Stylo, caméras, logiciels… Les technologies sont nombreuses à être utilisées dans les écoles pour surveiller les élèves. Vues comme un moyen de les protéger, elles peuvent aussi être dangereuses pour eux.
Les vacances sont finies pour les élèves, qui retrouvent les bancs de l’école en ce début de mois de septembre. Pour nombre d’entre eux, ce retour dans les établissements s’accompagne d’une surveillance à l’aide de diverses technologies. En Chine, par exemple, un stylo connecté distribué aux élèves permet aux professeurs de s’assurer qu’ils soient attentifs et travaillent en classe, mais aussi de télécharger leurs devoirs afin de les corriger. D’autres pays font aussi appel à des outils pour surveiller les élèves dans les écoles.
Si l’objectif derrière ces usages est de garantir la sécurité des enfants, en prévenant le harcèlement ou encore la violence à l’école, cette pratique peut leur porter préjudice, servant également à les punir et constituant une menace pour leur vie privée.
Une surveillance à l’intérieur et hors de l’école
En Chine, la surveillance des élèves à l’aide des stylos connectés a commencé avant même la rentrée scolaire. Plusieurs écoles primaires et élémentaires auraient commencé à l’utiliser dans le but de suivre leurs performances académiques. Une collégienne de la province de Haïnan a indiqué fin juillet sur Internet s’être sentie « surveillée » et avoir « perdu la joie des vacances d’été » à cause de ce stylo qu’elle a dû utiliser pour rédiger ses devoirs d’été.
Ce stylo est loin d’être la seule technologie de surveillance employée par la Chine. La reconnaissance faciale y est, par exemple, largement déployée au portail des écoles pour suivre les élèves au fur et à mesure qu’ils vont et viennent. Bien que cela permette de protéger les enfants (violence, enlèvement…), ce système a suscité des critiques de la part de chercheurs, estimant qu’il pourrait constituer une violation du droit des enfants à la vie privée. « Plutôt que de favoriser un environnement de confiance et de sécurité propice à l’apprentissage, de tels portails pourraient créer une atmosphère de détresse, de peur et d’intimidation pour les élèves », avait ainsi expliqué Wang Yaqiu de Human Rights Watch au Daily Mail en 2019. « Par exemple, les écoles pourraient-elles utiliser les informations pour transformer la mauvaise conduite ordinaire des enfants en preuve d’infractions et punir les élèves de manière disproportionnée ? », avait-il ajouté.
Une surveillance accompagnée de préjudices
L’utilisation de ces outils est aussi une source d’inquiétude aux États-Unis. Un récent rapport du Centre pour la démocratie et la technologie (CDT) a révélé que la surveillance des activités des élèves « crée des lacunes importantes en matière d’efficacité et d’équité ». Comme pour la Chine, figure la préoccupation qu’elle serve à des fins disciplinaires plutôt qu’à la sécurité. Et, cette crainte est justifiée : 78 % des enseignants dont l’école utilise un logiciel de surveillance ont rapporté que les enfants ont été signalés par cet outil pour des mesures disciplinaires, contre seulement 54 % indiquant qu’il a servi à les orienter vers un conseiller ou un autre adulte qualifié pour des interventions liées au comportement.
Cette surveillance a, en outre, déjà posé problème pour la vie privée des élèves, en particulier pour certains groupes étant déjà plus à risque que les autres. Tel est le cas des étudiants LGBT+ qui sont ciblés de manière disproportionnée. Le CDT explique en effet que l’utilisation de ce type de logiciel a entraîné la divulgation de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre sans leur consentement. Ils sont également plus nombreux que leurs pairs à signaler avoir fait l’objet de mesures disciplinaires ou avoir été contactés par les forces de l’ordre, craignant qu’ils commettent un crime (31 % contre 19 %). D’un autre côté, les élèves noirs et hispaniques, ainsi que ceux issus de familles à faibles revenus ont plus de risque d’être victimes de préjudice, car ils dépendent davantage des appareils de l’école. Ils sont ainsi soumis à plus de surveillance et de dommages tels que l’interaction avec les forces de l’ordre ou des mesures disciplinaires que ceux utilisant leurs appareils personnels.
