ce qu’est vraiment Madman, si ce n’est que c’est une part du dessinateur et scénariste Mike Allred. Et, sans doute, sa part la plus barrée. Ramené à la vie par deux scientifiques un peu dingues, Frank Einstein (contraction de Frank Sinatra et Albert Einstein, bien sûr) est une sorte de super-héros amnésique qui s’embarque dans tout un tas d’aventures psychédéliques, pop, musicales et totalement absurdes. Véritable phénomène de la BD underground américaine, Madman arrive pour la première fois en version française grâce à une série de 12 intégrales chez Huginn & Muginn, qui a publié le tout premier tome cette année.
6 Hoka Hey, de Neyef, chez Rue de Sèvres
Chantre des comics à la sauce hexagonale, le Label 619 s’est associé aux éditions Rue de Sèvres pour sortir un grand et magnifique album entièrement réalisé par Neyef : Hoka Hey !. Un western qui délaisse les cow-boys au profit des « amérindiens » parqués dans des réserves et dépossédés de leurs terres, mais aussi de leur culture. Au travers de George et du gang de Little Knife, le lecteur va suivre une quête identitaire aussi belle que poignante, qui va profondément critiquer la façon dont l’homme blanc a géré ce que l’on a appelé avec euphémisme la « question indienne ». Le tout au milieu des grands espaces américains sublimés par Neyef. Rien d’étonnant à retrouver cette œuvre dans la sélection officielle du festival d’Angoulême 2023.
7 Le Manoir de Chartwell, de Glenn Head, chez Delcourt
Autre œuvre en lice pour recevoir une distinction au FIBD 2023, Le Manoir de Chartwell évolue dans un registre radicalement différent, même s’il est encore question de traumatisme, mais plus personnel cette fois. Dans cette œuvre cathartique et autobiographique, Glenn Head, figure majeure de la BD underground américaine, dévoile l’enfer vécu dans le pensionnat Chartwell sous la férule d’un directeur sadique et pédophile. Récit glaçant servi par un dessin sombre et tourmenté, qui n’est pas sans rappeler le style cauchemardesque de Charles Burns, Le Manoir de Chartwell ne conviendra pas à tous les publics, mais il est tout de même un impressionnant témoignage de toute la puissance émotionnelle que peut véhiculer une bande dessinée.
8 Le Labyrinthe inachevé, de Jeff Lemire, chez Futuropolis
Commençons d’abord par dire que ce comics est signé Jeff Lemire et que tout ce que touche l’auteur de Sweet Tooth et Essex County se transforme en réussite. Partant de ce postulat, il n’est pas étonnant de découvrir avec ce Labyrinthe inachevé un album maîtrisé de bout en bout, tant dans le déroulé de son récit (un thriller fantastique sur le thème du deuil) que dans sa réalisation graphique qui impose au lecteur une narration véritablement labyrinthique. Très vite happé par l’enquête de Will, persuadé que sa fille le contacte par-delà la mort, le lecteur remonte petit à petit le fil d’Ariane en compagnie de ce père aussi perdu qu’attachant.
9 Everything, de Christopher Cantwell et I.N.J. Culbard, chez 404 Comics
Le best-seller inattendu de 404 Comics est une œuvre aussi surprenante qu’angoissante. Partant de l’ouverture assez banale d’une grande surface vendant tout ce dont les consommateurs peuvent rêver dans une petite ville américaine des années 1980, Everything embarque le lecteur dans une histoire de science-fiction souvent comparée à juste titre à la série Twin Peaks de David Lynch. Si la trame de fond dénonce de façon assez simple et directe le système capitaliste et l’ultraconsumérisme, l’œuvre de Cantwell et Culbard ne se contente pas de vilipender, mais pousse également le lecteur à faire son autocritique.
10 Hard Boiled, de Frank Miller et Geof Darrow, chez Futuropolis
Sortie initialement au début des années 1990, la trilogie de Frank Miller et Geof Darrow offrait un condensé déjanté et satirique des récits cyberpunks et policiers de la décennie passée. On y suivait les déboires d’un enquêteur pour une compagnie d’assurance plongé dans une société décadente et miséreuse, malgré les prouesses technologiques qui l’ont bouleversée. 30 ans plus tard, Futuropolis publie l’intégrale de cette œuvre dans un format qui rend pleinement hommage au dessin de Geof Darrow, bourré de détails et de références hilarantes. Un must toujours autant d’actualité pour les fans de Total Recall ou Blade Runner.
11 Zombie World, le champion des vers, de Pat McEown et Mike Mignola, chez 404 comics
Cette œuvre plaira aussi bien aux fans de Hellboy, qu’à ceux de Walking Dead, de Lovecraft et même des représentants franco-belges de la « Ligne claire ». Bref, c’est le cadeau qui fera forcément mouche, ce qui est un peu normal lorsqu’on parle de zombies. Publié pour la première fois en France en grand format et en couleur pour son 25e anniversaire, ce comic est avant tout une passerelle entre les traditions américaines et européennes du neuvième art, capable de séduire même les lecteurs les plus chauvins de l’Hexagone.