Les westerns et les jeux vidéo ont toujours fait bon ménage. Des simples titres de tir jusqu’aux aventures complexes, retour sur 50 ans d’évolution.
Il a fait, et continuera longtemps de faire les beaux jours du cinéma avec nombre d’œuvres cultes, mais l’univers du Far West a également inspiré les développeurs de jeu vidéo. À l’heure où le mode online de Red Dead Redemption 2 s’apprête à tirer sa révérence, et Evil West, vision futuriste ultramoderne du genre, à prendre en quelque sorte le relais, il était temps de faire un état des lieux.
Nintendo dégaine le premier
Depuis leurs tout débuts, tels des pionniers en quête de pépites, les jeux ont cherché à exploiter ce monde à la fois fascinant et hostile, mais, surtout, très populaire au sens premier du terme. Ancré dans l’inconscient collectif grâce à la pléthore de films et de séries sur le thème, le western a su offrir aux jeux vidéo un matériau assez puissant pour en tirer de vraies mines d’or. Les débuts techniques minimalistes du média ont su viser juste, dès leurs premiers essais.
En 1974 sort l’une des adaptations les plus célèbres et efficaces : Wild Gunman, signé du japonais Nintendo. D’abord en jeu d’arcade, puisqu’il nécessitait l’utilisation d’un pistolet détectant les « impacts » lumineux à l’écran. Le concept est aussi simple qu’efficace ; le joueur incarne un chasseur de primes et fait face à des ennemis de plus en plus dangereux. C’est un héritier de ce que l’on appelait les jeux électromécaniques des fêtes foraines, où toute la partie physique (cibles, mouvements) était remplacée par des pixels.
Quel concept plus simple et évident pouvait émerger sur ce thème ? Wild Gunman a également été adapté sur console Nintendo Nes, nécessitant alors le fameux pistolet en accessoire, rentabilisé plus tard par un titre de chasse, Duck Hunt. La popularité du jeu de Nintendo se mesure aussi dans la pop culture avec sa présence dans une scène devenue culte de Retour vers le futur 2.
Des pionniers du crime
Par la suite, d’autres éditeurs, là encore essentiellement japonais, se sont lancés à la conquête de l’Ouest. Western Gun de Taito propose, en 1975, à deux joueurs de s’affronter armes à la main sur l’écran. C’est à la fois la toute première représentation de la mort d’un homme, mais aussi d’un affrontement entre deux joueurs humains en jeu vidéo. Le succès en arcade, tant au Japon qu’aux États-Unis sous un nom différent (Gun Fight), est immédiat, promettant ce genre d’interactions au bel avenir qu’on lui connaît aujourd’hui, tous univers confondus.
L’un des premiers titres proposés par un développeur américain – American Multiple Industries – restera aussi dans les mémoires, mais pour d’autres raisons. Cluster’s Revenge, régulièrement élu pire jeu vidéo de l’histoire, invitait le joueur à « venger » le Lieutenant Colonel mort durant la bataille de Little Big Horn en s’approchant d’une Amérindienne tout en évitant des flèches pour abuser d’elle. Racisme, misogynie, culture du viol : le titre coche absolument toutes les mauvaises cases, un exploit en soi.
Le progrès en marche
Après quelques sorties moins tapageuses durant la fin des années 1980, le western profite une nouvelle fois des avancées technologiques du média. L’arrivée du Laser Disc (l’ancêtre du DVD et du Blu-ray) permet en effet aux machines d’arcade de proposer des séquences vidéo interactives. Deux titres s’en feront les étendards : le méconnu Badlands, dès 1984 chez Konami, mais surtout le légendaire Mad Dog McCree d’American Laser Games en 1990. Ses séquences vidéo « live » avec de véritables acteurs sont restées dans les mémoires de tous ceux ayant approché la borne à l’époque. Reste qu’en dehors de l’aspect esthétique, le cheval virtuel qu’a enfourché le jeu vidéo fait du surplace pour ce qui est des ambitions ludiques.
Cantonné encore de longues années à des jeux d’arcade, adaptés sur consoles et micro-ordinateurs, le western reste très présent. Sunset Riders de Konami (1991) permet de parcourir quelques scènes d’action classiques du genre, jusqu’à quatre joueurs simultanément. En 1994, Wild Guns de Natsume sur Super Famicom (la Super Nintendo version japonaise) joue un peu plus les aventuriers, avec un western futuriste aux accents steam-punk et à la réalisation très soignée. Un jeu de tir tellement marquant pour son époque qu’il aura même droit à un remake en 2016, publié d’abord sur PlayStation 4, puis PC et Switch.
L’Ouest du nouveau millénaire
Le début des années 2000 marque une rupture dans cette longue tradition de jeux de tirs, d’arcade, finalement simplistes même si parfois d’une redoutable efficacité. D’abord avec la sortie d’un jeu de stratégie, Desperados: Wanted Dead or Alive (Infogrames), pendant western du mythique Commandos (Eidos). Ici, plus question de tirer dans tous les sens, il faut gérer son équipe aux talents divers pour mener à bien des missions variées. Le cerveau prend enfin le dessus sur ce fameux doigt, toujours rivé sur la gâchette.