Des outils pour une surveillance occasionnelle
Les logiciels peuvent aussi servir à une surveillance occasionnelle. Plusieurs universités font appel à ces outils pour les examens à distance, notamment depuis la pandémie de Covid-19. Dans ce cadre, il est d’ailleurs possible que les étudiants aient à montrer leur environnement. Récemment, un juge fédéral a justement statué qu’il était inconstitutionnel pour une université de l’Ohio de scanner virtuellement la chambre d’un étudiant, Aaron Ogletree, avant de passer un examen à distance. Il estime que son droit à la vie privée l’emporte sur les intérêts de l’université.
Aaron Ogletree avait poursuivi l’université en 2021 pour avoir violé son droit à la vie privée en vertu du quatrième amendement, qui protège les citoyens américains contre les perquisitions et saisies abusives. Sa zone de travail, soit sa chambre, devait être contrôlée avant un examen, mais il a indiqué que plusieurs documents confidentiels s’y trouvaient et qu’il ne pouvait pas les protéger avant le début de celui-ci. Il s’est tout de même conformé à la demande pour ensuite déposer une plainte contre l’établissement.
Autre technologie permettant une surveillance occasionnelle : e-Hall Pass, un système de laissez-passer électronique conçu par la société Eduspire. Il serait utilisé dans au moins 1 000 écoles américaines, permettant de surveiller les élèves lorsqu’ils quittent leur classe, pour aller aux toilettes par exemple. Ayant pour but d’assurer la sécurité dans les écoles, en limitant le vapotage, le vandalisme ou les méfaits dans les couloirs ou les toilettes, il est un moyen pour les enseignants et les administrateurs d’un établissement d’intervenir en cas de problème grâce à des données en temps réel. Ils peuvent aussi savoir qui dispose ou non d’un pass.
Comme les autres technologies, ce système de laissez-passer s’est attiré des critiques : « Ce produit n’est que le dernier d’un nombre croissant d’outils de surveillance des élèves, conçu pour permettre aux administrateurs scolaires de surveiller et de contrôler le comportement des élèves à grande échelle, sur et hors campus », a récemment déclaré Doug Levin, cofondateur de l’organisation à but non lucratif K12 Security Information eXchange, à Motherboard. Il considère également que ce type d’outils introduit « d’autres risques pour les élèves, notamment les risques d’accusations fallacieuses et de harcèlement ciblé par les responsables de l’école et les forces de l’ordre ». Le système d’Eduspire a aussi fait l’objet de plusieurs pétitions de parents ou d’étudiants pour qu’il soit retiré des établissements scolaires. L’une d’entre elles, concernant le lycée Independence High School, a été signée près de 700 fois.
Un problème aussi présent en France
Si l’on pense à la Chine ou aux États-Unis pour les technologies de surveillance, elles sont aussi présentes et problématiques en France. En 2011, après avoir effectué plusieurs contrôles dans des établissements où des caméras étaient installées, la Cnil a constaté que ces appareils filmaient constamment des lieux de vie tels que la cour de récréation, les préaux ou le foyer des élèves. Estimant que ces dispositifs étaient « manifestement excessifs », le gendarme des données personnelles a mis les écoles concernées en demeure, qui ont apporté des changements à leurs dispositifs.
En 2019, la Cnil a par ailleurs indiqué que des règles doivent être respectées pour éviter que les caméras portent atteinte à la vie privée des personnes filmées. L’autorité autorise ainsi l’installation de ces appareils à l’intérieur et à l’extérieur d’une école, mais interdit de filmer divers lieux de vie. Pour l’autorité, « l’utilisation de caméras doit rester limitée et constituer un moyen complémentaire à d’autres mesures de sécurité. Seules des circonstances exceptionnelles (établissements scolaires victimes d’actes de malveillance fréquents et répétés) justifient de filmer les élèves et les enseignants en continu ».
L’objectif derrière les technologies de surveillance a beau être noble, au final, leur utilisation ne se fait pas toujours dans l’intérêt des écoles ou de leurs élèves. Alors qu’elles sont censées garantir leur sécurité, elles se révèlent, au contraire, nuisibles. De plus, ces systèmes peuvent être la cible de hackers, aboutissant à la fuite de données sensibles sur des mineurs. En juillet 2020, le logiciel de surveillance ProctorU utilisé pour contrôler les examens a été piraté, résultant en la fuite de données de plus de 450 000 étudiants, dont leurs noms, leurs adresses e-mail ou encore leur géolocalisation.