En mars 2002, un titre produit par le japonais Capcom et réalisé par un studio américain Angel Studios se présente timidement. Son nom : Red Dead Revolver. Le fruit d’une collaboration finalement impossible entre un éditeur japonais et un studio américain qui va pourtant changer la face du western vidéoludique.
Red, pas tout à fait Dead
Le projet finit par être racheté par Take Two, laissant un certain Dan Houser (Grand Theft Auto) reprendre en main le concept. À sa sortie en 2004, le jeu de la nouvelle entité créée sur les ruines d’Angel Studios, Rockstar San Diego, porte les stigmates de sa gestation difficile. Pourtant, il en émane quelque chose de spécial, comme avec ce concept de tir verrouillé baptisé Dead Eye, qui permet de viser un ennemi plusieurs fois au ralenti. Et puis ces musiques aux faux airs d’Ennio Morricone qui nimbent des couchers de soleil rasants d’où pointent les ennemis au loin… Imparfait, Red Dead Revolver a malgré tout inspiré d’autres créations, en attendant son retour.
À l’Ouest, enfin du nouveau
Impossible de ne pas citer l’improbable Oddworld : la fureur de l’étranger, sorti en 2005 sur Xbox. Lord Lanning, génie à l’origine des aventures du pauvre Abe d’Oddworld, adapte ses créatures bizarroïdes et autres étrangetés extraterrestres aux codes du western. Les munitions deviennent des créatures vivantes aux effets variés, et le chasseur de prime que l’on incarne se déplace dans un monde presque ouvert.
La même année, Gun de Neversoft (Tony Hawk’s Pro Skater) propose un jeu d’action-aventure lui aussi dans un monde presque ouvert, avec une liberté plus marquée que dans les anciens westerns de pixels. Quêtes annexes, chasse à l’homme, élevage de bétail ou parties de poker ponctuent une aventure riche en action et en situations, mais manquant d’un peu de charisme.
Toujours en 2005, un certain Darkwatch chez Ubisoft mêle cowboys et vampires, pour un festival d’action en vue FPS. Un défouloir certes jubilatoire, mais sans véritable apport au genre, malgré quelques espoirs vite refroidis de porter les aventures de Jericho, son héros, sur grand écran.
Et Rockstar créa Marston
La vraie révolution va se construire sur les bases fragiles d’un Red Dead Revolver un peu bancal, mais surtout sur la formidable expérience de scénarisation de jeu en monde ouvert acquise par Rockstar Games. Avec une suite baptisée Red Dead Redemption en 2010, le développeur de Grand Theft Auto embrasse le western dans ses moindres détails. Si tous les clichés répondent présents, c’est pour mieux donner, en contraste, de l’épaisseur à un monde vivant, organique, et à des personnages plus complexes qu’il n’y paraît.
John Marston, le héros, est un hors-la-loi fatigué, rêvant de retrouver femme et enfant, mais contraint de chasser ses ex-partenaires. Une ambiance crépusculaire, dans un monde ouvert sauvage, tant par sa faune (les mémorables attaques de puma), que par ses habitants (les faux appels à l’aide en forme de guet-apens).
Rockstar reprend certaines mécaniques comme le Dead Eye, mais en sublimant le résultat, dans des scènes parfois inoubliables. La mort de John est ainsi vécue par le joueur manette en main, impuissant face à une horde de traîtres et d’ennemis malgré son adresse au tir. Le genre de moments qui change un art, de ceux pour lesquels on lance une nouvelle aventure pour en découvrir les surprises, avec gourmandise.
La fin justifie les moyens
En 2018, Red Dead Redemption 2 fait encore mieux que son prédécesseur. Les progrès techniques aidant, toutes les qualités du jeu précédent sont comme sublimées. L’écriture n’est pas oubliée et, comme dans la première aventure de Marston, on remarquera notamment une belle mise en valeur de personnages féminins notoires, de natifs ou d’Afro-Américains qui ne sont plus cantonnés à des rôles de cibles. Comme si le Western, rugueux, avait rendu plus douce l’écriture de Dan Houser, longtemps seul maître à bord de Rockstar Games.
Seuls écueils inévitables pour cette superproduction, les problèmes de « crunch » connus par les équipes, soumises à des cadences infernales. Et en dépit de la réussite commerciale qui a accompagné ces deux titres cultes, le mode online du second, inspiré de celui de GTA Online, n’a jamais connu le succès de sa muse, faute de cowboys virtuels suffisamment nombreux.
Toutefois, la relève semble assurée dans l’envie de dépeindre les légendes de cette période épique, avec un nouveau venu qui bascule dans le fantastique : Evil West. Le titre, réalisé par le studio polonais Flying Wild Hog (Shadow Warrior, Trek To Yomi) et dont on pourra juger de la qualité le 22 novembre prochain sur consoles et PC, saura sans doute redonner de la vigueur à ce genre décidément increvable.